Les programmes de migration ne sont pas facilement évaluables. Ceci est dû au fait qu'il n'y a pas de programmes d'évaluation réels. Dans les centres de pêche, les réalités sont un peu complexes. L'application des programmes et fonds pose problème. Cette enquête aborde les failles des programmes mais aussi les domaines peu pris en compte par ces programmes et ces fonds visant l'arrêt des départs irréguliers des pêcheurs.
200 milliards de F Cfa pour stopper les vagues de départ
D'emblée, retenons que le sociologue Dr Mamadou Dimé, professeur à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis, a révélé que « plus de 200 milliards de FCfa ont été investis dans le domaine de la migration entre 2005 et 2019, avec pour principaux objectifs de limiter les départs, que ce soit par un meilleur contrôle des frontières ou en essayant d'améliorer les conditions socio-économiques dans les zones de départ et de favoriser les retours ».
Selon l'universitaire, une bonne partie de ces fonds devait servir à lutter contre les causes profondes de la migration irrégulière. Ce qui, selon lui, passe par l'appui au développement de l'entrepreneuriat chez les jeunes, notamment l'octroi de financement pour initier des activités économiques génératrices de revenus. Il y a aussi des financements de projets de réintégration de migrants de retour ou de candidats à l'émigration irrégulière rapatriés. « Ce sont surtout des soutiens modestes pour leur permettre de redémarrer des activités socio-économiques dans leurs territoires d'origine », a notamment expliqué Mamadou Dimé.
Les fonds ont été injectés, selon M Dimé, en grande partie par l'Union européenne et ses pays membres. En définitive, le sociologue qui a consacré plusieurs recherches sur la question a relevé que « plus de vingt programmes et fonds ont été mis en oeuvre à travers des structures comme l'Oim et d'autres structures nationales ». Toutefois, Mamadou Dimé constate que l'absence d'études rigoureuses sur l'impact des projets et programmes financés grâce à « l'argent de la migration » fait qu'il est difficile de se prononcer sur les succès et les échecs de tels ou tels programmes.
Pourquoi les programmes anti-migration ont échoué ?
Ainsi, les raisons sont diverses pour ces jeunes qui prennent les pirogues mais dans des zones de départs comme les zones de pêche quelques réalités sont ignorées par ces pourvoyeurs de fonds.
Malheureusement les statistiques sur le nombre réel de pêcheurs partis sont inexistantes, l'on peut, par contre, se fier aux données empiriques.
A Rufisque et à Kayar les pêcheurs s'accordent sur une chose : ils sont passés de convoyeurs en 2006 à voyageurs en 2023.
Le président du quai de pêche de Rufisque, Ibrahima Mar, renseigne impuissant face au phénomène. que « les pêcheurs laissent leurs matériels sur place, trouvent une pirogue prête à partir et se cotisent cent à deux cent mille par personne ».
Le spectre de la migration irrégulière est pareil dans ces communautés de pêcheurs ou celles insulaires.
A Saint Louis, les programmes de formation ne sont plus suffisants
Partir, une obsession face aux promesses non tenues
Les pourvoyeurs de fonds et ceux chargés de l'application des programmes font miroiter à ces jeunes de Sancc Ba, des financements qui n'arrivent jamais. Ils sont formés dans les métiers de pêcheurs et de mareyeurs mais, ils sont laissés à eux-mêmes. Ces désillusions les motivent davantage à partir.
Kayar: Face au manque de poissons, « partir est la solution »
Les réalités dans les communautés de pêcheurs sont similaires. A Kayar, les motivations restent le manque de ressources et les raisons médicales. A cela s'ajoutent des évidences ignorées par les programmes anti-migratoires.
A plus d'une soixantaine de kilomètres de Dakar, la localité de Kayar se dévoile avec sa plage assez dissimulée derrière ces nombreuses pirogues arrimées.
Le sable de la berge devient inremarquable face à ces centaines de pirogues jaunes clouées au sol face contre mer.
Ce spectacle artistique certes attirerait les photo shooter ou autres peintres. Il ne suscite que mélancolie pour ces pêcheurs et mareyeurs...
La tristesse se lit dans ces visages dont l'activité est au plus bas. Certains, gagnés par la mélancolie et la morne routine, restent chez eux tandis que d'autres, voulant échapper à la pauvre réalité dans leur maison viennent se mettre sur leur pirogues, le regard vers cet océan qui ne leur donne plus rien. Ils sont tristes, vulnérables et surtout impuissants...
Les monologues nous parviennent, les questions restent suspendues à nos lèvres alors que nous étions empathiques, cherchant les mots justes, adéquats pour ne point frustrer encore moins sembler intrusif.
Mor Mbengue, coordonnateur du Conseil local de Pêche artisanale, estime que le manque de ressource constitue la principale raison de départ des pêcheurs vers l'Espagne. « Malheureusement le métier de pêcheur connaît un recul dû au manque de ressources. A kayar on a 1200 pirogues immatriculées dans la zone et 800 nouvelles demandes. Donc, Kayar compte 2000 pirogues mais moins de 1000 sont en activité actuellement. Les propriétaires sont partis tenter l'émigration clandestine », confie-il.
Il y a beaucoup de problèmes liés à la pêche, mais celle industrielle est pire. Il indique que « des bateaux récupèrent les ressources de la pêche artisanale. Les jeunes sont découragés. Malgré l'importance de la pêche, les programmes anti migratoires y sont timidement développés et sont ainsi peu efficaces ».
Pour réduire l'ampleur du phénomène de la migration irrégulière, selon lui, il faut plus inclure les acteurs de la pêche dans les programmes et la distribution de fonds.
Face à cette situation dramatique, les jeunes pêcheurs sont prêts à partir. Ils ont déjà entamé leur démarche. Il attendent que des places se libèrent pour rejoindre l'Europe. Amadou Sow et Khadim Ndoye, de jeunes pêcheurs sont engagés. Ils trouvent que l'Espagne fournit plus d'avenir à des jeunes comme eux. Amadou était parti mais il a été rapatrié par la gendarmerie.
Boy Kayar: neuf tentatives de migration, incessant retour à la case de départ
Pape Demba Sy est pêcheur depuis son plus jeune âge. Il confie son découragement relatif à son métier. Il estime que les programmes anti migratoires encouragent plus les départs des jeunes pêcheurs. « Il n'y a pas de programmes intéressants », dit-il.
L'absence mutuelle de santé pousse à aller se soigner
A Rufisque, la rareté de la ressource affecte les finances, mais aussi les programmes parvenus ne répondent pas à la demande. Selon Ibrahima Mar, président du quai de pêche de Rufisque, « les partenaires les accompagnent juste sur la gestion de ressources et la sensibilisation autour des pratiques d'hygiène et de qualité, l'émigration est peu développée. La sensibilisation pour réduire les départs est portée par le conseil local de pêche artisanal mais force est de reconnaître qu'ils ne peuvent les retenir », confie-t-il.
Ibrahima Mar et Boy Kayar soulignent une autre raison de partir des pêcheurs : celle médicale. Un programme de mutuelle de santé aiderait à retenir ces pêcheurs.
Karel Uyttendaele, initiateur de l'initiative "Migration circulaire Afrique-Europe de jeunes professionnels africains"
« La migration circulaire est une solution alternative pour éviter celle irrégulière »
Il a initié une forme de migration circulaire qui consiste à mettre en rapport de jeunes entrepreneurs sénégalais avec des entreprises belges selon le profil du migrant. Ce dernier, formé dans son domaine revient au Sénégal pour soit représenter cette entreprise ou bien en créer une autre dans le même secteur. Karel estime que cette forme de migration basée sur les échanges entre l'Europe et l'Afrique réduira considérablement la migration clandestine.
Comment la migration circulaire peut -elle être une solution ou une option à la migration irrégulière ?
La migration circulaire pour des jeunes africains hautement qualifiés qui veulent assumer la responsabilité entrepreneuriale dans leur pays d'origine, contribuera à façonner l'avenir de leurs économies, y créer des millions d'emplois décents et éviter ainsi la migration irrégulière.
Ces jeunes professionnels africains hautement qualifiés sont invités à effectuer un emploi temporaire d'un an dans une entreprise européenne. Par leur immersion dans une économie et démocratie occidentale, ils découvrent sur le tas le système d'économie de marché libre et ouvert, socialement corrigé et basé sur le respect des normes et des valeurs. Offrant ainsi une garantie pour la création de bien-être pour la population entière.
Ils ont l'occasion d'établir des contacts et des amitiés précieux et de s'immerger dans la culture européenne. Ils continueront à être un atout pour les entreprises hôtes. Leurs collègues européens apprennent beaucoup des méthodes de travail africaines et des marchés africains. Ils représentent les nombreux Africains cosmopolites et sûrs d'eux qui prennent leur avenir en main et coopèrent au-delà des frontières.
Après leur immersion dans une économie mondialisée et compétitive, ces jeunes africains hautement diplômés pourront mettre au service de leur pays d'origine les connaissances économiques, politiques, de gestion internationale et sociales.
Ils deviennent des médiateurs entre les cultures, ils ouvrent des portes aux entreprises africaines et européennes.
Vous avez entamé ce système avec votre pays la Belgique. Comment ces jeunes Sénégalais formés en Belgique ont continué à croire en leur savoir-faire ?
Une expérience récente intéressante trois ans après le retour des premiers « migrants circulaires » dans leur pays natal. Ces jeunes professionnels ont été embauchés par leur entreprise d'accueil en tant qu'ambassadeur ou cadre supérieur en Afrique, ou par l'entreprise africaine représentant l'entreprise européenne en Afrique, mais aussi en tant que cadre supérieur dans une grande entreprise africaine, active dans le même secteur économique que l'entreprise d'accueil européenne.
Il est intéressant de noter qu'un nombre non négligeable d'entre eux, après une année de pratique dans une entreprise européenne ouverte à une concurrence internationale impitoyable, augmentée par trois de pratique en Afrique, souhaitent se mettre à leur compte. Ils ont confiance dans la façon de réussir en Afrique, comment entrer dans quel secteur d'activité économique, où ils vont faire la différence, avec quels partenaires démarrer, comment assurer leur financement, comment sélectionner les futurs collaborateurs, comment promouvoir leur entreprise, etc. ...comment devenir riche.
Sur quel levier comptez-vous pour promouvoir cette migration régulière ?
Le but final de mes activités n'est pas la promotion de la migration régulière mais l'industrialisation manufacturière avancée de l'Afrique. La migration régulière fera partie intégrante de l'industrialisation moderne de l'Afrique.
Les partenariats Afrique-Europe entre PME industrielles expérimentées déployés massivement seront des volants d'inertie d'une percée dans la création du plus grand marché de libre-échange du monde et ... des exportations européennes stagnantes.
L'Europe bénéficiera grandement du fait que l'Afrique voisine, qui représentera bientôt un quart de la population mondiale, génère d'urgence "des emplois décents" à dix millions de ses jeunes qui y entrent chaque année sur le marché du travail. Ceci grâce à la transformation locale de ses matières premières. L'Afrique y endiguera ainsi la pauvreté, les inégalités, les conflits et les migrations forcées.
Afin d'inciter des PME et des fabricants européens à rechercher des partenariats "gagnant " en Afrique, les politiciens occidentaux doivent uniquement, par un changement guidé de la mentalité de leurs citoyens, éliminer la croyance profondément enracinée selon laquelle l'Afrique ne serait pas prête pour la modernité.