Tunisie: Des cinéastes arabes et tunisiens expriment leur indignation - Génocide, tapis rouge et paillettes

17 Décembre 2023

«Nous, cinéastes du monde arabe, saluons les festivals arabes ou étrangers qui ont pris clairement position contre le génocide du peuple palestinien. Nous espérons que les cinéastes du monde entier soutiendront ce mouvement et feront preuve de solidarité avec leurs confrères cinéastes qui ont retiré leurs films et leurs projets de festivals qui insistent encore, jusqu'à présent, sur le fait de ne pas reconnaître le génocide en cours ni d'exiger qu'il soit arrêté. Nous les appelons également à signer cette pétition».

Le Red Sea International Film Festival, nouveau grand rendez-vous de cinéma à Jeddah, essentiellement financé par le ministère de la Culture saoudien, continue de susciter la polémique.

«Le festival affiche stars et libéralisme moral dans un pays rétrograde, accusé de tortures et de sévices sexuels. Et tout Hollywood s'y presse», lit-on dans un billet intitulé «Le Red Sea Film Festival en Arabie Saoudite, une vaste opération de blanchiment politico-culturel» publié, la semaine dernière, dans le quotidien français Libération.

Un empressement tous azimuts, faisant de ce nouveau-né un aimant à producteurs et cinéastes de différents bords, attirés surtout par son marché du cinéma qui vient de s'ouvrir et qui offre une énorme opportunité pour les cinéastes internationaux et les studios de présenter leurs produits cinématographiques, le tout faisant fi de clauses contractuelles (signées par les «rights holders») qui interdiraient aux professionnels du cinéma bénéficiaires de fonds saoudiens de critiquer d'aucune manière l'Arabie Saoudite...

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Du côté des pays du Sud et surtout de la scène cinématographique de certains pays arabes, la polémique a porté surtout sur le maintien (après celui de la 4e édition du « Riyad Season » en octobre dernier) de la 3e édition de ce festival qui s'est tenue, du 30 novembre au 9 décembre, dans sa forme festive, affichant faste et opulence dans l'indifférence totale face au génocide perpétré par l'entité sioniste à Ghaza et relayé en temps réel par certains médias arabes et sur les réseaux sociaux.

«Alors que les stars d'Hollywood et autres starlettes, journalistes, cinéastes et producteurs arabes posaient joyeusement sur le tapis rouge et festoyaient, les rues de Ghaza s'immaculaient du rouge du sang de ses gens, déshumanisés et bombardés à tout-va», s'indignent certains sur les réseaux sociaux.

L'horreur des images parvenues de Ghaza, celles de corps déchiquetés, démembrés et calcinés, entre autres ceux d'enfants et de bébés, de marées de linceuls, de quartiers rasés, d'enfants terrorisés, de mères, de pères et de grands-pères criant leur douleur et pleurant leurs enfants et autres proches lâchement tués, d'hôpitaux et d'écoles pris pour cibles, de patients laissés à leur sort sous la menace de l'armée de l'occupation, de corps en décomposition, de chiens et d'oiseaux se nourissant de ces mêmes corps... ne pouvait que faire contraste (et c'est un euphémisme) avec celles du bling bling, des flashs, paillettes et autres ambiances détendues, festives et fastueuses à Jeddah.

L'indignation était surtout exprimée face à la participation arabe à cette manifestation. «En ce moment particulier de l'histoire, où nous assistons depuis deux mois au génocide de Gaza perpétré par l'État israélien, le tapis rouge absorbe très mal le sang qui coule. N'oublions pas, chers amis, que le régime saoudien était sur le point de normaliser avec Israël, et malgré les milliers de morts il continue à ménager la chèvre et le chou. Car les caprices du prince et ses méga-joujoux dépendent toujours de l'oncle Sam et de son allié israélien. On imagine combien MBS doit maudire la cause palestinienne et son retour au coeur de la géopolitique mondiale au moment où commençait sa campagne promotionnelle de Neom et de son bling-bling hôtel Siranna», écrit le célèbre caricaturiste Z dans son blog DebaTunisie, illustrant ses propos par un éloquent dessin où l'on voit un groupe de «people» s'amasser sur le tapis rouge alléché (langues tirées) par un os suspendu par un «photographe» saoudien, derrière leur mur de stars se dégage un décor apocalyptique, celui des bombardements à Ghaza, de ses victimes dont le sang vient se mêler au rouge du tapis...

«Les participants au festival auraient été sommés de ne pas afficher leur soutien à la Palestine. La même consigne a été donnée au festival de Cinéma de Marrakech. Le Maroc étant aussi une monarchie qui normalise avec l'État sioniste», ajoute encore Z.

Des cinéastes palestiniens et arabes ont lancé, en novembre dernier, le mouvement «Cinema Against Silence» et ont publié une pétition ouverte sur internet condamnant ces agissements, ainsi que l'indifférence et le silence complices face à ce qui se passe à Ghaza de certains festivals.

Des membres de «Cinema Against Silence» auraient mis au courant des participants tunisiens et arabes des consignes douteuses des deux festivals, entre autres, celle interdisant d'afficher un quelconque soutien à la Palestine, les exhortant à retirer leurs oeuvres et autres dossiers de leurs programmations.

«Nous, cinéastes du monde arabe, saluons les festivals arabes ou étrangers qui ont pris clairement position contre le génocide du peuple palestinien. Nous espérons que les cinéastes du monde entier soutiendront ce mouvement et feront preuve de solidarité avec leurs confrères cinéastes qui ont retiré leurs films et leurs projets de festivals qui insistent encore, jusqu'à présent, sur le fait de ne pas reconnaître le génocide en cours ni d'exiger qu'elle soit arrêtée. Nous les appelons également à signer cette pétition», ont-ils noté.

Une forte indignation s'est faite sentir du côté de nombreux acteurs de la scène cinématographique et culturelle tunisienne qui ont déploré le mutisme complice, voire la collaboration de ceux et celles qui ont choisi de maintenir leur participation prétextant un acte de résistance qui viendrait de l'intérieur, par et avec leurs oeuvres.

Face à cela, d'autres ont parlé de libertés individuelles et de la primauté de la création artistique, soulignant l'importance de ce genre de rendez-vous qui permettent visibilité et perspectives de financements et d'exportation des films et autres projets de films qui manquent terriblement de soutien et de financement dans leurs pays d'origine.

Et c'est ici que viennent s'imposer d'elles-mêmes et se remettent au jour des questions liées à l'autonomie financière et artistique des cinéastes des pays du Sud, sur l'impact de ces financements sur la forme et surtout sur le fond de l'oeuvre et donc sur la liberté artistique, sur le choix (ou le non-choix !) de certaines thématiques... Des questions sur lesquelles il est temps de se pencher sérieusement surtout au regard des abus commis aujourd'hui directement ou indirectement par les puissances du Nord et de leur moralité à géométrie variable... À méditer !

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