Tchad: Referendum constitutionnel au Tchad - C'est Deby-fils qui gagne au change

17 Décembre 2023

C'est un Général d'Armée et président de la transition tchadienne, sourire aux lèvres, qui a glissé son bulletin de vote dans l'urne le 17 décembre dernier, au quartier Ndjambal Ngato de Ndjamena, pour sans doute dire "Oui" à la nouvelle Constitution soumise au vote de plus de huit millions de ses compatriotes. Il n'y a pas eu d'incidents majeurs durant cette journée électorale, malgré la grande affluence constatée devant les bureaux de vote dans la capitale, mais aussi dans beaucoup de localités à l'intérieur du pays.

Les Tchadiens ne se font guère d'illusion sur l'issue de ce scrutin référendaire, qui verra la nouvelle Constitution adoptée conformément aux vœux non seulement de la mouvance présidentielle, mais aussi du parti de l'opposition dite radicale de Succès Masra. La seule inconnue de cette « forfaiture anticonstitutionnelle » organisée par le gouvernement reste le taux de participation et surtout le score du "Oui" qui, on s'en doute, sera inversement proportionnelle à la taille du président de la Transition. Vous avez bien compris. En attendant la publication des résultats officiels, c'est déjà la bamboula chez tous ceux qui, à travers cette Constitution qui n'est qu'un lifting de celle de 1996, veulent remettre le Tchad sur le chemin de la démocratie, avec un président aux pouvoirs réduits à la tête d'un Etat unitaire, et « marqué à la culotte » par un parlement bicaméral dont le chef détiendra des pouvoirs insoupçonnés.

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C'est un pouvoir à vie qui sera offert sur un plateau d'argent à Mahamat Idriss Deby

En revanche, c'est la bérézina chez ceux qui ont appelé à voter "Non" ou à boycotter la consultation d'autant qu'ils savent qu'ils n'y verront que du feu à la proclamation des résultats, au regard des moyens colossaux déployés par les partisans du "OUI", et du manque de neutralité de la commission en charge de l'organisation du référendum, qui va s'illustrer, selon eux, par le bourrage des urnes et la manipulation des chiffres en faveur de leurs adversaires. Ces contestataires pointent également du doigt la légitimité du scrutin, en rappelant que les opérations électorales relèvent des prérogatives d'une structure indépendante comme le stipule l'article 7 de la Charte de la Transition, et non d'une commission créée et contrôlée par le gouvernement comme c'est le cas avec ce référendum.

Le leader de ce camp, l'ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké, n'est donc pas prêt à danser le tango avec le président Mahamat Idriss Deby Itno, contrairement au farouche opposant au régime Succès Masra, qui, par réalisme politique, a tourné casaque en appelant à voter en faveur de la nouvelle loi fondamentale. Si certains Tchadiens n'y sont pas favorables, c'est parce qu'ils estiment que c'est un pouvoir à vie qui sera offert sur un plateau d'argent à Mahamat Idriss Deby, qui rêve de durer plus longtemps que son père qui n'a fait que...excusez du peu, 31 ans à la tête du Tchad. C'est une hypothèse qui est loin d'être farfelue.

Car, si les théâtres des opérations militaires ont été à plusieurs reprises témoins de sa bravoure et de sa témérité, le champ politique, lui non plus, ne semble pas avoir de secret pour lui, au regard des décisions qu'il a prises, des alliances qu'il a nouées et des pièges qu'il a tendus à ses adversaires potentiels, depuis qu'il a remplacé poste pour poste et au pied levé, son défunt père en avril 2021. En clair, c'est Deby-fils qui gagne au change. Car il est de notoriété publique qu'au Tchad comme partout ailleurs en Afrique, l'opposition au régime en place est à...gastronomie variable, pardon, à géométrie variable, et le président de la Transition semble connaitre très bien le poids des arguments sonnants et trébuchants dans le jeu politique. Pour autant, le Général Mahamat Deby ne doit pas en abuser au risque de se voir trahir par ses alliés de circonstance.

Il ne faudrait pas créer les conditions du réveil d'un chat qui n'a jamais fermé l'œil

Car, pour paraphraser Abraham Lincoln, on peut acheter l'adhésion d'une partie des acteurs politiques tout le temps et tous les acteurs politiques une partie du temps, mais on ne peut corrompre tous les acteurs politiques tout le temps. L'usage alternatif du bâton et de la carotte ne pourra pas garantir la stabilité politique et institutionnelle à ce pays coutumier des crises multiformes, et le régime de la Transition doit prendre toutes les dispositions au lendemain de ce référendum pour rassembler les Tchadiens afin d'éviter que les frustrations des uns et la peur des autres n'ouvrent de nouvelles brèches dans ce pays chroniquement instable.

Le contexte régional est déjà extrêmement complexe et précaire avec plusieurs pays voisins en guerre civile, et, au Tchad même, il ne faudrait pas créer les conditions du réveil d'un chat qui n'a jamais fermé l'œil, notamment de Mahamat Ali Mahdi qui dirige la rébellion du Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT) qui se signale par intermittence dans le massif du Tibesti, à l'extrême Nord du pays. Espérons que toute la débauche d'énergie depuis l'arrivée de Mahamat Idriss Deby pour parvenir à une paix durable au Tchad, ne sera pas finalement assimilée au tonneau des Danaïdes ou à la toile de pénélope, c'est-à-dire une action inutile qui nécessite un éternel recommencement à cause des ambitions démesurées du président, et de sa volonté de s'accrocher au pouvoir, envers et contre tout.

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