Tunisie: UGTT | Mise en disponibilité syndicale - Une pratique devenue un droit acquis

18 Décembre 2023

La question de la mise en disponibilité pour l'exercice d'un mandat syndical auprès de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) refait surface ces derniers jours, n'étant pas régie par un texte de loi. Des décisions seraient prises au début de l'année prochaine pour, non pas mettre définitivement un terme au détachement syndical, mais en vue de légiférer au mieux cette mesure.

Aucun communiqué officiel n'a été publié à cet effet, mais il convient de rappeler que la circulation de ces informations survient dans un contexte de refroidissement des relations entre la centrale syndicale et le pouvoir en place. Encore faut-il souligner que depuis 2011, aucune nouvelle mise en disponibilité n'a été accordée, ce qui a fait chuter le nombre de fonctionnaires ayant bénéficié de cette mesure que la centrale syndicale considère aujourd'hui comme un droit acquis, obtenu au prix de grands sacrifices. Pour le secrétaire général de la Confédération générale du travail (Cgtt), Habib Guiza, joint par La Presse, la mise en disponibilité s'apparente plutôt à un «deal» entre les gouvernements qui se sont succédé depuis l'indépendance et l'Ugtt qui a étonnamment refusé le pluralisme syndical dans le pays, selon ses propos.

Le ministère de l'Education a déjà annoncé la couleur en refusant d'ores et déjà la reconduction des autorisations des membres du Bureau de la Fédération générale de l'enseignement de base, ainsi que ceux de l'enseignement secondaire, appelant ces derniers à réintégrer leurs postes de travail, ont annoncé des médias locaux.

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En arrière-plan de ces mesures, le projet de réforme des entreprises publiques qui vise la bonne gouvernance, la transparence, l'efficacité des services publics, commentent certains observateurs. Cela est de nature à renforcer la lutte contre les pratiques de favoritisme dont jouissent certains représentants syndicaux et autres dérapages qui ont mis à genoux les entreprises publiques.

Sur fond de tensions entre le pouvoir et la centrale syndicale

Il va sans dire que les rapports entre l'Ugtt et le pouvoir en place ont connu un réchauffement ces derniers temps. Antérieurement, certaines positions prises ont considérablement impacté leur relation, à commencer par l'absence de réponse à l'appel de la centrale syndicale pour la reprise des négociations liées à l'augmentation des salaires des fonctionnaires.

La publication de la circulaire n°21 du 04 novembre 2022 fixant les règles de négociations entre les organismes publics et les syndicats et, au final, l'expulsion du secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES), Esther Lynch, de notre pays, en février 2023, sont venues confirmer le refroidissement des relations entre les deux parties.

«Cette question refait surface chaque fois qu'il y a des différends avec le gouvernement»

Dans les coulisses de la centrale syndicale, les membres de l'Ugtt évoquent des tensions perceptibles entre le pouvoir et la centrale syndicale pour fustiger une manoeuvre visant à marginaliser l'action syndicale. Dans sa déclaration à Radio Mosaïque, vendredi 15 décembre, le porte-parole de l'Ugtt, Sami Tahri, explique que la mise en disponibilité repose sur la convention internationale portant sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical relevant de la Conférence générale de l'Organisation internationale du travail.

Ce dossier a été exploité par la Troïka au pouvoir après 2011 pour faire pression sur l'Ugtt et porter atteinte à son image, souligne-t-il, ajoutant que cette question refait surface chaque fois qu'il y a des différends avec le gouvernement et les syndicats. L'effet escompté, selon Tahri, est de monter l'opinion publique contre la centrale syndicale lors des négociations sociales ou des tractations avec le Fonds monétaire international .

Selon le porte-parole de l'Ugtt, le nombre de représentants syndicaux qui bénéficient de l'autorisation de mise en disponibilité ne dépasse pas la trentaine, alors qu'il était estimé entre 80 et 90; il y a trois ans.

Cette baisse s'explique par le départ à la retraite des représentants syndicaux concernés, le décès ou une longue maladie. Selon lui, la mise en disponibilité est une mesure légale consacrée aux secrétaires généraux des unions régionales et des secteurs ainsi que les membres du bureau exécutif national. Sami Tahri a tenu à préciser qu'aucun cas de refus ou de suspension n'a été enregistré et qu'il s'agit plutôt d'un seul cas de refus d'une «autorisation syndicale» émanant d'une direction régionale relevant du ministère de l'Éducation à la suite d'une demande faite par la Fédération générale de l'enseignement secondaire. «Il s'agit là d'une magouille, d'une tentatives visant à déterrer ce dossier pour s'attaquer à l'Ugtt d'autant que l'année 2023 a enregistré le plus grand nombre de violations à l'encontre de la l'organisation syndicale», selon ses dires.

L'enjeu de la paix sociale

Un autre son de cloche nous parvient du secrétaire général de la Confédération générale du travail (Cgtt), Habib Guiza, qui a expliqué à notre journal que l'Ugtt n'a pas pris en considération le nouveau contexte politique du pays, comme en témoigne son refus d'adhérer au pluralisme syndical.

Il a souligné la nécessité de respecter la liberté de l'activité syndicale, conformément à la loi nationale et internationale du travail et comme le stipule l'Organisation internationale du travail. A cet effet, il rappelle que le Tribunal administratif a, en juin 2015, jugé recevable la requête avancée par la Cgtt et a annulé la décision gouvernementale l'ayant privée du droit de négociation, de la retenue sur salaire, de la mise en disponibilité de syndicalistes à l'image des autres organisations. En dépit d'un verdict final prononcé le 5 février 2019, ce jugement n'a pas été appliqué, selon notre interlocuteur, et l'Ugtt n'a apporté aucun soutien à la Cgtt.

Au demeurant, la mise en disponibilité est devenue avec le temps un droit acquis en échange de la paix sociale, fait savoir Habib Guiza. Elle est contraire à la loi, conclut-il, d'autant que c'est la centrale syndicale qui devrait s'acquitter des salaires des personnes profitant de cette mesure et non l'organisme d'accueil.

Ce n'est pas la première fois que la mésentente entre la centrale syndicale et le gouvernement impacte cette question relative à la mise en disponibilité syndicale. Dans une étude élaborée en 2000, l'ancien ministre des Affaires sociales, Mohamed Ennaceur, rappelle l'annulation par le gouvernement au milieu des années 80 des avantages dont bénéficiait la centrale syndicale à la suite de l'affrontement avec l'Ugtt. Et en particulier la retenue à la source des cotisations des adhérents du secteur public et la mise en disponibilité des fonctionnaires et agents des sociétés nationales.

Après 2011, et sous le règne de la Troïka, la relation s'est tellement dégradée avec la centrale syndicale que des milices proches du parti Ennahdha au pouvoir se sont attaquées aux syndicalistes dans leur fief à la Place emblématique Mohamed Ali-Hammi à Tunis. L'Ugtt s'en est sortie plus forte et aguerrie, du moins après le départ de la Troïka. Il faut reconnaître, cependant, que de nos jours, l'Ugtt trouve de plus en plus de difficultés à s'adapter à certains changements et à se libérer de ses anciens reflexes.

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