La Tunisie est devenu un important pays de départ vers l'Europe. Les migrants subsahariens y devenus les boucs émissaires des problèmes économiques du pays.
Selon les chiffres du gouvernement italien, près de 146.000 personnes sont arrivées en Italie par bateau entre janvier et novembre de cette année. C'est une hausse de 65% par rapport à la même période en 2022.
La moitié de ces personnes sont parties des côtes tunisiennes.
L'île italienne de Lampedusa n'est qu'à environ 130 kilomètres de Sfax, une ville côtière de l'est de la Tunisie.
Si les départs ont fortement augmenté, les interceptions des garde-côtes tunisiens également.
Près de 70.000 personnes ont été empêchées de poursuivre leur route, soit le double par rapport à l'année dernière.
L'un de ces migrants est Enosso, originaire du Burkina Faso. Il n'a pas voulu donner son vrai nom et a expliqué être arrivé en Tunisie il y a trois mois. Il aurait tenté de rejoindre l'Italie à deux reprises. "A chaque fois, cela m'a coûté environ 1.000 euros", explique-t-il.
Sa première tentative s'est terminée après avoir parcouru seulement sept kilomètres, la seconde, douze kilomètres.
De plus en plus de départs de migrants subsahariens
Enosso fait partie des nombreux Africains subsahariens à avoir embarqué en Tunisie cette-année. La part des non-Tunisiens est de plus en plus élevée, soit 78% contre 59% l'an dernier, d'après les autorités tunisiennes.
Hager Ali, chercheur au sein du groupe de réflexion allemand Institute for Global and Area Studies (GIGA), explique qu'il s'agit d'un reflet de la situation politique dans les pays d'origine
Selon elle, "une grande partie des migrants interceptés sont des citoyens de pays comme le Burkina Faso, le Mali, la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Soudan, l'Erythrée et la Libye. Il s'agit de pays qui, au cours des deux dernières années, ont connu une recrudescence des coups d'Etat militaires et une volatilité politique et économique, une violence extrême, des persécutions, des déplacements internes. Beaucoup ont donc quitté ces pays, se sont rendus en Tunisie, s'y sont installés et y ont travaillé pendant un certain temps."
Si le Burkinabè Enosso explique que "les garde-côtes tunisiens n'ont pas été violents" et l'ont simplement ramené à Sfax, l'ONG Human Rights Watch a documenté de nombreux cas de mauvais traitements et d'expulsions collectives pendant et après les interceptions de bateaux.
Diatribes racistes du président tunisien
Plus généralement, la situation des migrants en Tunisie s'est détériorée tout au long de l'année, en même temps que la situation politique et économique. En février, le président Kais Saied avait déclenché une vague de violence contre les migrants subsahariens, en prônant des théories proches du grand remplacement.
Dans des diatribes racistes, il avait parlé de "hordes de migrants clandestins" dont la présence en Tunisie serait source de "violences, de crimes et d'actes inacceptables".
Pendant l'été, des milliers de migrants ont été expulsés vers le désert près de la Libye, plus d'une centaine d'entre eux ont trouvé la mort.
Et l'élection présidentielle de l'année prochaine risque d'exacerber le phénomène de haine, d'autant que la légitimité de Kais Saied, qui s'est arrogé les pleins pouvoirs, est très contestée.
Pour la chercheuse Hager Ali, "nous avons vu ces dernières années en Europe que vilipender les migrants, en particulier ceux originaires d'Afrique subsaharienne, est malheureusement une bonne stratégie de campagne. Les migrants seront donc potentiellement un bouc émissaire, non seulement pour les rendre responsables de l'état du pays, mais aussi pour détourner la frustration des électeurs vers quelque chose qui est plus éloigné de la politique, là où Kais Saied peut mobiliser les électeurs."
Quasiment un jeune sur deux est au chômage
La Tunisie a une inflation de plus de 8% et un taux de chômage de près de 40% chez les 15-24 ans. Le tout a été exacerbé par la sécheresse alors que le secteur agricole fournit des emplois à de nombreux migrants qui économisent en vue de leur voyage vers l'Europe.
"Même l'achat de nourriture est devenu difficile, parfois je ne peux même plus me permettre d'acheter des boulettes de blé", confie par exemple Mohammed, originaire du Bénin, qui attend lui aussi de pouvoir embarquer pour rejoindre l'Italie, à la DW.
En juin, la Commission européenne a proposé à la Tunisie un programme de partenariat visant à freiner l'immigration vers l'Europe en triplant les aides financières pour la lutte contre la migration clandestine.
Pour l'heure, il ne s'agit que d'un mémorandum d'entente qui n'est pas contraignant. Kais Saied a déjà réaffirmé que son pays ne deviendrait pas une porte d'entrée pour les migrants.
Toutefois, d'après Ramadan Ben Omar, du Forum tunisien des droits économiques et sociaux, les départs ont diminué depuis octobre, et pas seulement en raison des conditions de mer plus difficiles en automne et en hiver.
Il explique que "les autorités tunisiennes ont renforcé les contrôles aux frontières et lancé des opérations contre les passeurs et les ateliers de fabrication de bateaux."