Ile Maurice: Preuves que le Fort Frederik Hendrik a accueilli des pirates naufragés

18 Décembre 2023

Faire parler des fragments de porcelaines japonaises rares retrouvés sur deux sites archéologiques. Indices qui étayent la nouvelle thèse de l'archéologue Jean Soulat - avec Yann von Arnim - montrant qu'il y a eu interaction entre l'équipage du «Speaker», navire du pirate John Bowen et le Fort Frederik Hendrik à Grand-Port.

Une thèse chaud-bouillante. Qui montre les liens entre le Fort Frederik Hendrik à GrandPort et l'épave du Speaker, navire du pirate John Bowen échouée en 1702 au large de la côte Est de Maurice.

C'est la théorie de Jean Soulat, archéologue et ingénieur d'études chez LandArc, société d'expertise et de valorisation archéologique française. Il était à Maurice pour une nouvelle mission autour de l'épave du Speaker, du 27 novembre au 7 décembre.

La veille de son départ, le 6 décembre, Jean Soulat a donné une conférence au Centre Culturel d'Expression Française (CCEF) intitulée Le naufrage du navire pirate Speaker à Maurice et la piraterie dans l'océan Indien. Conférence organisée conjointement par la Société de l'Histoire de l'île Maurice et la Mauritius Marine Conservation Society (MMCS). Toute la mission de Jean Soulat a été soutenue par Yann von Arnim de la MMCS.

L'archéologue Jean Soulat entouré des animateurs Stéphane Bern et Lorant Deutsch, au musée de Mahébourg, le 1er décembre. Ils ont tourné des séquences de l'émission «Laissez-vous guider» pour France TV.

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Jean Soulat souligne : «Les Hollandais de l'université d'Amsterdam qui ont mené des fouilles archéologiques au Fort Frederik Hendrik en 1997 et en 2005 n'ont pas du tout fait le lien entre le Speaker et le site. Leurs recherches portaient sur la seconde période hollandaise entre 1688 et 1710.» La colonie était alors sous Roelof Deodati, gouverneur de 1638 à 1710.

Logique d'archéologue : «Entre 1688 et 1710, il y a eu le naufrage du Speaker le 7 janvier 1702.» Pour étayer cette nouvelle thèse, Jean Soulat et Yann von Arnim ont réexaminé la porcelaine retrouvée au Fort Hendrik et correspondant à la période du naufrage du Speaker. «Nous avons eu pas mal de surprises.»

Yann von Arnim et Jean Soulat réexaminant les fragments conservés au musée de Mahébourg. Une meilleure visibilité pour le «Speaker» et ses artefacts a été recommandée aux responsables du musée.![fragment.png]

Le spécialiste rappelle que les vestiges du fort en pierre «sont en réalité des restes d'occupations française et anglaise». À la période hollandaise, le fort «en palissade était relativement modeste». Il rappelle aussi qu'après l'échouement du Speaker sur un banc de sable au large de Grande Rivière Sud-Est, l'équipage de John Bowen a pu regagner la terre ferme, en sauvant les marchandises les plus précieuses, dont «un coffre de 2500 piastres espagnoles échangées avec les Hollandais contre un bateau pour repartir trois mois plus tard, probablement vers Madagascar».

Premier indice d'interaction entre les deux sites archéologiques : de la porcelaine japonaise d'Arita retrouvée sur le Speaker. Fragments frappés aux armoiries de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC). «Environ 1 800 fragments de porcelaine ont été inventoriés au Fort Hendrik. Moins de dix correspondent à ce type d'assiette», indique Jean Soulat. Deux fragments similaires ont été retrouvés dans l'épave du Speaker. Ces fragments pourraient provenir d'assiettes données en cadeau au gouverneur Deodati.«Le gouverneur ne les a pas accueillis à bras ouverts alors que la colonie voulait que les pirates viennent, parce qu'ils allaient y dépenser un peu d'argent. Sous la pression de la population, le gouverneur les a accueillis. Les pirates sont restés trois mois. Le rapport de force :«35 soldats dans la colonie contre 170 pirates.»

Des fragments de porcelaine japonaise frappés aux armoiries de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales ont été retrouvés à la fois dans l'épave et lors des fouilles archéologiques au fort.

L'archéologue ajoute que les pirates ont été soignés dans la colonie. «La légende veut qu'on ait d'abord voulu les empoisonner. Ensuite, on s'est ravisé. On peut imaginer qu'en échange des soins, les pirates ont donné ces assiettes. Aujourd'hui, les maisons de vente aux enchères disent que ces porcelaines sont extrêmement rares.»

Deuxième indice : les perles en agathe venues d'Asie ou de Chine retrouvées sur les deux sites archéologiques.

Cette théorie, Jean Soulat la construit depuis la mission d'étude de mars 2019. Suivie de missions archéologiques sur le site de l'épave du Speaker, en 2021. L'étude n'est pas terminée. «Il reste les pipes en terre cuite, la céramique. Il y a encore énormément de travail.» Cela, en accord avec les archéologues hollandais qui ont mené des fouilles archéologiques au Fort Hendrik en 1997 et 2005.

Pourquoi a-t-il fallu attendre 2023 pour qu'un lien émerge entre ces deux sites archéologiques ? Jean Soulat rappelle que le site du naufrage du Speaker a été découvert en 1979. Une première expédition française a été menée par Jacques Dumas et Patrick Lizé en 1980 puis une seconde, dirigée par Erick Surcouf, en 1990. «Alors que les premières fouilles au Fort Hendrik datent de 1997. Ce n'est pas la même génération.» Ni les mêmes préoccupations.

L'épave plus de 1700 artefacts

L'épave du «Speaker,» c'est «plus de 1700 objets du monde entier. Des éléments vestimentaires venus d'Angleterre, des perles de Venise, de la porcelaine chinoise à motifs blanc et bleu de la période Kangxi, des statuettes de divinités d'Inde, une quarantaine de monnaies de 19 pays différents, des balles de pistolet en plomb. Ainsi que des manilles en bronze qui servaient de monnaie d'échange contre des esclaves», détaille l'archéologue Jean Soulat. Le Speaker a servi de bateau pirate entre le 16 avril 1700 et son naufrage le 7 janvier 1702. L'une des caractéristiques d'un navire pirate c'est «à la fois une quantité importante d'objets liés à l'armement et des objets du monde entier. Les pirates prennent des bateaux de commerce et des navires de guerre de toutes nationalités faisant la navette entre l'Asie, l'Inde et l'Europe».

«Le trésor des pirates n'existe pas»

«Il n'y a pas de trésor des pirates, il n'y a que des objets archéologiques. Ils n'ont pas forcément de valeur en soi, leur valeur est historique. Dans leurs prises, les pirates avaient des étoffes, des épices, du sucre, du tabac. Cela ne servait à rien de les enterrer. Comme les pirates ne vivaient pas longtemps, les prises étaient partagées, dilapidées.»

Jean Soulat, archéologue qui a aussi travaillé sur l'île Sainte Marie à Madagascar, connue comme un repaire de pirates aux 17e et 18e siècles.

L'animateur Stéphane Bern en visite

Le déplacement de l'archéologue Jean Soulat à Maurice était étroitement lié à la visite des animateurs Stéphane Bern et Lorant Deutsch. «Nous avons tourné une séquence de l'émission de France 2, Laissez-vous guider au musée de Mahébourg, le vendredi 1er décembre. J'y interviens en tant qu'expert des pirates», explique l'archéologue. Ce déplacement à Maurice ainsi qu'à La Réunion a été organisé par Morgane Production. «Laissez-vous guider» utilise la technologie 3D pour faire revivre des épisodes historiques. L'équipe pourrait recréer en 3D le toit bâché du musée de Mahébourg, qui attend sa prochaine rénovation.

Musée de Mahébourg meilleure visibilité pour le «speaker»

Au cours du réexamen des collections au musée de Mahébourg, «nous nous sommes aperçus que les visiteurs passaient devant la vitrine du 'Speaker' sans se rendre compte de leur intérêt scientifique», témoigne Jean Soulat. Une meilleure valorisation a été proposée, dont l'aménagement d'une section dédiée au navire et à la piraterie. «Le canon du 'Speaker' qui était dans un coin est plus visible.» Une exposition temporaire consacrée au 'Speaker' serait prévue en 2024.

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