Sénégal: Systémes financiers décentralisés - La microfinance face au défi des taux d'intérêt élevés

Sur les 508 Systèmes financiers décentralisés (SFD) répertoriés dans l'espace UEMOA en 2022, plus de 300 sont basés au Sénégal. Un tel dynamisme montre leur poids dans l'économie sénégalaise avec 12,5% des crédits à l'économie et 3,9% du PIB. Cependant, les taux d'intérêt pratiqués sont jugés très élevés ; ce qui freine le développement du secteur. L'État et ses partenaires essaient de trouver des solutions pour faciliter le refinancement des SFD qui n'ont ni accès au marché interbancaire, ni au refinancement de la BCEAO.

Le secteur de la microfinance fait preuve d'un réel dynamisme au Sénégal, c'est un fait. D'après le dernier rapport de la Direction de la réglementation et de la supervision des Systèmes financiers décentralisés (DRS/SFD), la plupart des indicateurs clés ont connu une évolution favorable. En effet, le nombre de membres et clients a enregistré une hausse de 3,0% au second trimestre 2023, s'établissant à 4 101 090, ce qui correspond à un taux d'inclusion financière du secteur de la microfinance de 19,1%.

L'encours des dépôts quant à lui atteint 503,4 milliards FCFA tandis que le volume des crédits accordés est estimé à 189,2 milliards FCFA, soit une progression de l'encours de crédit de 5,3% par rapport au trimestre précédent, franchissant ainsi la barre de 650,2 milliards, correspondant à 12,5% des crédits à l'économie et 3,9% du PIB. Cette brève présentation des indicateurs clés du secteur de la microfinance permet de mesurer son poids réel dans l'économie nationale.

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Cependant, compte tenu de la nature particulière de leur clientèle, composée essentiellement des acteurs du secteur informel, et du risque opérationnel que présente les acteurs, les taux d'intérêts pratiqués par les SFD sont jugés élevés, y compris par les autorités étatiques.

Il faut préciser qu'il existe trois types de SFD au Sénégal. D'abord, il y a les quatre « grands » du secteur (Cms, Pamecas, Baobab et Acep), plus structurés et qui n'ont pas de difficultés à se refinancer auprès des banques commerciales ou des fonds dédiés.

Ensuite, il y a les SFD régis par l'article 44 (qui ont un actif supérieur ou égal à 2 milliards FCFA). On retrouve dans cette catégorie l'essentiel des SFD opérant en réseau (MECAP, IMCEC...). Enfin, il y a les petites SFD (actif inférieur à 2 milliards FCFA) et les petites mutuelles non affiliées, qui cheminent en solo et qui ont tendance à pratiquer les taux d'intérêts les plus élevés, parce qu'ayant plus de difficultés à se refinancer auprès des banques ou des fonds spécialisés. C'est à cette dernière catégorie qu'appartient la mutuelle Femuni, dont le gérant Babacar Diop expliquait pourquoi : « Nos taux d'intérêt sont plus élevés, parce que nous ne comptons que sur nos ressources propres, nous sommes plus exposés au risque ».

Taux d'intérêt plafonné à 24%

La dernière circulaire de la Bceao qui date de janvier 2014 stipule que le taux usuraire pratiqué par les SFD ne doit pas dépasser 24%. Autrement dit, ils n'ont pas le droit de pratiquer un taux d'intérêt effectif global (TEG) supérieur à ce seuil. Dans la pratique les taux d'intérêt stricts varient entre 12% et 14% en moyenne pour les structures de grande taille (18% pour les SFD de petite taille). Mais si on y inclut toutes les charges (frais de dossier, assurance...), le TEG atteint généralement 24%. C'est pourquoi, Babacar Diop, gérant de la mutuelle Femuni, juge que la marge de manœuvre des SFD est « limitée ». En outre, certains acteurs de la microfinance pensent que l'État leur mène une concurrence déloyale à travers la DER/FJ qui ferait « de la microfinance déguisée ».

En effet, les SFD ne sont pas admissibles au guichet de refinancement de la Bceao (réservé aux banques). En revanche, l'État du Sénégal a mis en place, grâce au plaidoyer de l'Association professionnelle des Sfd (APSFD), des fonds comme le Fonds national de la microfinance (FONAMIF) ou le Fonds d'impulsion de la microfinance (FIMF) pour accompagner le développement du secteur, notamment en facilitant aux structures de petite taille l'accès au financement. Mais ces fonds « ont tendance à travailler plus avec les SFD de grande taille, plus structurés, qu'avec les petits », considère Babacar Diop. Depuis son lancement, le FONAMIF a financé 581 projets pour un montant 866,34 millions FCFA et a formé 413 femmes, agents et responsables de mutuelles isolées dans le domaine de la gouvernance, et de l'analyse financière.

La ministre de la Microfinance et de l'Économie sociale et solidaire, Victorine Anquediche Ndeye, rappelait aussi qu'à travers la mise en oeuvre du programme d'appui sectoriel microfinance et économie sociale et solidaire, l'État du Sénégal avait mis à la disposition du secteur une enveloppe d'un milliard dans le cadre du fonds Force Covid-19 répartie en deux volets. Il s'agissait d'une part, du refinancement de 20 SFD de petite taille pour 480 millions de FCFA, touchant 1883 personnes, et d'autre part, de la subvention aux acteurs de l'ESS (économie sociale et solidaire) pour 550 millions FCFA, nonobstant l'augmentation du barème des salaires des travailleurs des SFD de 5 à 10% depuis le 1er juillet 2023.

En plus de ces mécanismes, les structures de grande taille peuvent également compter sur les ressources de certains bailleurs de fonds. Ainsi, Baobab (ex-Microcred) a bénéficié d'un financement de 14 millions de dollars (9,14 milliards FCFA) de la Société financière internationale (IFC en anglais), filiale de la Banque mondiale dédiée au financement du secteur privé. Ces ressources devraient permettre à Baobab d'octroyer plus de 115 000 prêts à l'horizon 2027, dont 50 000 destinés aux femmes.

Autosuffisance opérationnelle

Malgré les taux d'intérêts jugés élevés par la clientèle, la plupart des SFD peinent à atteindre l'autosuffisance opérationnelle avec un taux moyen de 116% au second trimestre 2023, alors que la norme fixée par la BCEAO est à 130% au minimum. Celle-ci « a fixé la barre très haut sans moyens d'accompagnement pour les SFD », de l'avis de Babacar Diop, gérant de la Femuni. En 2022, sa mutuelle n'a réussi qu'à atteindre un taux d'autosuffisance opérationnelle de 115,1% avec un volume de crédit légèrement supérieur à 51 millions FCFA. De même, les SFD peinent à atteindre la marge bénéficiaire fixée par la norme à 20% minimum.

Ce qu'il faut noter, c'est que le taux de marge bénéficiaire s'est dégradé de 7 points de pourcentage par rapport au trimestre précédent et en variation annuelle pour s'établir à 8% en moyenne au second trimestre 2023. Enfin, pour un plafond de 60%, la norme du coefficient d'exploitation n'est pas respectée avec un taux moyen de 72%.

L'une des principales contraintes auxquelles sont confrontés les SFD est en définitive d'ordre réglementaire. En effet, le coût des ressources est assez prohibitif face à une législation qui ne permet pas l'accès des SFD au marché interbancaire ni au refinancement de la BCEAO. Dès lors, leur seul recours demeure la levée de fonds auprès des banques commerciales et de certains bailleurs/investisseurs internationaux au taux moyen de 8 à 12%.

Cependant, d'après le rapport de la DRS/SFD, les SFD parviennent à couvrir leurs charges par leurs produits. « Ce ratio s'est amélioré de 8 points de pourcentage. Il s'est établi à 122% contre 114% au trimestre précédent. En variation annuelle, il s'est amélioré de 9 points de pourcentage à cause notamment des progressions de 32 points de pourcentage relevées chez les IMCEC non affiliées, de 5 points de pourcentage chez les IMCEC affiliées et de 2 points de pourcentage chez les sociétés commerciales », selon ledit rapport.

En revanche, poursuit le document, les SFD peinent à atteindre la marge bénéficiaire requise dont la norme est fixée à 20% minimum. Etabli, en moyenne, à 15% au 1er trimestre 2023, le taux de marge bénéficiaire ne s'est amélioré que de 4 points de pourcentage par rapport au trimestre précédent et en variation annuelle. En effet, cette tendance haussière est plus marquée au niveau des IMCECS non affiliés qui ont enregistré une progression de 6 points de pourcentage, tel n'est pas le cas au niveau des IMCECS affiliés.

Faible contribution au financement de l'entreprenariat, mais une philosophie du développement.

Bâtie sur des principes du « learning by doing », le secteur de la microfinance demande, selon la présidente de la FDEA Microfinance et ancienne ministre de la Coopération décentralisée et de la Planification régionale entre 2002 et 2005, beaucoup d'humilité, d'observation et d'écoute. « Nous n'avons pas tout réussi. Tous les gens qui ont été financés n'ont pas réussi à avoir des entreprises viables, ni durables. Nous n'avons pas certes bâti de grandes entreprises mais nous avons vu les enfants des gens que nous avons financés aller à l'université, avoir de bons diplômes pour continuer le travail que nous avons commencé », déclarait Soukeyna Ndiaye Bâ lors d'une cérémonie de remise de diplômes à des agents des SFD, le 8 septembre dernier à Dakar.

Pour cette dernière, la vocation des SFD n'est pas tant de financer la création d'entreprises, mais de permettre à des gens de régler leurs problèmes. « Quand on accorde un financement de 300 000 ou 100 000 FCFA à quelqu'un, on ne peut pas prétendre permettre à cette personne d'être entrepreneur ; même si certains entrepreneurs ont commencé avec 60 000 FCFA », dit-elle. Elle renseigne que les entrepreneurs ne représentent que 8% des personnes financées par les SFD. « L'essentiel c'est que nous avons aidé des familles à se consolider, à avoir des maisons, de quoi s'occuper de leurs enfants. C'est ce qui doit être votre ligne de mire. Vous allez être des constructeurs d'un développement social qui est essentiel pour un développement économique », avait-elle lancé aux acteurs des SFD.

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