Sénégal: Souleymane Bachir Diagne relève une « connivence » entre Senghor et Amar Samb

Rabat — Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne a relevé une « connivence » entre Léopold Sedar Senghor (Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache) et le professeur Amar Samb, auteur il y a "presque un demi siècle" d'un ouvrage tiré de sa thèse et intitulé "Essai sur la contribution du Sénégal à la littérature d'expression arabe".

Le livre du Pr Samb est une "oeuvre pionnière" et "un vrai manifeste", soutient le Pr Diagne, directeur des études africaines à Columbia University et membre de l'Académie du Royaume du Maroc. C'est un "manifeste", car étant une "référence à une intervention militante", a-t-il expliqué lors d'un colloque scientifique organisé lundi à Rabat, sur "les pionniers de la culture arabo-islamique au Sénégal".

"Il n'est que de voir le titre et ce que dit A. Samb lorsqu'il écrit : +cette contribution du pays de Senghor à la littérature d'expression arabe sera (...) à la fois un défi et une caution devant l'histoire+ », a-t-il indiqué en introduisant le thème : « Contributions sénégalaises à la philosophie du soufisme ».

Le fait est que cette contribution "effectue pour la littérature d'expression arabe ce qu'en son temps, en 1948, une autre anthologie poétique avait effectué pour la littérature d'expression française", a relève le Pr Diagne, nommé récemment membre de l'Académie du Royaume du Maroc, co-organisatrice du colloque avec l'ambassade du Sénégal au Maroc..

Pour lui, il s'est agi de "faire un parallèle. Ou plutôt marquer une convergence puisque par définition les parallèles ne se rencontrent pas".

De son point de vue, "la connivence entre Senghor et Samb est qu'il s'agit de défendre et d'illustrer un génie et une contribution nègres dans les langues française et arabe".

"L'Essai appartient ainsi au champ de la négritude. Faire se rejoindre dans une même cause les intellectuels d'expression française et ceux qu'Ousmane Kane a appelé les +intellectuels non europhones+", analyse-t-il.

Il rappelle que "ce champ d'étude d'une tradition intellectuelle non europhone dont témoignent les manuscrits qui font aujourd'hui l'objet d'une grande attention et de recherches est appelé Timbuktu Studies, ce qu'on traduit par +études tombouctiennes+. Seulement parce que centre le plus célèbre, la capitale intellectuelle du Mali et du Songhay mais bien entendu d'autres centres existent (...) ».

Le philosophe affirme que "la contribution sénégalaise s'éclaire à la lumière des études tombouctiennes en général".

L'Essai du Pr, affirme-t-il, est un "texte pionnier des Timbuktu Studies qui indique les difficultés pour établir une tradition intellectuelle d'expression arabe ou ajami dans l'Ouest africain".

Selon lui, "les manuscrits il faut les trouver, savoir d'abord où. Une fois qu'on les localise, il faut pouvoir convaincre les familles. Il a fallu, pour chaque écrivain, fouiller dans les archives, fréquenter sa famille ou ses descendants, mettre en condition soit par des moyens financiers, soit par de longues palabres sous un tamarinier, interroger les écrits, faire des lectures innombrables, en discuter l'authenticité, trier le bon grain de l'ivraie dans les témoignages et dans la tradition orale ».

S'y ajoute également »le fait que les familles peuvent avoir un rapport aux manuscrits qui est à la fois affectif et superstitieux : +beaucoup d'écrits dorment encore dans les malles ou servent de gris-gris... +".

"'Des pionniers comme John Hunwick, Sean O'Fahey les auteurs de Arabic Literature in Africa (Vol. 5, contribution d'Ousmane Kane) ont rencontré ce problème. Plus le fait que les manuscrits ont valeur monétaire », a relevé Diagne.

Souleymane Bachir Diagne est convaincu que "la circulation et la traduction qui organisent la rencontre entre tradition intellectuelle non europhone et tradition intellectuelle dans les langues de travail de bien des intellectuels africains aujourd'hui est la meilleure manière d'honorer la contribution sénégalaise à la littérature d'expression arabe (...)".

Selon lui, "un texte vit de circuler et ce faisant ne perd rien de sa puissance spirituelle, bien au contraire".

"C'est pourquoi parler contribution est saluer la construction de ponts que sont les traductions en français de Prof. Rawane Mbaye, concernant La perle des sens ou l'oeuvre d'El Hadj Malick Sy (Pensée et action), de Maurice Puech ou de Mouhamadou Alpha Cissé pour ce qui concerne le livre des Lances de Cheikh Oumar Fūtī pour ne citer que ces noms... », soutient-il.

De son point de vue, »il est important de considérer la contribution théorique et de mettre l'accent sur celle-ci. Aller au-delà du propos poétique qui était l'objet du livre d'Amar Samb ».

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