Tunisie: Jalel Ben Romdhane, consultant et expert en capital risque, à La Presse - «Le crowdfunding va démocratiser l'accès aux capitaux»

19 Décembre 2023
interview

Le crowdfunding est-il un vecteur d'inclusion financière pour les start-up et les TPE ? Dans cette interview, nous nous entretenons avec Jalel Ben Romdhane, consultant et expert en capital risque, afin d'éclairer les lecteurs sur ces questions cruciales.

Qu'est-ce que le « crowdfunding » et quel est son objectif ?

Au sens littéral du terme, c'est le « financement par la foule ». Le « crowdfunding » consiste à collecter des fonds, via une plateforme en ligne, pour financer un projet en mettant en relation des donateurs et des porteurs de projets. L'objectif est de récolter des fonds sous forme de petits montants, auprès d'un large public et de fournir le financement nécessaire aux projets et aux sociétés en vue de promouvoir l'investissement, l'entrepreneuriat, la créativité et l'innovation.

Cependant, une Plateforme de « Crowdfunding » en ligne est un site Web ou une application mobile qui sera à la disposition des usagers. Son objectif est de mettre en relation le contributeur avec la société. Notons que toute opération de « Crowdfunding » doit faire l'objet d'un contrat conclu entre le porteur de projet et le contributeur.

Les principes du « crowdfunding » datent de plusieurs siècles, au travers de projets d'envergure qui ont nécessité la participation de nombreux acteurs et notamment du grand public. Aujourd'hui, c'est une activité en forte croissance, qui est bien développée dans les pays anglo-saxons et qui connaît un développement important dans le monde.

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Le « crowdfunding », dans son esprit, est ancré dans nos traditions en tant que Tunisiens. En effet, le don est une composante de notre vie (occasions familiales, religieuses, causes humanitaires, etc.). Qui ne connaît pas notre célèbre coutume bien tunisienne qui consiste à mettre sur le front de la mariée, lors de la « jeloua », de l'argent ? Cet argent est soit un don ou un prêt qui sera remboursé à son tour au donateur dès qu'il mariera lui-même l'une de ses filles. N'est-ce pas l'esprit du « crowdfunding » ? Certaines régions ont aussi étendu cette pratique à l'entrepreneuriat et la pratique de collecter du financement est une réalité.

Quelle vision avez-vous sur le développement du « crowdfunding » en Tunisie ? Va-t-il se structurer ?

Le « crowdfunding » va contribuer à apporter une capacité à démocratiser l'accès aux capitaux à des entreprises et de toucher des publics plus larges, notamment les générations Z. C'est aussi un véhicule qui permettra de combler un vide pour des entreprises, des personnes et des associations qui ne trouvaient pas de financement (publics, bailleurs de fonds ou système financier actuel). Il faut savoir aussi que le « crowdfunding » repose sur des valeurs : de la transparence et des procédures rigoureuses qui structurent l'entreprise (le demandeur) et enrichissent l'investisseur (le donateur).

Nous avons plus de 15.000 associations en Tunisie, des TPE/PME non éligibles aux circuits de financement traditionnels (90% du tissu économique sont des TPE/PME) et des individus qui seront les clients des plateformes. Les collectivités locales, les « exclus » du système bancaire et les entreprises en recherche de visibilité seront aussi de potentiels clients des plateformes de « crowdfunding ».

J'insiste notamment sur les créateurs, les créatifs, les startupers et les freelancers qui sont des populations en totale rupture avec le système traditionnel. Ce mode de financement pourrait aussi être une nouvelle source de levée de fonds pour eux et aussi ou des projets dans des domaines où le financement est plus difficile, tels que les industries créatives et le domaine sportif.

Les plateformes de « crowdfunding » sont un outil qui pourrait faciliter l'investissement de la diaspora en Tunisie, si les procédures de transfert de fonds étaient simplifiées. Nous ne pourrons pas rester éternellement à l'écart d'une tendance lourde et structurelle à l'échelle mondiale, quelles que soient les résistances.

D'après Bloomberg, le marché du « crowdfunding » atteindra 28,2 milliards de dollars en 2028... Les plateformes de financement participatif vont certainement connaître un essor au vu de la faiblesse structurelle (et même culturelle...) de l'offre de financements pour les start-up et les TPE/PME, de la nécessité de canaliser l'épargne vers l'investissement productif et la création de valeur et aussi du comportement spécifique de la génération Z (communauté, solidarité, etc.)

Les plateformes de crowdfunding augmentent en Tunisie ; quel est selon vous le principal challenge aujourd'hui ?

Des projets, il y en a eu, il y en a et il y en aura ! Le délai qu'a pris la loi dans sa mise en oeuvre a fait que des projets ont été abandonnés et d'autres sont nés (on renonce environ à une quinzaine de projets de plateformes à divers degrés de maturité, dont au moins deux actifs). Il y aura certainement pendant une période « un effet de nouveauté » qui fera que l'offre des plateformes sera supérieure à la profondeur du marché (projets). A moyen terme, resteront les opérateurs aux modèles économiques viables et qui sauront faire valoir leur professionnalisme.

Le principal défi auquel seront confrontées les plateformes du « crowdfunding » sera inéluctablement d'asseoir une activité récurrente, pérenne et de bâtir une réputation, compte tenu des difficultés techniques et juridiques qui vont se présenter.

Il est indéniable que les plateformes sont un vecteur d'inclusion financière pour les start-up et les TPE/PME (financement) et un moyen de mobiliser des petits montants, inaccessibles autrement. Par ailleurs, cela permettra aux entreprises de se soumettre à une « diligence » et de se confronter à la réalité du marché. En premier lieu, certainement, le déficit de culture financière en Tunisie, la faible utilisation de la monétique (cartes de paiement) et certaines autres limites techniques. Il y a aussi le fait que c'est un mode de financement incertain puisqu'il y a un seuil de contribution à atteindre, un risque de contamination par les échecs de projets similaires et l'impact de la qualité de la campagne.

Quelle sera, selon vous, l'attitude du secteur bancaire face à cette flambée du « crowdfunding » ?

A priori les banques seront obligatoirement une partie prenante pour toutes les plateformes, puisqu'elles en seront les dépositaires. C'est un challenge technique mais qui sera générateur de dépôts pour les banques. Commercialement, ça pourra, peut-être, motiver certaines d'entre elles qui cherchent à accroître ou renouveler leur portefeuille. L'idée n'est pas très enthousiasmante pour les banques puisque l'activité reste assez risquée à la base, avec des règles de fonctionnement spécifiques.

Par ailleurs, dans la configuration actuelle de la loi, que les banques créent une plateforme est une perspective lointaine car elles ne pourront ni l'administrer ni la diriger. (Source : Décret n° 2022-765 du 19 octobre 2022, portant la réglementation de l'activité de « Crowdfunding » en investissement dans des valeurs mobilières).

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