Ile Maurice: Pravind Jugnauth justifie et attaque

20 Décembre 2023

Pravind Jugnauth a commencé son long discours de deux heures sur le Financial Crimes Commission (FCC) Bill hier en dénonçant l'opposition qui, selon lui, a déserté le Parlement en ce jour d'importance capitale. Il a même demandé aux cameramen de la Parliament TV de filmer les chaises vides.

Ce que ces derniers ont fait... Le Premier ministre (PM) a aussi blâmé l'opposition pour avoir insulté constamment le speaker, provoqué des walkouts et cherché les expulsions. Il portera dans la foulée un coup bas à cette même opposition en accusant certains de ses membres d'avoir pris le petit-déjeuner servi par l'Assemblée nationale pour ensuite aller manifester devant le Parlement, «alors que [nous], [nous] travaillons». Il dit aussi avoir reçu des renseignements selon lesquels des membres de l'opposition auraient pris aussi le déjeuner en takeaway... Tout en reconnaissant que c'est leur droit de se nourrir...

Ce n'est qu'après presque dix minutes que le PM a abordé le FCC Bill, sujet de son intervention. Il a souligné que l'opposition a choisi d'en cibler seulement trois clauses, la 10, la 66 et la 142, «alors qu'il en contient 169». Et de se lancer dans une lecture détaillée de ces trois clauses avant de justifier la clause 142 qui selon lui «vise à protéger l'intégrité de notre secteur financier en évitant des délais inutiles dans les enquêtes». Il rappelle d'ailleurs que l' Attorney General a beaucoup travaillé sur ce projet de loi «avec l'aide d'éminents juristes». Et c'était reparti pour une lecture de tous les alinéas de l'article 72 de la Constitution qui concerne le Directeur des poursuites publiques (DPP).

%

Attaque contre le DPP

Le PM est ainsi entré dans le vif du sujet de son argumentation : «Le DPP ne détient pas l'exclusivité pour intenter des procès au pénal et son consentement n'est pas absolument requis.» Mais à condition, explique-t-il, qu'il existe des lois pour cela. Comme le FCC Bill et les amendements des autres lois y relatives et sur lesquels il est revenu.

Pravind Jugnauth offre en même temps d'autres arguments pour soutenir que le DPP ne détient pas l'exclusivité pour les poursuites. Et cite le professeur Alexander de Smith, le père de notre Constitution, et aussi l'ancien DPP La Bauve D'Arifat. Avant de continuer, le PM s'est dit conscient que tout ce qu'il dira serait repris par la Cour suprême et le Privy Council car il s'attend à des plaintes constitutionnelles. «Laissez-moi freiner un peu leurs ardeurs...» assène-t-il. Puis de citer le jugement du Privy Council de 2014 CP v Benjamin d'Antigue et Barbuda dont l'express avait parlé hier. Pour Pravind Jugnauth ce jugement et trois autres du même Privy Council concluent sans aucun doute que le DPP doit céder la place face aux agences anticorruption pour pouvoir traduire un suspect en justice. Il parlera aussi du Serious Fraud Office anglais mais c'était dans les affaires d'impôts et de douane. Il rappellera cyniquement que le DPP britannique est nommé par l'Attorney General.

Collendavelloo le sage

Pravind Jugnauth entame alors ses réponses aux critiques de l'opposition. «À la FCC, c'est une commission composée de cinq personnes qui décident de poursuivre ou non. Contrairement au bureau du DPP, où c'est une seule personne qui décide.» Le DPP y répondra sans doute. Le PM reprendra également à plusieurs reprises les critiques venant de Paul Bérenger. «Il affirme que nous n'avons pas amendé l'article 72 de la Constitution car nous n'avons pas la majorité pour ce faire. Mais nous n'avions pas besoin de le faire.» Car, selon sa lecture, les alinéas 3 et 5 de cet article prévoient que d'autres personnes ou autorités peuvent aussi traduire des suspects en justice.

Quant à la question que Shakeel Mohamed lui avait posée, Pravind Jugnauth lui demande de patienter car «ces affaires concernant les litiges entre le commissaire de police et le DPP sont devant le tribunal». Répondant à Ritesh Ramful qui avait égratigné - c'est peu dire - Ivan Collendavelloo, qui avait déclaré en 2001 que donner des pouvoirs de poursuite à l' Independent Commission Against Corruption (ICAC) serait faire de cette dernière un monstre, alors que le même Collendavelloo défend le contraire maintenant avec la FCC, le PM justifiera le changement de position de l'ex-Deputy Prime Minister en déclarant qu'il s'est assagi. Cela, alors qu'Alan Ganoo, lui, avait trouvé que Collendavelloo a conservé sa ligne de pensée !

Pravind Jugnauth a remis les pendules à l'heure concernant les «espionnages» qui seront effectuées par la future FCC. «Le controlled remittance et les surveillances sont déjà effectués par l'ICAC.» Pour ce qui est des «intrusive surveillances» et autres interceptions, «la police les pratiquent déjà dans la lutte contre la drogue». Tout en rappelant qu'un ordre de la cour est nécessaire. «C'est pratiqué partout dans le monde pour détecter les crimes et en découvrir les auteurs.»

Pour répondre à Ritesh Ramful, qui avait affirmé que ni la Financial Action Task Force, ni l' Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG), ni la Commission d'enquête sur la drogue n'avaient montré du doigt le bureau du DPP mais la police et l'ICAC, le PM s'est procuré une recommandation de l'ESAAMLG selon laquelle c'est le bureau du DPP qui a été blâmé pour n'avoir pas intenté de poursuites pour les «predicate offences», autrement dit les délits de blanchiment d'argent, entre autres. Il ne dit pas que c'est l'ICAC qui enquête et recommande de poursuivre pour ces délits. Ici aussi, il faudra s'attendre à une riposte du DPP.

Pravind Jugnauth cite à nouveau les autres institutions dont le chef est nommé soit par lui ou sous son avis, comme la National Human Rights Commission ou le Central Procurement Board, tout en omettant de dire que ces institutions ne traînent personne en justice. Il rappelle dans le même souffle que même le chef juge est nommé par le président de la République mais sans dire que ça doit normalement être le Senior Puisne Judge qui est choisi. «Le chef de l' Electoral Supervisory Commission est nommé par la Judicial and Legal Service Commission et ce n'est pas pour cela que l'opposition ne le critique pas.»

Toujours pour rassurer, Pravind Jugnauth soulignera que la FCC sera chapeautée par un comité parlementaire et ses enquêtes supervisées par l' Operation Review Committee. Et que si, lui, le PM, participe à la désignation du directeur de la FCC, ce n'est pas lui qui décide de le mettre à pied. Et concernant la critique formulée par Arvin Boolell quant aux attaques sur la profession légale, Pravind Jugnauth rappelle que cette dernière est déjà tenue de se conformer à la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act et que «les hommes de loi doivent effectuer leur due diligence en ce qui concerne leurs clients. D'ailleurs, un Judge's Order est nécessaire».

Défense de l'ICAC

Reprenant Reza Uteem sur le peu de résultats obtenus par l'ICAC, le PM répondra par les mesures prises par cette dernière dont celles visant à éduquer et l'imposition de transparence notamment pour les appels d'offres. «Il ne faut pas juger l'ICAC par le nombre de condamnations.» En même temps, le PM justifie la création de la FCC par le peu de résultats de l'ICAC...

Le chef du gouvernement a terminé en parlant de liens entre le Parti travailliste et le Parti mauricien social-démocrate avec les «trafiquants de drogue», surtout ceux qui ont été «seulement» accusés et non condamnés comme «Akil B., Bruneau L. ou Veemen S.». Le speaker n'a pas bronché quand le PM a cité les prénoms.

On s'attendait à ce que Pravind Jugnauth réponde aux accusations de Reza Uteem à l'effet que le gouvernement est venu avec ce projet de loi pour enterrer les affaires Angus Road, stag party et autres St.-Louis. Mais il ne l'a pas fait. Il a bien essayé de contredire Ritesh Ramful, qui avait souligné que le DPP ne délègue certains de ses pouvoirs que pour de petites contraventions comme celles sous la Food Act. Le PM ajoutera d'autres cas de délégation de pouvoirs, tout en soulignant que ces délits sont passibles de grosses amendes et d'emprisonnement. Mais il n'a pas dit que ce ne sont pas des «arrestable offences» qui, elles, font justement peur.

Le FFC Bill a été voté avec quelques amendements vers 17 heures hier.

Réactions

L'opposition boude les débats

L'opposition a boycotté la reprise des débats parlementaires hier sur le controversé FCC Bill. Elle contestait non seulement certaines clauses du projet de loi, mais souhaitait montrer sa désapprobation contre le fait que les quatre derniers intervenants étaient des membres du gouvernement. D'habitude, un élu de l'opposition fait partie de trois derniers élus à prendre la parole. Il faut aussi noter que les trois ministres, Leela Devi Dookun-Luchoomun, Alan Ganoo et Maneesh Gobin ont parlé pendant plus de vingt minutes. Durant les précédentes séances, le speaker Sooroojdev Phokeer mettait un point d'honneur à s'assurer que tous les intervenants respectaient le temps qui leur avait été alloué.

Leela Devi DookunLluchoomun : «L'opposition passe son temps à empoisonner l'esprit de la population»

Le ministre de l'Éducation a expliqué que la FCC empêchera les contrevenants de profiter des failles dans les lois. «Donnez la chance à la FFC de faire ses preuves», a déclaré Leela Devi Dookun-Luchoomun, affirmant qu'elle n'a rien trouvé de concret dans les arguments de l'opposition. Elle a aussi expliqué que la façon de nommer le directeur général de la FFC n'a rien d'anormal, citant la nomination du commissaire de police, de l'Ombusdperson et du chef juge. «Il n'y aura pas d'ingérence. L'opposition passe son temps à empoisonner l'esprit de la population. Je ne comprends pas. Il n'y a que Kailesh Jagutpal qui pourra nous dire ce qui pousse l'opposition à semer le doute dans la tête de la population.» La ministre a aussi rappelé que l'opposition faisait croire que Maurice allait vite se retrouvait sur la liste noire de l'Union européenne, mais qu'elle est sortie de la liste grise en un temps record. Leela Devi Dookun-Luchoomun a affirmé que ce la FCC renforcera la crédibilité de Maurice pour attirer les investisseurs. Elle a aussi parlé sur la protection des témoins et des informateurs. «Cette loi encouragera la population à dénoncer les fraudes et protège les témoins et ceux qui sont en danger.» Elle a également maintenu que la culture «dité» devra disparaître avec cette loi. «Ceux qui ont les mains propres n'auront rien à craindre.»

Alan Ganoo : «Elle fait croire que tout tourne autour de Navin Ramgoolam»

Pour Alan Ganoo, le ministre du Transport, ce projet de loi est un outil important pour combattre la fraude et la corruption même dans le domaine du sport. «La condamnation précédente d'un suspect pourra être soulevée en cour pour démontrer que le crime du blanchiment d'argent est lié à une précédence affaire. Aux grands maux, les grands remèdes.» Alan Ganoo a affirmé que la peur doit désormais changer de camp. «L'opposition dit que c'est une loi dangereuse. Oui, c'est une loi dangereuse pour la mafia de la drogue et pour ceux qui s'adonnent au blanchiment d'argent. Nous visons le coeur de leur activité. Les citoyens de ce pays ont le droit de vivre en paix.» Le ministre du Transport a déclaré que l'opposition et une section de la presse - qui a son propre agenda - mènent un faux débat sur le pouvoir du Directeur des poursuites publiques (DPP). «Le DPP conservera son pouvoir de poursuivre et d'arrêter les poursuites. L'argument de l'opposition est que le DPP n'aura pas le dossier pour décider s'il faut arrêter des poursuites ou pas. Il faut rappeler que dans des cas des poursuites privées entre deux personnes, le DPP a réagi à plusieurs reprises pour demander l'arrêt de procès.» Par la suite, Alan Ganoo s'en est pris à Navin Ramgoolam et à l'alliance Parti travailliste-Mouvement militant mauricien-Parti mauricien social-démocrate. «L'opposition fait croire qu'il y a un lien entre Navin Ramgoolam et ce projet de loi. Elle fait croire que tout tourne autour de Navin Ramgoolam car leur avenir dépend de Navin Ramgoolam. Le Premier ministre a mis le dernier clou dans leur cercueil. Leur alliance n'arrive pas à décoller. Elle a fait un meeting à la circonscription no13 qui n'a attiré que 1 300 personnes.»

Maneesh Gobin: «Nous allons faire danser Nando Bodha»

L' Attorney General s'est acharné sur l'opposition qui était absente de l'Hémicycle hier. Il a surtout ciblé Nando Bodha, l'ancien secrétaire général du Mouvement socialiste militant, et Xavier-Luc Duval. «J'ai été élu pour être présent à l'Assemblée nationale et, eux, ils ont été élus pour s'absenter du Parlement», a-t-il argué. «Nous allons faire danser Nando Bodha comme il a essayé de danser sur le trottoir pour protester.» Selon lui, la FCC Act vise à réunir les différentes lois existantes tout en les améliorant. Concernant la surveillance électronique, Maneesh Gobin a déclaré qu'il n'y a rien de nouveau à cela. Il a rappelé que l'Information and Communication Technologies Authority Act prévoit déjà cet exercice à condition d'avoir le consentement d'un juge. Il a insisté que sous la FFC Act, il faudra régulièrement chercher le consentement d'un juge avant d'agir. Il a aussi déclaré que la FFC est redevable envers l'Operation Review Committee qui comprendra cinq membres et qui sera présidé par un ancien juge ou un homme de loi avec au moins dix ans d'expérience.

AllAfrica publie environ 600 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.