Burkina Faso: L'épidémie de dengue n'est pas due aux moustiques OGM

21 Décembre 2023

OUAGADOUGOU — Selon le Centre des opérations de réponse aux urgences sanitaires (CORUS), le Burkina Faso est confronté à une épidémie de dengue depuis le mois d'août dernier.

Près de 150 000 cas dont 688 décès ont été enregistrés à la date du 5 décembre, d'après un décompte du CORUS. Les villes de Bobo-Dioulasso et Ouagadougou sont considérées comme les épicentres de la maladie.

Cependant, cette résurgence des cas de dengue est au centre d'une controverse dans le pays. A en croire de nombreux Burkinabè, elle est due aux lâchers d'environ 6400 moustiques génétiquement modifiés en juillet 2019 dans le cadre du projet « Target Malaria », sous l'égide de l'Institut de recherche en science de la santé (IRSS) dans les villages de Bana, Pala et Sourkoudiguin à quelques kilomètres de Bobo-Dioulasso.

"C'est vers 2015, qu'on peut parler d'expérimentation sur le paludisme, mais pendant toutes les années antérieures, la dengue existait... Il ne faut pas lier ces deux maladies. Car les expériences se font sur les anophèles mâles et non sur des aèdes"Daniel Yerbanga, directeur régional de la santé de la région du Centre

« Actuellement, nous avons un débat national qui est mené en matière de dengue. L'IRSS, dans les domaines de la recherche et de la lutte contre le paludisme, a développé un certain nombre de technologies et il y a eu des incompréhensions sur la flambée des cas de dengue », explique Moussa Guelbéogo, entomologiste et président de la Commission nationale de lutte antivectorielle au ministère de la Santé.

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Les moustiques qui transmettent la dengue sont différents de ceux qui sont responsables du paludisme, déclare l'entomologiste en précisant qu'« ils ne doivent pas être confondus. A ce jour, les lâchers de moustiques portent sur le paludisme et non de la dengue », clarifie-t-il.

Ce dernier ajoute que « même si les symptômes de la dengue s'apparentent à ceux du paludisme qui sont notamment, de la fièvre, des vomissements, des maux de tête..., le pathogène responsable de la dengue est l'aèdes et celui du paludisme, l'anophèle femelle », explique-t-il.

« Target malaria »

De nombreuses victimes de la dengue sont pourtant convaincues que les moustiques génétiquement modifiés lâchés par le projet « Target malaria » sont à l'origine de leur maladie.

C'est le cas de Awa Sanou, hospitalisée au centre médical avec antenne chirurgicale de Houndé dans la région des Hauts-Bassins dont le chef-lieu est Bobo-Dioulasso.

Couchée sur le flanc, elle ne cesse de se tordre de douleurs après 7 jours d'hospitalisation. « Au début de ma maladie, j'ai cru que c'était le paludisme. Comme mon état ne s'améliorait pas, mon époux m'a conduite à l'hôpital. Mon Test de diagnostic rapide (TDR) de la dengue est positif avec un taux de 8%. Ma température monte souvent au-delà des 35° », murmure-t-elle.

Assis à son chevet, son époux, Cheick Sanou, ajoute : « elle crie souvent à cause des douleurs, car elle a mal partout. Et, ses vomissements ne s'arrêtent pas. Je suis très inquiet parce qu'elle a perdu connaissance aujourd'hui avant de reprendre ses esprits. », relate-t-il.

Selon lui, le gouvernement devrait trouver une solution pour éradiquer cette maladie qui « est liée aux lâchers de moustiques génétiquement modifiés ».

Un avis que partage Germain Eliou, 25 ans. Il a été transporté d'urgence en ambulance pour des soins au CHU Souro Sanou de Bobo-Dioulasso.

« C'est inconscient que j'ai été transporté à l'hôpital. Je pense que c'est cette affaire de moustiques génétiquement modifiés qui nous a tous rendus malades. Je vomis souvent du sang et j'ai mal partout », témoigne ce dernier.

Mais pour Abdoulaye Diabaté, l'investigateur principal du projet « Target Malaria », actuellement, l'épidémie de dengue sévit aussi dans de nombreux pays qui n'expérimentent pas la recherche sur les moustiques génétiquement modifiés.

Scientifiquement, soutient le chercheur, il n'y a aucun lien entre la flambée des cas de dengue et leur projet de recherche sur le paludisme.

« Nos moustiques volent au maximum autour de 500 mètres par rapport à leurs points de lâcher. Lorsqu'on relâche nos moustiques, nous nous rendons compte le lendemain que sur 100 moustiques, seulement 60 survivent. Et au bout de 20 jours, il n'y a plus de moustique lâché qui survive », démontre l'entomologiste.

Il affirme qu'« au-delà de ces 20 jours, chaque mois, nous repartons sur le terrain. Nous avons collecté les données pendant un an et nous n'avons jamais trouvé de moustiques génétiquement modifiés ».

Conditions d'hygiène

D'après Daniel Yerbanga, directeur régional de la santé de la région du Centre, la dengue est une maladie urbaine causée par de mauvaises conditions d'hygiène, qui sont la source de la prolifération des moustiques.

« Les premiers cas de dengue au Burkina remontent à 1925, il n'y avait pas de recherches sur le paludisme à cette époque. C'est vers 2015, qu'on peut parler d'expérimentation sur le paludisme, mais pendant toutes les années antérieures, la dengue existait...Il ne faut pas lier ces deux maladies. Car les expériences se font sur les anophèles mâles et non sur des aèdes », tranche-t-il.

Daniel Yerbanga explique que les cas graves de dengue enregistrés sont liés aux patients fragiles, notamment ceux qui ont des comorbidités comme l'hypertension artérielle, le diabète, l'asthme, la drépanocytose, l'insuffisance rénale, etc.

Il y a également « ceux qui ont été exposés pour la 2e fois à d'autres stéréotypes de la dengue qui sont susceptibles de développer des cas graves... cela peut expliquer la mortalité élevée pour cette flambée de dengue », précise l'intéressé.

Selon le directeur régional de la santé, beaucoup de décès enregistrés ne sont pas liés au paludisme, mais à des complications dues à l'automédication dans le traitement de la dengue.

« 50 % des patients avec des antécédents comme le diabète ou l'hypertension viennent dans un état de faiblesse à cause des retards de consultation ou de l'utilisation de médicaments phytotoxiques qui leur créent des complications, surtout des hémorragies... », révèle Jacques Zoungrana, responsable du service des maladies infectieuses au CHU de Bobo-Dioulasso.

Joseph Soubeiga, médecin épidémiologiste et directeur technique du CORUS, affirme que pour mettre fin à cette flambée de dengue, il faut éviter l'amalgame entre la recherche sur le paludisme et l'épidémie de dengue, mais veiller à réduire les populations de moustiques qui prolifèrent à cause de l'insalubrité.

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