Tunisie: Polémique autour du décret-loi relatif aux associations - La liberté d'association doit-elle être encadrée ?

21 Décembre 2023

La Banque centrale peut traquer toutes les transactions et refuser certains financements douteux

En Tunisie, même si la société civile a joué un rôle important, notamment sur le plan caritatif dans les régions et dans l'encadrement des jeunes, certaines structures agissent dans l'illégalité. Des associations suspectes seraient même impliquées dans l'envoi des jeunes dans les zones de conflits et dans le blanchiment d'argent destiné à financer le terrorisme.

Des voix commencent à s'élever contre l'amendement du décret-loi n°2011-88 du 24 septembre 2011, portant organisation des associations. Pour la société civile, tout amendement qui va dans le sens de pression sur ces composantes de la société civile est synonyme de paralysie, connue comme l'un des piliers de la société tunisienne.

En effet, les acteurs associatifs ne cessent d'exprimer leur crainte à vis-à-vis de l'intention des autorités d'amender ce décret faisant état d'un durcissement des législations et d'une suppression de ce qu'ils appellent «l'un des acquis de la Révolution et un pilier de la liberté de rassemblement et d'association».

Autant rappeler qu'un nouveau projet de loi sur les associations a été soumis par dix députés au Parlement le 10 octobre dernier et approuvé par la commission des droits et libertés, en attendant son examen en plénière pour vote et adoption. Ce texte, s'il est adopté, remplacera le décret-loi 2011-88 relatif aux associations qui a permis, selon certains observateurs, l'émergence d'une société civile diversifiée au lendemain de la révolution tunisienne de 2011.

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Dans sa version actuelle, ce texte accorde au gouvernement des pouvoirs de contrôle et de surveillance étendus sur la création, les activités et les opérations et le financement des organisations indépendantes. Le texte maintient tout de même le système de déclaration pour la création de nouvelles associations.

Parallèlement, le gouvernement se dirige vers l'élaboration d'un nouveau projet de loi portant sur l'activité des associations et de la société civile tunisiennes.

Des associations extensions de partis politiques

D'ailleurs, le Chef du gouvernement, Ahmed Hachani, a présidé, il y a quelques jours, une séance de travail ministérielle au palais du gouvernement à La Kasbah, consacrée aux associations et à leur mode de financement, en présence de la ministre des Finances, Sihem Nemsia, et d'un représentant du ministère de la Justice. Il a été décidé de créer une commission non sectorielle chargée de travailler sur un nouveau projet de loi.

Le Président de la République, Kaïs Saïed, a, à maintes reprises, critiqué le fonctionnement de certaines associations, pointant du doigt leur implication dans la vie politique et les accusant de bénéficier de financements douteux. Récemment, lors d'un entretien avec la ministre de la Justice, le Chef de l'État a révélé qu'une ONG avait obtenu des financements étrangers d'une valeur de 7,615 millions de dinars de 2016 à 2023 au nom de la société civile. Selon lui, «Il ne s'agit pas de restreindre les associations ou la société civile, mais elles étaient une extension des partis et des services de renseignement étrangers». «Ils ont pillé l'État, et il est nécessaire de mettre un terme à cette situation. La justice doit jouer son rôle dans le pays, et nous ne pouvons pas purifier le pays avec de telles institutions tout en laissant ces criminels saccager les ressources du peuple tunisien», a-t-il poursuivi.

Des craintes justifiées ?

Cet amendement risque-t-il de violer le droit à la liberté d'association et mettre en danger l'espace civique en Tunisie s'il est adopté tel quel ? Bassem Trifi, président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'homme (Ltdh), dit craindre, en effet, une atteinte à la liberté de la société civile en Tunisie, mais reconnaît l'existence de plusieurs manquements. «D'ores et déjà, le décret-loi 88 précise de nombreux mécanismes de contrôle, sauf que certaines associations peuvent changer d'activités et opérer dans l'illégalité. C'est à la direction générale des associations à la présidence du gouvernement de faire son travail et de suivre les règlements intérieurs des associations, nous n'avons pas besoin d'une nouvelle loi qui peut menacer les libertés», a-t-il déclaré à La Presse.

Interrogé sur les mécanismes de contrôle du financement douteux de certaines associations, il explique que la Banque centrale peut traquer toutes les transactions et refuser certains financements douteux. «Sans cette nouvelle loi, des associations sont déjà poursuivies par la justice», a-t-il dit rappelant que ce secteur emploie plus de 30 mille personnes d'une manière directe et l'Etat est amené à contrôler les activités douteuses et les financements illicites conformément à l'actuelle législation.

Des associations hors la loi

En Tunisie, même si la société civile a joué un rôle important notamment sur le plan caritatif dans les régions et dans l'encadrement des jeunes, certaines structures agissent en toute illégalité.

Des associations suspectes seraient même impliquées dans l'envoi des jeunes dans les zones de conflits et dans le blanchiment d'argent destiné à financer le terrorisme. La représentante de la présidence du gouvernement, Samia Charfi Kaddour, avait fait savoir en novembre dernier que 272 associations suspectes font l'objet de mesures décrétées à leur encontre. Des ordres de suspension ont été émis à l'encontre de 182 associations.

Toutes ces mesures surviennent à la suite des rapports rendus par le Groupe d'action financière (GAF) et de l'organisation Transparency international, a-t-elle souligné. Et d'expliquer que le nombre grandissant d'associations suspendues provient des flux importants de financements étrangers tout au long de la décennie écoulée, qui ont profité de l'absence d'un texte juridique qui fixe un plafond aux dons envoyés depuis l'étranger.

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