Afrique: Les pagnes en Afrique - «Ces tissus qui parlent et font parler»

interview

C'est une histoire du pouvoir de l'imprimé. Ils sont beaucoup moins connus que le wax, mais les pagnes représentent toute une partie de l'histoire de l'Afrique. La technique d'impression dite « fancy » (« fantaisie » en français) a été utilisée dans des manufactures d'Afrique subsaharienne à partir de l'époque des indépendances africaines. L'exposition « Fancy ! Pagnes commémoratifs en Afrique » au musée du Quai Branly à Paris présente un panorama des dernières soixante années de ces tissus destinées à être portés lors d'évènements publics. Entretien avec la commissaire Sarah Ligner.

RFI : Le pagne est-ce une spécialité africaine ?

Sarah Ligner : Oui, les pagnes commémoratifs sont une spécialité africaine. Ce vêtement, à l'origine, c'est un tissu, un tissu imprimé selon la technique du fancy print. Et c'est cette technique qui est mise à l'honneur dans l'exposition ainsi que son histoire particulière, son rapport au continent africain. À la différence du wax, ce sont des usines implantées sur le continent africain qui impriment ces tissus à l'occasion d'événements souvent à caractère politique, lors de campagnes électorales ou lors de visites officielles de chefs d'État étrangers. Mais cela peut être aussi lors d'événements à caractère religieux, culturel, sportif... Il existe une large palette d'occasions mobilisant l'impression de ces tissus.

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Les pagnes exposés ici affichent des personnalités de toutes sortes : de Youssou N'Dour en passant par Charles de Gaulle jusqu'à Jean-Paul II... Et ils reflètent aussi les ruptures, les révolutions et les évolutions en Afrique, de la colonisation aux indépendances. Par exemple, il y a des pagnes sur le « Nouveau découpage de la République démocratique du Congo », mais aussi sur la rencontre entre le président sénégalais Léopold Sédar Senghor et le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, ou avec la tête de la Libérienne Ellen Johnson Sirleaf, la première femme présidente d'un pays africain... Est-ce la première exposition consacrée à ce sujet ?

C'est la première exposition en France sur ce sujet. Il y a très peu de collections de pagnes commémoratifs. Et nous pouvons présenter cette exposition grâce au don de Bernard Collet et son travail mené ces trente dernières années. Ce photographe français et passionné de ce type d'imprimés commémoratifs a rassemblé une collection de plus de 800 pagnes et il a donné une partie au musée du Quai Branly.

En Afrique, le pagne est avant tout un vêtement féminin et il a aussi été utilisé pour promouvoir des idées féministes. Ces pagnes relatent des événements historiques, mais y a-t-il un pagne qui a fait l'histoire ?

Beaucoup de ces pagnes sont les reflets, les miroirs de l'histoire et on y lit à la fois l'histoire du continent, mais aussi l'impact d'événements qui se sont déroulés en dehors du continent. Je pense par exemple à l'élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis fin 2008 et son intronisation début 2009. Plusieurs pagnes ont été imprimés à son effigie en Afrique de l'Est. Ces tissus sont des kangas célébrant l'accession du premier noir à la présidence des États-Unis.

Les pagnes s'avèrent être souvent des outils de communication des puissants. En revanche, dans un film de l'artiste contemporaine Kapwani Kiwanga, mettant en scène une interaction muette entre deux femmes communiquant à l'aide de kangas, apparaît la phrase : « La gentillesse des pauvres n'est pas comptée ». Existe-t-il des pagnes qui ont servi à la résistance ou à une révolution en Afrique ?

Dans les kangas, on retrouve cette dimension souvent morale à travers les proverbes, les maximes qui sont convoquées et imprimées sur ces tissus parlant de sagesse, de relation entre les êtres humains, de questions de pauvreté, de richesse... Bien sûr, ces tissus portés ont un impact et certains sont aujourd'hui devenus « persona non grata ». Par exemple, porter aujourd'hui en RDC un pagne à l'effigie de Mobutu serait très mal vu.

Beaucoup d'usines ont fermé, le pagne appartient-il à une autre époque ?

L'âge d'or de ces tissus commémoratifs imprimés en fancy print se situe entre les années 1960 et 1990. Un grand nombre de ces usines implantées sur le continent africain ont connu ces dernières années des difficultés économiques et se sont retrouvées confrontées à la concurrence étrangère, en particulier certaines usines qui ont été rachetées par des capitaux chinois, mais avec des pagnes de moindre qualité que les Africains et les Africaines n'ont pas forcément adoptés.

Le pagne, c'est un mélange savant entre le texte, la couleur et le tissu. Pourrait-on dire qu'il se situe entre l'affiche et le drapeau ?

Oui, ce sont des tissus porte-parole, des tissus bavards aussi, bavards par l'image et par le texte. Ils nous séduisent au premier coup d'oeil, par leurs motifs décoratifs, par leurs couleurs qui rappellent ceux du wax. Ils sont bien souvent composés autour d'une image, d'un portrait photographique, de la mise en scène d'une personne accompagnée de textes. Tout cela renforce le pouvoir de l'imprimé. Ce sont des tissus qui parlent et qui font parler. Lorsqu'on rencontre une personne vêtue de ce tissu, cela peut permettre d'engager un dialogue et de montrer aussi comment faire communauté, comment partager des valeurs et des idées revendiquées par un groupe d'individus.

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