Tunisie: Rapprochement politique entre Tunis et Moscou - La diplomatie tunisienne se veut sur tous les fronts

23 Décembre 2023

En plus de l'annonce d'un accord sur les importations de céréales russes, le lancement de cinq satellites et de projets d'exploration spatiale, le ministre russe des A.E a précisé, à l'issue de sa visite officielle à Tunis, que son pays saluait les réformes politiques engagées par le Président de la République, Kaïs Saïed

Mais la Tunisie est-elle dans une position de sacrifier ses relations avec ses partenaires historiques, l'Union européenne en l'occurrence, pour s'orienter vers de nouvelles puissances mondiales ? Si après des mois de tensions, d'incompréhension et de froid, les relations tuniso-européennes commencent à se réchauffer, avec l'annonce d'une nouvelle assistance financière, la Tunisie a toujours opté pour une politique de non-alignement.

Alors que les relations entre la Tunisie et l'Union européenne, son partenaire historique, sont depuis quelque temps tendues à cause des questions migratoires, Tunis se tourne-t-il vers Moscou et les Brics? La dernière visite du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov rouvre le débat et suscite davantage de questions quant à la réorientation de la diplomatie tunisienne, en profonde métamorphose depuis la nomination de Nabil Ammar.

Outre l'annonce d'un accord sur les importations des céréales russes, le lancement de cinq satellites et des projets d'exploration spatiale, l'incontournable ministre russe des Affaires étrangères a avancé, jeudi dernier, à l'issue d'une visite officielle à Tunis, que son pays saluait les réformes politiques engagées par le Président de la République, Kaïs Saïed, en référence au processus du 25-Juillet. Une déclaration qui a été interprétée comme un rapprochement politique entre Tunis et Moscou, pressenti, d'ailleurs, depuis quelques mois.

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Autant rappeler que le dialogue politique entre nos pays se développait ces dernières années de manière active. Depuis la visite de Sergueï Lavrov à Tunis en mars 2019 et la visite de son homologue tunisien, Mongi Hamdi à l'époque, à Moscou, quelques mois après, les deux parties ont souligné l'intérêt mutuel de donner un nouvel élan aux relations bilatérales, d'élever leur niveau, d'élargir le cadre de la coopération dans les affaires internationales et régionales. Le conflit russo-ukrainien et les récentes agressions sans fin sur la bande de Gaza semblent renforcer davantage ce rapprochement politique sur fond économique.

Quels intérêts pour la Tunisie ?

Mais la Tunisie est-elle dans une position de sacrifier ses relations avec ses partenaires historiques, l'Union européenne en l'occurrence, pour s'orienter vers de nouvelles puissances mondiales ? Si après des mois de tensions, d'incompréhension et de froid, les relations tuniso-européennes commencent à se réchauffer, avec l'annonce d'une nouvelle assistance financière, la Tunisie a toujours opté pour une politique de non-alignement.

D'ailleurs, au cours de cette visite, le très puissant Sergueï Lavrov a répondu implicitement à cette interrogation. «Les principes de la politique étrangère tunisienne prônent l'établissement de nouveaux partenariats stratégiques sans sacrifier les relations avec les anciens partenaires historiques. La Russie, également, ne construit pas de nouvelles alliances au détriment des anciens alliés», a-t-il noté.

Pour répondre à ces préoccupations, alors que la diplomatie tunisienne semble au coeur de profondes mutations et qu'un nouvel ordre mondial est en cours de construction, Mohamed Ibrahim Hsairi, ancien diplomate, analyse pour nous les différents enjeux et les intérêts de la Tunisie. Selon ses propos, la dernière visite de Lavrov vient renforcer des efforts diplomatiques russes après le répit prudent de la situation en Ukraine. «La Russie a entamé une nouvelle ère au niveau de la reconstruction des relations et partenariats diplomatiques, notamment avec les pays arabes. Elle veut renforcer sa présence et son positionnement diplomatique dans les différentes régions du monde et notamment dans les pays arabes et maghrébins», a-t-il expliqué à La Presse.

Et d'ajouter que dans ces efforts, ce pays géant semble bénéficier d'une technologie avancée, celle de l'énergie nucléaire pacifique. «Pour préserver les intérêts de la Tunisie dans ce nouvel échiquier géopolitique, il faut puiser dans ce rapprochement pour renforcer notre sécurité alimentaire en développant les partenariats agricoles avec la Russie, notamment en matière de céréales», a-t-il encore analysé. Et de préciser que ce rapprochement ne signifie en aucun cas une rupture au niveau des relations avec l'Union européenne, le voisin de toujours de la Tunisie.

Les Brics, une alternative ?

En arrière-plan de ce rapprochement entre Tunis et Moscou, figure une rupture entre la Tunisie et le Fonds monétaire international (FMI). En effet, en pleine crise budgétaire, la Tunisie refuse, toujours, de traiter avec l'institution financière, alors que notre pays doit trouver rapidement de quoi financer son budget pour l'année 2024. D'ailleurs, le Président Kaïs Saïed a indiqué, à maintes reprises, qu'il "refusait les diktats du FMI sur la Tunisie".

La Tunisie est depuis plusieurs mois en négociation avec le Fonds pour obtenir un crédit de 1,9 milliard de dollars (1,7 milliard d'euros) qui droit s'étaler sur quatre ans. Mais ces derniers temps, ces négociations ont été gelées et on assiste, semble-t-il, à une quasi-rupture entre les deux parties.

Entretemps, certaines parties essayent de convaincre que la Tunisie doit garder une carte importante au coeur de ces négociations avec le FMI. On affirme que notre diplomatie pourrait s'orienter vers les Brics pour sortir de cette crise, et notamment échapper aux griffes du FMI. Or, les différents économistes estiment que les Brics ne peuvent pas remplacer un éventuel accord avec le FMI qui ouvrira les portes à de nouveaux financements étrangers.

Autant rappeler que le groupe Brics est une organisation internationale composée de cinq pays : le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud. Le groupe a été formé en 2009 pour promouvoir la coopération économique entre les pays membres, en particulier dans les domaines du commerce, des investissements et de l'innovation.

Reste à savoir comment la diplomatie tunisienne compte mettre en place ses choix stratégiques, alors que le monde entier est sur le point d'entrer dans un nouvel ordre mondial loin de l'hégémonie longtemps exercée par une seule alliance. Un véritable jeu d'équilibriste.

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