Sénégal: Les procès d'Ousmane Sonko ont dominé la vie politique sénégalaise en 2023

Ousmane Sonko, Homme Politique, Maire de Ziguinchor, Président du parti politique PASTEF-Les Patriotes

Dakar — Deux mille vingt-trois, une année tumultueuse sur le plan politique : trois procès au moins concernant Ousmane Sonko, la suppression de son parti politique et sa détention, les violences politiques et les arrestations de centaines de manifestants font partie des événements politiques mémorables de cette année.

La décision de Macky Sall de ne pas briguer un nouveau mandat présidentiel et la désignation d'Amadou Ba comme candidat de la majorité à l'élection présidentielle de 2024 font également partie des faits majeurs.

Le 30 avril, l'opposant Ousmane Sonko est condamné pour diffamation envers le ministre du Tourisme et des Loisirs, Mame Mbaye Niang. Ce dernier se plaint d'avoir été accusé, par le maire de Ziguinchor (sud), de malversations financières liées à sa gestion d'un budget destiné à créer des emplois agricoles. L'opposant est condamné en même temps à payer 200 millions de francs CFA au ministre en guise de dommages et intérêts.

Le 6 mai, Ousmane Sonko est condamné en appel à six mois de prison avec sursis pour diffamation et injures publiques et doit payer 200 millions de francs CFA au plaignant. Pour dommages et intérêts. Pour rappel, ce procès s'est tenu sans la présence du prévenu, qui a déclaré : "J'ai décidé, dans le cadre de ma campagne de désobéissance civile, de ne plus collaborer avec cette justice."

Il sera jugé également par contumace dans une affaire judiciaire contre la jeune dame Adji Sarr. Cette employée d'un salon de beauté l'accusait depuis février 2021 de viol et de menaces de mort, des accusations dont Ousmane Sonko a été blanchi. Mais dans la même affaire, il est condamné, le 1er juin, à deux ans de prison ferme pour "corruption de la jeunesse".

De violentes manifestations éclatent le jour où cette décision est rendue et font 16 morts, selon le gouvernement. L'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty International parle de 23 morts, Pastef-Les patriotes, le parti politique d'Ousmane Sonko, faisant état d'une trentaine de personnes tuées.

Accusée d'avoir tiré à balles réelles sur des manifestants, la Police nationale s'en défend.

"Des entreprises du secteur privés du pétrole et du gaz, de la grande distribution, des télécommunications et du numérique ont été brûlés, pillés et vandalisés. Il s'en est suivi un arrêt quasi-généralisé des activités économiques pendant trois jours. Au total, des centaines de milliards de francs CFA ont été perdus en investissements et en chiffre d'affaires", déclare Baïdy Agne, le président du CNP, l'une des principales organisations patronales du pays.

"On viole la loi, on brûle et on pille"

Les villes de Dakar, Guédiawaye, Keur Massar, Pikine, Rufisque et Ziguinchor paient le plus lourd tribut, avec le plus grand nombre de morts, d'arrestations et de pillages.

Le parquet de Dakar annonce l'arrestation de plus de 400 personnes, dont des mineurs, soupçonnées d'avoir pris part aux violentes manifestations survenues après la condamnation d'Ousmane Sonko à deux ans de prison pour "corruption de la jeunesse".

L'année 2023 a également connu un important dialogue national auquel le chef de l'État a invité les leaders politiques, religieux et coutumiers. Le but visé est, selon lui, de décrisper la situation politique, qui a valu à l'opposition des centaines d'arrestations. Ousmane Sonko déclare que plus de 700 militants de son parti ont été arrêtés et placés en détention.

Le chef de l'opposition et d'autres leaders politiques rejettent l'appel au dialogue du président de la République en estimant que les précédents, tenus entre 2016 et 2021, n'ont servi à rien.

"On nous parle de dialogue. Mais celui qui a entrepris le dialogue a dit qu'on n'a pas besoin de dialoguer [...] Il dit qu'il n'y a aucun problème au Sénégal, qu'il n'y a pas de prisonniers politiques, que les institutions fonctionnent bien", a argué M. Sonko.

"On viole la loi, on brûle et on pille. Tout individu qui fait cela est arrêté [...] Ça n'a rien à voir avec les droits de l'homme. Personne n'est détenu au Sénégal pour ses opinions politiques", a soutenu Macky Sall dans une interview accordée à la Radio Futurs Médias (privée).

D'autres opposants prennent part au dialogue. Au terme de la concertation, un projet de loi est adopté le 6 août par l'Assemblée nationale pour "réhabiliter" les responsables politiques condamnés à des peines de prison déjà purgées. Cette modification du code électoral a permis à Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, et à l'ancien ministre Karim Wade de participer légalement au scrutin présidentiel du 25 février 2024.

La loi votée "permet [...] au condamné ayant purgé sa peine de recouvrer ses droits, avec sa réintégration dans le fichier électoral", explique le ministre de l'Intérieur aux députés.

Le 3 juillet, à la surprise de nombreux Sénégalais, Macky Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, annonce sa décision de ne pas être candidat à l'élection présidentielle de 2024. Auparavant, il avait défendu la légalité de sa candidature en 2024.

"Mes chers compatriotes, ma décision longuement et mûrement réfléchie est de ne pas être candidat à la prochaine élection du 25 février 2024", a-t-il déclaré dans un discours diffusé par la RTS.

Cette décision de Macky Sall est saluée par de nombreux chefs d'État et de gouvernement.

"De lourdes conséquences"

Le président de la République fait en même temps part de sa ferme volonté de garantir la sécurité publique et de mettre hors d'état de nuire tous ceux qui tenteraient de la compromettre.

En juin aussi, l'opposant Ousmane Sonko est cueilli de l'intérieur du pays et assigné à résidence. Son domicile fait l'objet d'un blocus pendant près de deux mois. Le 28 juillet, il est arrêté en rentrant de la mosquée de son quartier, à Dakar.

"Il sera poursuivi pour appel à l'insurrection, association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l'État, complot contre l'autorité de l'État, actes et manoeuvres de nature à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, mais également vol de téléphone portable", annonce le procureur du tribunal de grande instance de Dakar, Abdou Karim Diop, le lendemain de son arrestation.

Les faits présumés de "vol d'un téléphone portable appartenant à une gendarme [...] sont juste un élément déclencheur de son arrestation qui était d'ailleurs imminente", précise M. Diop.

Le 31 juillet, le ministre de l'Intérieur annonce la dissolution de Pastef-Les patriotes, le parti politique du maire de Ziguinchor. "Le parti politique Pastef est dissous par décret n° 2023-1407 du 31 juillet 2023", écrit-il dans un communiqué, ajoutant que cette formation politique "a fréquemment appelé ses partisans à des mouvements insurrectionnels", lesquels ont engendré "de lourdes conséquences incluant de nombreuses pertes en vies humaines, de nombreux blessés, ainsi que des actes de saccage et de pillage de biens publics et privés".

Ousmane Sonko se livre ensuite à des grèves de la faim. Le khalife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké, lui demande de s'alimenter et lui envoie des dattes, selon des leaders de l'opposition proches du détenu, qui ont rencontré le guide religieux. M. Sonko poursuit sa grève de la faim et est admis plusieurs fois en réanimation.

Le 9 septembre, Macky Sall met fin à un autre suspense en déclarant avoir choisi le Premier ministre comme candidat de Benno Bokk Yaakaar (BBY), la majorité présidentielle, à l'élection présidentielle de 2024. Cette décision entraîne la démission de BBY de l'ancien Premier ministre Mahammed Dionne, du ministre de l'Agriculture, Aly Ngouille Ndiaye, et du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, Elhadji Mamadou Diao, dit Mame Boye. Ce dernier est vite démis de ses fonctions par Macky Sall.

Ces trois personnalités, pour contester le choix fait par le leader de la majorité présidentielle, font acte de candidature. Amadou Ba, lui, entame rapidement des tournées économiques, que certains analystes considèrent comme une campagne électorale anticipée.

Une vive polémique

Plusieurs mois après l'arrestation d'Ousmane Sonko s'ouvre un retentissant procès au cours duquel ses avocats plaident sa réintégration dans le fichier électoral. Le 12 octobre, un tribunal de Ziguinchor annule sa radiation du fichier électoral et ordonne sa réintégration. Cette décision est "cassée" et "annulée" par la Cour suprême, le 17 novembre.

Chargé à son tour de juger l'affaire, le tribunal hors classe de Dakar prend la même décision que celui de Ziguinchor, mais la Direction générale des élections continue de refuser au mandataire de l'opposant, le député Mohamed Ayib Daffé, la fiche et les autres outils avec lesquels l'opposant en prison doit faire collecter des parrains en vue de sa candidature à l'élection présidentielle.

Au milieu de cette bataille judiciaire, quatre personnalités proches d'Ousmane Sonko, dont le député Guy Marius Sagna, annoncent avoir investi candidat Bassirou Diomaye Faye, le numéro 2 du Pastef dissous, en prison lui aussi.

Le président de la République, de son côté, nomme 12 personnalités chargées de diriger la Commission électorale nationale autonome, dont son nouveau président, l'inspecteur général d'État Abdoulaye Sylla. Une décision qui déclenche une vive polémique, certains experts du droit électoral estimant que Macky Sall n'a pas le droit de nommer en même temps les 12 membres de l'institution chargée du contrôle et de la supervision des élections.

Début octobre, Macky Sall a mis fin aux fonctions du gouvernement d'Amadou Ba, qu'il reconduit au poste de Premier ministre quelques jours après , le chargeant de "répondre aux défis de la souveraineté", d"'assurer une bonne organisation de l'élection présidentielle du 25 février 2024", de "prendre en charge les urgences économiques et sociales, notamment la consolidation de la croissance, l'amélioration du pouvoir d'achat des populations, la lutte contre la vie chère, l'insertion, et l'emploi des jeunes".

L'année tirant à sa fin a vu éclater la coalition Yewwi Askan Wi (YAW), dont certains leaders ont déclaré avoir procédé à l"'expulsion" de Khalifa Sall, lui reprochant notamment de soutenir BBY en allant participer au dialogue national organisé par Macky Sall. Conséquence de cette décision : le groupe parlementaire YAW vole en éclats et ses représentants au bureau du conseil municipal de Dakar se font virer par le maire, Barthélémy Dias, l'un des plus fidèles alliés politiques de Khalifa Sall.

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