Tunisie: Entre Carthage et la Soukra - Les jeunes brillent encore une fois par leur absence !

25 Décembre 2023

Il est 9h00 à l'école primaire Carthage Tanit. Comme d'habitude, pour chaque scrutin post-révolution, cette petite école sise dans l'un des quartiers les plus huppés de la banlieue nord de Tunis se transforme en centre de vote pour recevoir les électeurs venus accomplir leur devoir dans le cadre des élections des conseils locaux. L'école connaît un rythme d'affluence extrêmement long et les l'électeur se font rares.

Ce centre relevant de la circonscription électorale de Tunis II a ouvert ses portes, comme prévu, à huit heures du matin pour recevoir les votants. On s'attendait d'ailleurs à une affluence remarquable au vu de l'importance de ces élections dans les fondements de la troisième République.

Si, selon les responsables des trois bureaux installés au sein de cette école l'affluence était assez bonne dès l'ouverture des portes, de 10h00 jusqu'à 13h00, les gens venus se comptent sur les doigts de la main, comme nous l'avons constaté. «Je ne suis pas autorisé à vous délivrer des chiffres, mais durant les deux premières heures, nous avons constaté une importante affluence», nous déclare le responsable du deuxième bureau de vote, avant de chuchoter à l'oreille de son collègue : «A partir de maintenant nous allons nous endormir, les électeurs n'arriveront pas durant l'heure du déjeuner».

Les quelques dizaines d'habitants de cette banlieue qui ont pris la direction de ce bureau de vote où l'affluence des électeurs n'était pas, en effet, à la hauteur des attentes, sont visiblement déterminés à accomplir ce devoir, avec l'espoir de changer leur quotidien, même si leurs préoccupations sont assez particulières. «Je suis venue pour élire une personne à laquelle je fais vraiment confiance et je pense qu'elle sera en mesure de changer les choses dans mon quartier. Son programme était clair et son message était direct avec des objectifs bien déterminés», explique une électrice, mère de famille de 43 ans.

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Et d'ajouter que pour son cas, ses revendications portent sur une loi anti-nuisance sonore dans son quartier pour limiter les conflits entre les voisins. «Je suis venu pour élire mon ami qui devra représenter tous les jeunes de notre quartier» Selon nos estimations, ce bureau de vote, qui compte plus de 3.500 électeurs inscrits, n'a reçu que deux cents électeurs jusqu'à 13h00, dont la plupart, des personnes âgées. En effet, comme cela a été le cas pour la majorité des scrutins post-révolution, les jeunes ont brillé par leur absence dans ce centre électoral.

Ce n'était pas le cas pour Mahmoud, un jeune étudiant de 23 ans. Accompagné de son père, il est venu accomplir son devoir avec l'espoir de faire valoir sa voix. «Il faut dire que je n'ai pas une grande idée sur le fonctionnement de ces élections, ni celui des conseils locaux et régionaux, mais je suis venu pour élire mon ami qui devra représenter tous les jeunes de notre quartier et leur proposer des solutions à leurs problèmes», a-t-il expliqué. Interrogé au sujet de cette faible affluence des électeurs, le chef de ce centre électoral, Chaker Chrifi, méfiant, préfère ne pas répondre. «C'est une affluence normale», se contente-t-il de dire, ajoutant que l'opération électorale se déroule en toute souplesse et qu'aucun incident n'a été enregistré.

«Je ne suis pas convaincue»

Nous avons profité de ces moments pour nous diriger vers la plage de Carthage Hannibal, à moins de cent mètres de ce centre, en vue d'interroger les citoyens, nombreux ici à profiter de ce temps ensoleillé. Ils se disent tous pas concernés par ce rendez-vous électoral pour diverses raisons. Safia, enseignante de 37 ans, dit ne pas être convaincue de l'utilité de tout ce processus.

«Je pense qu'il fallait investir tout cet argent pour renforcer les municipalités car ces structures sont les plus proches du citoyen. D'ailleurs, dans mon entourage, tout le monde pense que ces élections suscitent une confusion dans la mesure où le rôle de ces conseils et leurs prérogatives ne sont pas connus», témoigne-t-elle. D'une zone huppée à une autre populaire, nous avons pris la direction de La Soukra, où se situe une petite école primaire dans un quartier populaire, la Zouaidia, relevant du gouvernorat de l'Ariana.

Dans ce centre, vers 17h00, soit une heure avant la fermeture des portes, l'image est la même, la faible affluence des électeurs, notamment les plus jeunes, est le maître mot, et le personnel de l'ISIE attend impatiemment l'arrivée des derniers votants. «Franchement, c'est en deçà de nos attentes, rien à dire d'autre», nous déclare, à demi-mot, la présidente de ce centre électoral qui n'a reçu que quelques électeurs tout au long de cette longue journée

L'un des passants exprime sa déception des rendez-vous électoraux, pour justifier son abstention: «Je pense que les différentes élections ont perdu leur valeur tout au long de ces dernières années, rien n'a changé et rien ne changera tant que les candidats s'intéressent seulement à leurs propres intérêts», témoigne ce menuisier de 55 ans.

Compléter la troisième République

Pourtant, ces élections revêtent une importance majeure dans la construction de la troisième République. L'activiste politique Mondher Thabet souligne, en effet, l'importance de ce rendez-vous électoral qui permettra de mettre en place le deuxième Conseil du système parlementaire à travers les élections locales.

Il considère à cet effet que l'absence du Conseil national des régions et des districts s'apparente à un quasi-vide dans l'établissement de la troisième République. Selon ses dires, le poids important de cette deuxième chambre réside dans la représentation des régions et la concrétisation de la dynamique de la décentralisation au niveau législatif, ayant ainsi un impact sur la prise de décision nationale au niveau local.

«Ce conseil aura un effet sur l'autonomisation des différentes catégories sociales, des corps de métiers et des professions pour qu'ils soient directement influents dans l'élaboration des politiques publiques liées au développement», explique-t-il à La Presse. Evoquant l'importance d'un tel rendez-vous électoral, Seifeddine Laabidi, responsable au sein du réseau Mourakiboun, trouve que ces élections sont importantes dans la mesure où elles interviennent comme une première en Tunisie, et que, comme promue par les autorités, elles seraient liées au lancement du développement local et régional en Tunisie. Mais il n'a pas manqué de poser de nombreuses interrogations, notamment au sujet des prérogatives des nouveaux élus. «Aucun texte n'a permis de comprendre précisément le rôle et les prérogatives des nouveaux élus au niveau local, régional et national.

Jusqu'à maintenant, on n'a aucune une idée du rôle du Conseil des régions et des districts, connu comme deuxième chambre». S'agissant des risques encourus en cas de faible participation, comme cela a été le cas lors des élections législatives, Laabidi souligne le point des prérogatives inconnues.

«Déjà les élus se sont présentés sans qu'il n'y ait une connaissance de leur rôle dans le cadre de cette nouvelle organisation, encore moins pour les électeurs», a-t-il analysé à La Presse. Il soulève également un point ambigu au niveau de la relation entre ces conseils locaux, d'une part, et les imadas et municipalités, d'autre part.

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