Treize villages et une coalition de groupes armés : le Nduma Defense of Congo (NDC), du tristement célèbre chef de guerre Ntabo Ntaberi, dit « Sheka ». Tel est le décor du drame survenu en 2010 dans les territoires de Walikale et de Masisi, au Nord-Kivu. Près de 400 personnes, parmi lesquelles des enfants, ont été violées par les miliciens sous les ordres de Sheka. L'enfer a duré quatre jours.
Treize années plus tard, début décembre 2023, un film-documentaire sur le procès de ce chef de guerre est projeté à Kinshasa, dans la salle de conférence de l'hôtel Fleuve Congo. Il s'intitule : « En RDC, traduire un criminel de guerre devant la justice ».
Dans la salle plongée dans la pénombre, l'émotion est à son comble. Certains invités peinent à retenir leurs larmes face aux faits insoutenables. Le film révèle une réalité crue. Chaque image, chaque témoignage résonne comme un appel à l'action contre l'impunité. Au fur et à mesure qu'il se déroule, les spectateurs se trouvent transportés au coeur de cette quête de vérité, confrontés à la cruauté du monde mais aussi inspirés par la résilience de ceux qui luttent pour la justice.
Une victoire pour les victimes
Le documentaire est le fruit d'un partenariat entre la Haute cour militaire et l'Auditorat général des Forces armées de la RDC (FARDC), avec la MONUSCO, à travers sa Section d'appui à la justice (JSS), et le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l'Homme (BCNUDH). Sa projection est donc le résultat d'un projet mené conjointement par ces instances.
Ce n'est pas un deuil mais une célébration des efforts conduits par les autorités judiciaires militaires congolaises pour lutter contre l'impunité des crimes de guerre et crimes internationaux. En effet, en 2020, au terme d'un procès tenu entre le 27 novembre 2018 et 23 novembre 2020, Ntabo Ntaberi Sheka est condamné à la prison à perpétuité pour crimes de guerre, y compris pour viol et esclavage sexuel, au titre de sa responsabilité individuelle et de sa responsabilité de supérieur hiérarchique. Une victoire pour les victimes ainsi que pour la justice militaire congolaise, dans sa lutte contre l'impunité.
« Votre présence témoigne de l'intérêt que vous ne cessez de porter à la marche de la justice militaire congolaise », a déclaré le général-major Joseph Mutombo, premier président de la Haute cour militaire, s'adressant à l'audience
présente.
Face à lui, des représentants des juridictions militaires congolaises, de la présidence et du gouvernement congolais, notamment des ministères de la Justice, de la Défense et des Droits humains, ainsi que de la société civile, et enfin des représentants de la communauté internationale, dont le système des Nations Unies.
Pour les organisateurs, la projection de ce film-documentaire vise à « présenter le résultat d'une justice engagée et fonctionnelle, dès lors que les efforts sont mobilisés par les juridictions nationales pour la poursuite et le jugement des crimes internationaux ». Il s'agit en même temps de « sensibiliser une large audience à l'impact de ce dossier dans la lutte contre l'impunité des crimes graves, et d'illustrer le principe de complémentarité de la justice pénale internationale ».
L'origine d'un traumatisme
Sheka est d'abord un opérateur économique dans le domaine des mines. En 2009, il devient seigneur de guerre et prend la tête du NDC. La coalition des groupes armés qu'il dirige est active dans le territoire de Walikale, une région forestière peu peuplée du Nord-Kivu. Son groupe se distingue alors par des viols systématiques, commis dans tous les villages où il passe.
Ces agressions sexuelles répétées ont eu de graves conséquences sur les victimes, qui sont essentiellement des femmes et des filles, ainsi que sur leurs communautés. Et ce n'est pas un cas isolé. Pendant plus de vingt ans, l'est de la République démocratique du Congo a été instable en raison de conflits armés, impliquant de multiples groupes armés nationaux et internationaux. Tous sont auteurs de plusieurs violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'Homme, dont des crimes graves.
Malgré les obstacles, les autorités judiciaires congolaises, celles militaires en particulier, s'engagent dans la lutte contre l'impunité pour faciliter l'accès à une réponse judicaire.
Pour le colonel Hyppolite Ndaka, auditeur supérieur de la cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu en charge des poursuites dans le cadre de l'affaire Sheka, ces efforts sont essentiels pour promouvoir la paix, la réconciliation au sein des communautés meurtries par des décennies de conflits, mais aussi pour renforcer la confiance entre celles-ci et les institutions étatiques.
« C'est un motif d'encouragement pour nous mobiliser davantage afin de garantir l'accès à la justice des autres crimes qui sont encore en attente dans différents tiroirs », estime pour sa part Me Nadine Sayiba, avocate au barreau du Nord-Kivu, représentante des parties civiles lors du procès.
Quant au Représentant spécial adjoint du Secrétaire général des Nations Unies, coordonnateur résident et humanitaire des Nations Unies en RDC, Bruno Lemarquis, il a estimé que « le film témoigne de la détermination des autorités congolaises à mener un combat essentiel contre les criminels de guerre en RDC ». Ainsi, il a encouragé la justice congolaise à poursuivre ses efforts pour faciliter l'accès des victimes ainsi que leur pleine participation au processus judiciaire, ainsi que les partenaires nationaux et internationaux à participer à la dynamique engagée par le gouvernement congolais dans la lutte contre l'impunité des crimes les plus graves, y compris dans le cadre de la justice transitionnelle en faveur d'une paix durable.