Ils sont soulagés de voir la transplantation être possible au Sénégal. Mais, un mois après les premières opérations réussies au Sénégal, les malades souffrant d'insuffisance rénale affichent une mine de désespoir, vu le coût de la greffe.
Les cris de souffrance de sa voix de stentor résonnent dans le hangar de l'aéroport militaire Léopold Sédar Senghor et laissent médusés une dizaine de malades promus à subir la même opération : la dialyse. Mame Rokhaya, nom d'emprunt, 62 ans, au visage affaibli par des années à lutter contre l'insuffisance rénale, ne marche qu'avec l'aide d'une canne. Elle est épaulée par deux individus à sa sortie des soins. Sa douleur est si vive qu'elle irradie son corps et hurle à gorge déployée. Yeux larmoyants, à peine visibles à cause d'un voile enroulé sur le visage, elle lâche péniblement quelques mots avant d'entrer dans le taxi qui vient de déposer un patient devant le centre de traitement des hémodialysés. « Je veux mourir ! Je n'en peux plus », enrage-t-elle, voix gonflée de détresse accompagnée d'un léger gémissement.
Mardi 13 décembre 2023, il est 9 heures. La fraîcheur qui a fait irruption au Sénégal depuis quelques jours berce des patients qui, tour à tour, se relaient chez le médecin pour la séance de dialyse. Dans l'une des salles de soins, un ventilateur s'active à plein régime. Il fait doux comme dans les chambres froides et les lits sont superposés. Dehors, la majorité des malades pris en charge est constitué de personnes âgées.
Ce site, jadis endroit de gaieté pour les pèlerins en route vers la Mecque, enfoui au milieu de la brousse de l'ex-aéroport international, affiche une mine triste, malgré l'espoir généré, le 27 novembre 2023, avec les 3 premières transplantations réussies au Sénégal, précisément à l'Hôpital militaire de Ouakam. « On a de l'espoir, mais il faut que l'État nous aide. On nous demande 10 millions de FCfa, alors qu'on ne peut pas payer le transport afin de venir faire une dialyse gratuite », objecte El Hadji Ibrahima Sow, presque à genoux à cause d'un mal de dos. Tout son corps crie encore l'effroi des années à dormir à genoux, des pieds gonflés, des moments constants de fièvre, ces instants d'anémie.
Pour se lever, Sow est obligé de se courber pour ne pas réveiller ses maux de dos persistants depuis qu'on lui a diagnostiqué l'insuffisance rénale en 2003. Même s'il parvient à réunir les moyens nécessaires à la greffe rénale, M. Sow trouve un autre écueil : « La greffe, c'est de la chance, parce qu'on peut avoir de l'argent sans trouver un donneur. Il n'est pas facile d'en trouver ».
Dans ce centre où 24 personnes effectuent la dialyse tous les jours pour 3 séances par semaine, Diboye Seck a quasiment fait 10 minutes pour sortir du taxi en dépit des efforts du taximan. Elle paraît épuisée. Et lorsqu'il passe à côté d'un journaliste en train d'interviewer des malades, il retourne sa béquille, s'arrête brusquement et coupe : « Cette greffe est faite pour les patrons !» Tel une catharsis, Seck, quinquagénaire, s'installe délicatement avec l'aide du personnel de l'hôpital et déroule : « La greffe, c'est une aberration pour nous. Nous ne connaissons pas ces 3 personnes qui ont fait la greffe. Un malade, incapable de payer une ordonnance, ne peut débourser des millions pour une greffe qui, à mon avis, est réservée aux privilégiés. L'État dit que le malade lui coûte 5 millions par année. Si on investit ces 5 millions pour greffer les malades, on sera tous guéris ».
« On se moque de nous »
Habillée d'un tissu « wax » de couleur bleue, Yaye Arame, sexagénaire, le visage émacié, bouffe avec frénésie son « pain beurre » après avoir accompli son rendez-vous. Elle doit retourner à Keur Mbaye Fall, mais quand on lui parle de transplantation, elle lâche un sourire gauche qui ne peut cacher un désespoir sans fin. Sa colère se déverse aussitôt en propos confus, à peine audibles dans la cacophonie des discussions entre malades. « J'attends de bonnes volontés chez les malades pour me procurer le transport. Donc, quand on me parle de millions pour la transplantation, on se moque de nous », lance-t-elle, d'un sourire narquois, regard dans le vide. La transplantation est, pourtant, censée soulager définitivement les malades souffrant d'insuffisance rénale. Les opérations réussies, il y a un mois, au Sénégal, ont créé de l'espoir chez certains malades. Mais...
TRANSPORT DE L'AÉROPORT AU HANGAR
L'autre calvaire des malades
Dans la circulation assez intense au niveau du rond-point de l'aéroport militaire Léopold Sédar Senghor, il suffit de voir des quidams avec des béquilles traînant leur silhouette avec délicatesse pour se rendre compte de leur destination : le centre de traitement du hangar, juste à 1 km. Derrière les mines attristées par une pathologie qui les suit comme une ombre, ils doivent aussi supporter le calvaire de trouver un véhicule. « Du hangar à l'aéroport, on me demande 2000 FCfa. C'est excessif ! », enrage Assy Mbengue, 53 ans. En effet, il n'y a pas de voiture qui mène jusqu'au centre de prise en charge. « Vous avez vu les femmes qui étaient ici pour la dialyse, il a fallu que je vienne pour qu'elles supplient le chauffeur du taxi clando pour les sortir du hangar. On veut une voiture qui prend les malades sur la route nationale pour les acheminer au centre de traitement », sollicite Diboye Seck.
En réalité, certains malades plus nantis se paient le luxe de louer un moyen de transport. Mais, pour la plupart, après les injections douloureuses liées à la dialyse, il faut serrer les dents, grimacer et patienter devant le centre en attendant une voiture transportant un malade. Arame Niang est de cette catégorie. « Chauffeur, peux-tu m'amener jusqu'à la route nationale ?», questionne-t-elle, sans trop y croire. Le conducteur réplique : « 1000 francs !» Yeux écarquillés, la dame âgée n'en revient pas : « Je n'ai que 200 francs ». Le chauffeur la laisse sur place. Elle regarde, impuissante, le véhicule quitter le centre de traitement. « J'ai fait 2 heures de temps pour attendre un véhicule au niveau du rond-point de l'aéroport. Les taxis nous font payer 1500 à 2000 FCfa. J'ai été obligé de débourser 800 FCfa pour avoir un clando. Trois autres malades ont payé la même somme pour que le chauffeur accepte de nous transporter jusqu'ici », explique la vieille Assy Mbengue.
CISSÉ SARR, PRÉSIDENT DU MOUVEMENT DES INSUFFISANTS RÉNAUX DU SÉNÉGAL
« L'État doit prévoir un budget pour la greffe rénale »
Cissé Sarr, président du Mouvement des insuffisants rénaux du Sénégal demande l'aide de l'État pour que les malades puissent faire la transplantation rénale. Il veut aussi une ambulance pour soulager les patients pris en charge au niveau du centre logé dans le hangar de l'aéroport militaire Léopold Sédar Senghor.
Quelles sont les difficultés auxquelles les insuffisants rénaux sont confrontés au niveau du centre du hangar de l'aéroport de Yoff ?
Nous rencontrons beaucoup de difficultés. De la route nationale au hangar, on n'a pas de voiture pour nous déposer. On nous a amené des motocyclettes, mais les malades les ont rejetées. Quelqu'un qui ne peut pas marcher, ne peut pas monter sur ces motocyclettes. On a de vieilles ambulances ici. Le hangar est assez loin de la route. Si quelqu'un fait la dialyse, les 30 dernières minutes, voire une heure de temps, si la tension monte ou baisse, on va l'amener en urgence. Donc, c'est loin. C'est pourquoi nous demandons une ambulance médicalisée qui doit être garée dans le centre, jusqu'à la fin de la dialyse, chaque jour. Pour la prise en charge, nous avons plus de 20 machines dans ce centre. Alhamdoulilah ! Nous voulons un bâtiment pour faire les analyses ici au lieu d'aller à l'hôpital.
Est-ce que les premières transplantations rénales ont provoqué de l'espoir chez vous ?
Nous fondons beaucoup d'espoir sur la transplantation rénale. C'est la greffe seulement qui peut nous débarrasser de cette maladie. C'est cela que nous voulons pour une guérison. Mais, elle coûte cher. Si on nous dit que pour faire la greffe, il faut avoir 13 millions à 13,5 millions de FCfa, alors qu'au moment où l'on parle, on n'a pas épargné chez nous 50 000 FCfa, c'est un grand problème. C'est l'État qui peut nous aider comme on avait un budget de la dialyse. Il doit prévoir un budget pour la greffe rénale. Les uns subiront la greffe d'une part et d'autres feront la dialyse, d'autre part. Nous implorons l'aide du président de la République. Nous comptons beaucoup sur lui.
Est-ce que les conditions de traitement sont optimales dans ce centre ?
Les conditions de prise en charge, sur le plan médical, au niveau du hangar, sont bonnes. À part le problème du transport de l'aéroport au hangar, le traitement médical est optimal. Je voudrais profiter de cette interview pour lancer un appel. À l'hôpital Dalal Jamm de Guédiawaye, 12 à 13 machines sont là-bas. C'est un centre réhabilité pour la dialyse et le ministère de la Santé a donné des instructions pour son ouverture. Mais, la direction de l'hôpital rechigne à rendre opérationnel le centre. Elle dit qu'elle n'a pas de personnel, ce qui est faux. Je rappelle qu'à Dalal Jamm il y a 7 infirmières de dialyse, 2 techniciens supérieurs, 2 néphrologues. Il faut que la direction nous aide en ouvrant ce centre.