Tunisie: Enseignement privé en Tunisie - La grande illusion

29 Décembre 2023

Cela ne fait que creuser les inégalités

L'école, c'est plutôt l'institution qui s'intercale entre le monde et le domaine privé. Elle constitue le foyer pour permettre une transition sans faille entre la famille et le monde. Et son rôle est d'apprendre aux enfants ce qu'est le monde. Avec cette même école, on décide de quoi demain sera fait. Pourtant, l'on continue, chez nous, à tourner le dos à ce qui forge le coeur et l'esprit de l'homme. L'on continue à reléguer au second plan l'école publique, cédant ainsi la voie grande ouverte à un enseignement privé qui n'est, de l'avis des spécialistes, qu'une grande illusion.

Il y a deux décennies et même plus, l'enseignement privé, dans son cycle primaire, n'était pas, sous nos cieux, aussi répandu qu'aujourd'hui. Etant l'apanage des nantis, il n'attirait pas non plus les investisseurs, le nombre d'écoles primaires privées ne dépassant pas 16 établissements en 1984-1985 et n'attirant qu'environ 7.000 élèves, soit près de 0,5% des élèves inscrits à l'époque.

Cette année scolaire 2023-2024, les écoles primaires privées sont au nombre de 736 écoles, accueillant plus de 100 mille élèves, selon les chiffres du ministère de l'Education, alors que leur nombre était de 324 lors de l'année scolaire 2015-2016, soit 13 % du total des écoles primaires en Tunisie.

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Quelque 283 écoles primaires privées sont concentrées dans la région du Grand-Tunis, notamment dans les gouvernorats du Grand Tunis à savoir Tunis, Ariana, Ben Arous et La Manouba. Ce chiffre représente 38 % du total des écoles privées en Tunisie. Ces chiffres donnent à lire que l'école privée ne cesse de gagner du terrain au détriment de l'école publique. Si la première mise sur des ornements en trompe-l'oeil, la seconde ne forme que passablement et n'éduque que médiocrement.

Pis. Avec l'école privée, en l'absence d'un corps scolaire compétent et la transgression permanente des règles pédagogiques et didactiques, l'enseignement et l'éducation sont vides et dégénèrent facilement en une rhétorique émotionnelle.

Réduction du chômage, mais à quel prix ?

Si le secteur de l'enseignement privé contribue à réduire la crise du chômage parmi les diplômés du supérieur, en embauchant près de 10 mille enseignants dans les écoles primaires privées, il ne fait cependant que jeter de la poudre aux yeux, de l'avis de plusieurs spécialistes, dont la présidente de l'Organisation internationale de la protection des enfants méditerranéens, Rim Belkhdhiri. Pour elle, la plupart des établissements privés négligent la qualité de la formation, ne quêtant que des objectifs purement lucratifs. Autrement dit, dans ce microcosme peu contrôlé par l'Etat, tout est dirigé vers l'argent. Mais n'a-t-on pas dit un jour que toute vie dirigée vers l'argent est une mort ?

Dans ce microcosme où l'on investit souvent dans le malheur des gens, l'exploitation de l'homme par l'homme est une pratique courante. Et les enseignants recrutés, sans formation pédagogique aucune, se contentent souvent de quelques miettes (entre 500 et 800 dinars par mois). Pour ces derniers, une chose est sûre : ce travail quoiqu'il soit précaire et peu rémunéré, éloigne trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin. Pour leurs employeurs, tout est permis afin de devenir plus riches. Tout est permis dans l'objectif de percevoir mensuellement entre 300 et 1.500 dinars par élève, quitte à ruiner un pays, à saper l'avenir d'une nation.

La qualité de l'enseignement, la formation et l'éducation, ces investisseurs majoritairement issus d'autres horizons s'en soucient peu. Souvent en panne d'idées et dépourvus des critères requis pour investir dans un domaine aussi vital qu'est celui de l'éducation, ils compromettent l'avenir de ce beau pays. Ils exigent souvent l'entassement des classes et le gonflement des notes, induisant en erreur bien des parents.

Abondant dans ce sens, Belkhdhiri aborde les petites ruses inventées pour toucher plus, en exigeant du matériel et des fournitures supplémentaires dont les fournisseurs sont souvent des complices, des associés, des proches ou encore ces mêmes propriétaires des établissements d'enseignement privés. En payent le lourd tribut des parents sombrant déjà dans la parade par ces temps difficiles. L'Etat et l'autorité de tutelle dans tout cela ? Que nenni !

Réformer ou sombrer à jamais !

La formation médiocre, l'éducation passable et l'appauvrissement des Tunisiens sont l'aboutissement logique d'une marche suicidaire entamée il y a plus de trois décennies. On a tourné le dos ou presque à une école publique et l'on a payé cher cette fausse marche.

Si l'école publique se porte mal aujourd'hui, c'est que les carences sont multiples : temps scolaire inadapté, infrastructures vétustes (classes sans fenêtres, toilettes dysfonctionnelles et insalubres...), bourrage de crânes, méthodes désuètes, inégalité d'accès à un enseignement de qualité, surcharge des classes ( entre 30 et 40 élèves par classe), absence de stratégie nationale, improvisation au niveau de l'autorité de tutelle et marginalisation du corps enseignant.

Aujourd'hui, la réponse à la question de savoir pourquoi le petit Salah ne sait pas lire ou à la question plus large de savoir pourquoi le niveau scolaire de l'école tunisienne reste tellement en dessous du niveau moyen actuel des pays les mieux classés (Pisa) qu'il annonce la faillite des méthodes d'éducation suivies chez nous.

Nos programmes de l'enseignement primaire ne sont point adaptés aux besoins entièrement nouveaux du monde actuel. L'enseignant, souvent sous-estimé et malmené étant modestement rémunéré, n'est pas en mesure de conserver l'habitude d'apprendre pour qu'il ne transmette pas un savoir mort. Une persévérance sans réflexion dans le sens de la crise ne fait qu'accroître l'aliénation du monde.

Civilisation trois fois millénaire, si la Tunisie est encore aujourd'hui le château fort inviolable de l'Afrique, c'est grâce à son école publique d'antan. Les enfants de cette même école publique ont bien évolué et porté haut et fort l'étendard tunisien dans différents coins de la planète, occupant jusque-là bien de postes clés.

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