Tunisie: Contrôle économique à l'approche du jour de l'an - Insuffisant et insignifiant

31 Décembre 2023

La sécurité sanitaire des aliments est une responsabilité partagée, et implique aussi bien les décideurs que les secteurs privé et public ainsi que la société civile. On s'est tellement habitué aux opérations occasionnelles de contrôle économiques ciblant les petits commerces à l'approche du jour de l'an et du mois de Ramadan que c'est devenu un marronnier pour les médias, mais on passe sous silence le contrôle dans les laboratoires et les grandes entreprises agroalimentaires.

A chaque fin d'année, les campagnes de contrôle portent sur les métiers de bouche, en particulier, les volaillers et les pâtissiers. On s'est habitué, depuis belle lurette, à voir les unités mixtes de contrôle relevant des ministères de l'Intérieur, du Commerce et de la Santé exhiber leur butin. Des produits alimentaires ou des matières premières périmées sont saisis dans des laboratoires anarchiques et même dans des pâtisseries haut de gamme dans des quartiers huppés à l'approche du nouvel an. Mais plus le contrôle est strict, plus la tentation est forte du côté des commerçants pour soudoyer les agents de contrôle. Tous les moyens sont bons pour échapper aux sanctions notamment à l'approche du nouvel an.

Contrôle ou visite de courtoisie ?

Sur les réseaux sociaux, ces opérations prennent la forme d'un simple contrôle de routine, une occasion de montrer aux citoyens que les autorités veillent au grain et ne feront pas de cadeau aux contrevenants. Certes, il n'est pas possible de mesurer l'effet dissuasif de ces contrôles, mais il convient de souligner qu'ils ne donnent pas la plupart du temps les résultats escomptés pour diverses raisons, dont essentiellement le manque de moyens humains et de logistique dont disposeraient les unités de contrôle, en particulier celles du ministère du Commerce.

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Il y a des fois où l'on constate le non-respect du principe de transparence au cours de ces opérations de contrôle. Il faut aussi avouer que lorsqu'on garde la même équipe et les mêmes procédures et qu'on opte pour le même modus operandi des années durant, les risques de fraude et de corruption augmentent et, en toute logique, on manque d'efficacité et parfois de crédibilité au regard du citoyen.

Sur le terrain, il faut dire que plusieurs équipes se sont mobilisées depuis le premier décembre . «Durant la première quinzaine du mois, les campagnes de contrôle sont plutôt tournées vers la sensibilisation, puis on passe aux contraventions. Mais pendant la dernière semaine , ces campagnes deviennent contreproductives», nous témoigne Mounira ( nom d'emprunt) , affectée depuis une vingtaine d'années comme agent de contrôle rattachée au service municipal à la banlieue nord. Ces équipes sont composées généralement d'agents relevant des communes, des ministères du Commerce, de la Santé en coordination avec la police municipale. Il est fréquent que le ministère du Commerce mène , en solo, des campagnes de contrôle, nous éclaire-t-elle.

Les campagnes de contrôle entamées depuis le mois de décembre, comme à l'accoutumée, ne font que confirmer ce que l'on sait déjà . La majorité des pâtissiers trichent beaucoup plus à l'approche du nouvel an qui entraîne des pics de consommation pour gagner plus. Le nombre de contrôleurs étant limité et les risques de collusion très élevés au niveau de certains laboratoires , les opérations de contrôle prennent des fois la forme de simples visites de courtoisie. Bien évidemment, ce n'est pas toujours le cas comme le confirme la publication sur les réseaux sociaux des résultats de certains contrôles effectués dans les règles de l'art.

Nombre insuffisant d'agents de contrôle et manque de moyens

Toutefois, le nombre d'agents susceptibles de se charger de ce type de tâches est insuffisant, sans compter le manque de moyens mis à leur disposition. Mounira nous fait savoir, à cet effet, que son équipe ne dispose pas de voiture et qu'elle a été contrainte de ne pas travailler durant ce mois de décembre. Pour ce qui est de la transparence de ces opérations, elle n'exclut pas les fuites concernant la date des contrôles.

Pour gagner en termes d'efficacité, il faut que ces campagnes ne soient pas occasionnelles et ne se limitent pas au mois de Ramadhan ou le jour de l'an, préconise la même source. «La crise économique qui prévaut actuellement et la pandémie de Covid-19 qui a impacté les petits commerces sont des facteurs qui ont été pris en considération pour desserrer l'étau autour et baisser le rythme des campagnes de contrôle».

Garante de la sécurité alimentaire dans le pays et de la qualité des denrées, l'instance nationale de la sécurité sanitaire des produits alimentaires mène depuis le début de ce mois des campagnes de contrôle visant les contrevenants avec plus de 1700 contrôles effectués. Dans une déclaration, son directeur général, Mohamed Rebhi, explique que ces campagnes touchent tous les maillons de la chaîne de production, les conditions de stockage et de distribution. Plus d'une trentaine de procès verbaux ont été dressés à l'encontre des contrevenants .

Dans une pâtisserie haut de gamme située à Carthage, dans la banlieue nord de Tunis, une source nous confie que l'équipe a relevé de graves infractions, comme l'expiration de délai de consommation de boissons et l'utilisation de colorants alimentaires périmés alors que les prix des gâteux affichés dans cette pâtisserie sont très chers. La fermeture de cette pâtisserie n'est pas exclue , nous informe un membre d'une délégation relevant du gouvernorat de Tunis.

Il n'y a pas que les unités mixtes de contrôle qui assurent cette tâche , insiste à nous dire le président de l'Organisation tunisienne pour informer le consommateur, Lotfi Riahi. Ce dernier revient sur la création de l'Agence nationale de contrôle sanitaire et environnemental des produits considérée comme étant l'un des maillons clés du dispositif national de veille sanitaire et environnementale comme en témoignent certaines de ses interventions, à l'instar de l'arrêt de l'importation d'un produit alimentaire jugé nocif pour la santé en provenance d'un pays voisin. Toutefois, ces efforts restent insuffisants du fait du manque en logistique.

De graves infractions enregistrées

La société civile a toujours insisté sur l'importance de doter ces instances de contrôle de moyens susceptibles d'améliorer leurs activités durant toute l'année et non de manière conjoncturelle pour favoriser encore plus le volet tout d'abord de la prévention et ensuite de la répression à l'encontre des contrevenants et le commerce anarchique. «A ce niveau, on compte aussi bien sur le degré de conscience et de maturité du citoyen qui doit impérativement boycotter les commerçants dans les rues que sur le sérieux et le professionnalisme des unités de contrôle sur le terrain pour s'acquitter de leur devoir ».

Lotfi Riahi ajoute que plusieurs graves infractions ont été relevées durant les récentes campagnes menées par les unités de contrôle en dépit du manque du matériel roulant dont disposent ces unités, mais on évite parfois de les dévoiler au grand public. Il a par la même occasion conclu que les laboratoires au sein des entreprises agroalimentaires ne doivent pas être épargnés et doivent faire l'objet de contrôles draconiens.

Il va sans dire que la sécurité sanitaire des aliments est une responsabilité partagée, et implique aussi bien les décideurs que les secteurs privé et public ainsi que la société civile. L'instauration de systèmes de contrôle efficaces ne fera que renforcer davantage la sécurité sanitaire des aliments et contribuera à freiner l'avidité de certaines grandes entreprises agroalimentaires qui tentent (et parviennent parfois) de contourner les systèmes de contrôle. Les pâtissiers ou autres petits commerces qui sont soumis à des pressions passagères, durant les fêtes et à l'approche du jour de l'an, ne constituent au fait que la partie émergée de l'iceberg.

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