Sénégal: Disparition du khalife de Sirmang - El Hadji Mame Ansou Niang, un phare qui éclairait les fidèles

2 Janvier 2024

Disparu mercredi dernier, le guide religieux Mame Ansou Niang du village de Sirmang (commune de Karang, région de Fatick), était un homme de Dieu. Le Soleil lui avait consacré un portrait dans ses séries de Feuilles d'Hivernage...

Sur les chemins de la foi, il y a les recommandations et des guides dont la seule obsession reste le dialogue avec le seigneur, dans l'humilité et la discrétion la plus absolue. Loin de la cohue médiatique, Sirmang est un hameau paisible qui n'en demeure pas moins un ardent foyer religieux.

Le pèlerin qui quitte Dakar pour se rendre à Sirmang a deux options une fois à Fatick. La classique, on sort de cette région, pour entrer chemin faisant dans Kaolack, avant de la retrouver à nouveau. Après le pont Serigne Bassirou Mbacké (ex-pont Noirot) situé juste à la sortie de Kaolack, la dernière grande ville, on laisse la nationale 2 pour s'engager vers la Gambie. Le Niombato vous ouvre les bras. C'est l'axe qui mène vers Passy et Sokone communes en pleine expansion du département de Foundiougne.

On s'enfonce dans un paysage qui rappelle la Casamance. Les grands arbres et forêts de noix d'anacarde disputent le terrain à de vastes champs. Des villages historiques comme Passy peuvent y constituer des haltes intéressantes, voire même salutaires car la route s'est considérablement dégradée. Chaque cahot est un supplice. La route ressemble à une piste lunaire qui nécessite des milliards de francs Cfa pour sa réhabilitation. El Hadj Sène, le maire de la ville de Sokone l'a baptisée : « le chemin du désespoir ».

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Ou alors à partir de Fatick et ses tanns qui sont de vastes étendues de terres salées impropres à l'agriculture, juste après le quartier de l'Escale, on laisse à gauche la bretelle qui mène au centre de médecine traditionnelle de Malango pour prendre la route qui mène à Ndakhonga, pas encore village mais assez commerciale : quai de débarquement de pêche, petits commerces et début de construction d'un port en eau profonde dont les travaux sont avancés, pour se constituer une communauté humaine. De solides sapeurs du génie militaire assurent la traversée vers Foundiougne, ville à l'architecture coloniale. Ce n'est pas un bac, mais plutôt une barge de débarquement pour engins lourds, poussée sur ses deux côtés, par de puissants « Zodiacs » qui assurent la traversée.

Quelques vrombissements de moteurs et le temps de contempler cette partie du bras de mer qui mène vers Ndangane Sambou, Marloj, Djirda, Bassoul , Dionewar et les lointaines îles du Saloum, l'ancien comptoir colonial Foundiougne s'offre avec un débarcadère qui ne paie pas de mine. La ville est lascive et les bâtiments vétustes. Le temps semble s'être arrêté. Sur la place du marché, beaucoup de motos « Jakarta » qui pétaradent pour attirer d'éventuels clients. On reprend la route en direction de Passy.

Les pèlerins venant de la Gambie ont plus de chance. Sirmang est situé à la frontière le Sénégal et ce pays. Ils effectuent donc un trajet plus court. Certains enjambent la frontière pour rallier le village. A partir de Karang, une piste latéritique conduit au bourg du guide religieux. Après deux kilomètres de trajet, le minaret du village se dresse, majestueux pour souhaiter la bienvenue aux hôtes. El Hadji Mame Ansou Niang, le guide religieux reçoit dans la simplicité la plus totale. Pas de protocole. Le visiteur est reçu dès qu'il formule la demande. La seule contrainte, c'est qu'il doit attendre son tour puisque le guide religieux est très demandé.

Chaque jour, des centaines de disciples et de visiteurs viennent pour le voir. Il échange, prodigue ses conseils et prie pour eux. Dans ce dialogue où l'on écoute plus qu'on échange, le guide religieux refuse ce statut de chef religieux. « C'est un titre lourd à porter », avance-t-il.

Tout a commencé en Gambie. A l'âge de 7 ans, son grand frère qui assurait son éducation après le rappel à dieu de ses parents, le confia à un guide religieux gambien El Hadji Ibrahima Kanté qui habitait Siffo, un village situé à la frontière entre la Gambie et la Casamance. Durant plusieurs années il y apprit le coran et les sciences islamiques. A son retour dans son village natal de Niodior, il y resta seulement quelques temps. En 1967, El Hadji Mame Ansou Niang s'installe à Sirmang et fonde son école coranique (daara en wolof, la langue la plus parlée au Sénégal). « Son guide spirituel lui avait conseillé de ne pas s'installer à Niodior. Mais avant de s'établir à Sirmang, il a visité plusieurs localités comme Karang, Keur Sette etc.,», explique Mahdi Cissé, un proche de El Hadji Mame Ansou Niang.

Très vite, il est adopté par les populations autochtones qui étaient à la recherche d'un imam surtout pendant le mois de ramadan. Sa pédagogie, sa connaissance du coran et des sciences islamique le rendent célèbre. Son nom se répand rapidement dans les autres localités. Des disciples affluent de partout surtout de la Gambie et des îles du Saloum. Dans ces îles, il a construit de nombreuses mosquées notamment à Joal, la ville du président-poète Léopold Sédar Senghor, Fadiouth ainsi que dans d'autres localités du Sénégal, comme Dakar et Mbour souligne Mahdi Cissé.

Chaque année, des milliers de fidèles se rendent à Sirmang pour y célébrer le Maouloud. Ses disciples qui se comptent par milliers viennent de toutes les régions du Sénégal, de la sous région notamment des pays limitrophes (Gambie, Guinée Bissau, République de Guinée, Mali, Mauritanie), de la France, d'Italie et même de la Guadeloupe pour y célébrer la naissance du prophète (Psl) et solliciter des prières du guide religieux. « Des disciples viennent spécialement de la Mecque », note Mahdi Cissé. El Hadj Mame Ansou Niang a inscrit son action sur les pas des illustres guides religieux du Sénégal. Il entretient d'excellents rapports avec tous les foyers religieux du Sénégal. « Il se considère comme un disciple », confie M. Cissé.

Fin lettré, El Hadj Mame Ansou Niang consacre son temps à l'enseignement du coran et à l'agriculture. Loin des effets d'amplification des médias, El Hadj Mame Ansou Niang dont l'érudition est reconnue de tous, entretient, dans la plus grande discrétion, le flambeau de l'islam. Il a converti de nombreuses personnes à la religion musulmane surtout d'Australie, de Guyane, des Américains, des ressortissants de la Guadeloupe, des français souligne Mahdi Cissé.

Le guide religieux fascine par sa simplicité et son accessibilité. Il ne fait de distinction entre le disciple riche ou pauvre. « Tous sont égaux », dit-il. Des choses matérielles, il accorde peu d'importance. Son triptyque « Diangue, Diaguale, Diamou » en dit long sur sa philosophie. Comme un phare, El Hadj Mame Ansou Niang dont l'érudition est reconnue tous, éclaire ses disciples et les fidèles et les guides sur les chemins de la foi, dans l'humilité et la discrétion la plus absolue. A l'instar des fondateurs des autres grandes familles religieuses du Sénégal comme Cheikh Amadou Bamba, El Hadj Malick Sy, il prêche l'éthique du travail et de l'effort.

Loin de la cohue médiatique, il a fait de Sirmang, un hameau paisible et un ardent foyer religieux du Sénégal où ses disciples apprennent le coran et les sciences islamiques et travaillent la terre pour vivre.

ENSEIGNEMENT CORANIQUE

Sirmang et Keur Sette, des modèles de daaras

Dans les écoles coraniques de Sirmang et de Keur Sette, les pensionnaires y étudient le coran et les sciences islamiques. Ils font tout leur apprentissage sans mendier.

A Sirmang et à Keur Sette, le concept de daara moderne est mis en application depuis plusieurs décennies. Des enfants viennent de toutes les régions du Sénégal, de la Gambie, du Mali, de la République de Guinée y apprennent le coran dans un cadre convivial. Les enseignements sont dispensés dans des salles de classe. « Nous avons sept bâtiments de quatre salles ». Durant l'hivernage, ils cultivent avec leurs enseignants la terre qui leur donne de quoi se nourrir. Les élèves sont en internat. L'image que renvoie les pensionnaires des daaras de Sirmang et de keur Sette tranche d'avec celle que des talibés dans les grandes villes comme Dakar, Thiès, Kaolack, Mbour, etc. Vêtus en haillons, ces talibés sébile à la main, errent dans les rues.

Ils parcourent pieds nus des dizaines de kilomètre par jour à la recherche de pitance et de l'argent pour leur marabout. Dans ces deux daaras, la crise n'est pas brandie pour justifier l'errance des enfants dans les rues. « Ici, on ne mendie pas. Notre devoir est de former des adultes qui pourront affronter les difficultés de la vie, dans le respect des prescriptions de l'islam », déclare Mahdi Cissé. Au contraire, on s'attèle avec les moyens du bord, en faisant en sorte que l'enfant ne manque de rien, à ce qu'il maîtrise le coran et les sciences islamique, dans la rectitude. Bouly Cissé, âgé d'une dizaine d'année est assis sous un arbre. Ses camarades jouent eux. Les plus petits chantonnent.

Le daara de Sirmang a un effectif de 453 apprenants. L'âge varie entre 5 et 37 ans, indique Mahdi Cissé. Ces adultes de demain, sont éduqués, selon le message de l'islam tel que délivré par le prophète (Psl) et qui veut que l'homme vive mieux, s'épanouisse moralement et matériellement.

Cette philosophie épouse parfaitement les orientations des plus hautes autorités du Sénégal. Les pouvoirs publics veulent faire des écoles coraniques, un levier de développement. Les « daaras modernes » dans la vision des autorités publiques doivent être des lieux où l'on apprenne le coran, les sciences islamiques mais également des endroits où l'on forme les pensionnaires aux métiers de la vie. Ainsi, en fonction de son inclinaison, l'enfant sera initié à la menuiserie et à d'autres métiers surtout pour les plus âgés.

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