Dakar — Les mathématiques devraient introduites dès le cycle primaire pour aider à déconstruire chez la plupart des élèves une idée fausse selon laquelle il est difficile de s'approprier cette discipline, estime le coordonnateur du Projet d'amélioration des apprentissages en mathématique (PAAM).
Se disant conscientes du déséquilibre entre le nombre d'élèves inscrits dans les séries littéraires et ceux des séries scientifiques, les autorités scolaires ont choisi de prendre « le mal à la racine », en choisissant de revoir les enseignements-apprentissages.
En 2022, 82% des 155107 candidats au baccalauréat étaient inscrits dans les séries littéraires contre 16% pour les séries scientifiques et 2% pour l'enseignement technique.
La Direction de l'enseignement élémentaire (DEE) du ministère de l'Education nationale prévoit ainsi de pérenniser et de généraliser, à partir d'octobre 2024, le Projet d'amélioration des apprentissages en mathématique à l'élémentaire, avec l'accompagnement de la coopération japonaise (JICA).
Selon le coordonnateur du PAAME, l'inspecteur de l'enseignement Ibrahima Seck, dire que »l'enseignement des mathématiques est difficile et rébarbatif, est une fausse idée qu'il faut arriver à déconstruire ». Et »la meilleure façon de le faire est de faire aimer les maths dès la classe d'initiation ».
Les mathématiques ne doivent plus être exotériques mais accessibles et attrayantes, a-t-il dit.
Les « bons résultats » de la phase pilote de Fatick
L'inspecteur Seck, véritablement passionné par la question, est revenu sur les axes du renforcement de l'apprentissage des mathématiques au primaire, par le biais de diapositifs, tableaux et graphiques visant à schématiser les progrès enregistrés par un processus dont la phase pilote a démarré en 2015 à Kaolack et Fatick. Il a été ensuite élargi aux inspections d'académie de Kaffrine, Thiès et Rufisque en 2019, avant sa généralisation dans les 16 inspections d'académie du pays.
Dans cette première phase, seule la numération était prise en compte, étant entendu que le domaine des mathématiques à l'élémentaire comprend quatre activités : la numération, la géométrie, la mesure et la résolution de problèmes.
Au cours de la phase pilote, seule la numération était prise en compte du CI au CE2. Après 2019, les résultats satisfaisants de la première phase à Fatick ont renforcé la volonté du ministère de l'Education nationale et de son partenaire la JICA de poursuivre le projet en couvrant d'autres inspections d'académie.
Mais l'avènement de la pandémie de la Covid-19 a freiné l'élan des parties prenantes, obligées de continuer avec seulement l'IA de Fatick.
Le ministère a choisi de dérouler une activité pilote dans cette seule région avec 30 écoles.
Le modèle promu par la première phase devait être éprouvé dans ces écoles. Ainsi, dix établissements ont bénéficié de l'intervention du PAAME, de l'élaboration des outils à la formation des enseignants, en passant par la mise à disposition de formateurs communautaires.
Dix autres écoles ont bénéficié uniquement de la formation des enseignants, les dix autres étant prises comme témoins sans aucune intervention.
A la fin de l'année, les 9 écoles du lot A qui ont reçu tout le package, plus une école du lot B qui n'a reçu que la formation des enseignants, ont été à la tête de l'IA en termes de résultats et de performances.
Le directeur d'une école du lot B avait pris l'initiative de collaborer avec les écoles du lot A pour bénéficier des outils en recrutant sur fonds propres des facilitateurs communautaires pour ses élèves en remédiation.
Pour le coordonnateur du PAAM, de tels résultats montraient la pertinence du projet avec des points de performances allant de 35 à 75% dans les écoles pilotes.
Un projet »très bien accueilli par les enseignants et les communautés »
Après le recul de la pandémie en octobre 2021 et la reprise des enseignements en présentiel, le PAAME 2 a « véritablement démarré avec progressivement trois vagues d'inspections académiques qui ont été enrôlées ».
Il y a eu d'abord une première cohorte avec les IA de Kaolack, Kaffrine, Thiès, Rufisque et Fatick. En 2022, ces cinq IA ont été maintenues pour renforcer les acquis en termes de résultats. En 2023, pour la deuxième vague, il y a eu les inspections d'académie de Pikine, Guédiawaye, Diourbel, Tambacounda et Ziguinchor.
Lors de la dernière réunion du comité de pilotage du projet, le ministère a souhaité aller au-delà de la numération pour prendre en compte les trois autres activités de l'enseignement des mathématiques, à savoir la géométrie, la mesure et la résolution de problèmes. Il a également retenu de couvrir tout le cycle élémentaire au lieu de s'arrêter au CE2.
C'est dans ce sens que des cahiers d'exercices de mathématiques et de corrigés ont été produites par une équipe pédagogique choisie par le ministère de l'Education nationale.
Pour montrer la pertinence du projet »très bien accueilli par les enseignants et les communautés », Ibrahima Seck a présenté les résultats obtenus à travers l'évaluation des performances des élèves.
Ainsi, au sortir de l'année scolaire 2022-2023, les performances sont allées de 35% d'élèves ayant le niveau minimal de compétence en mathématiques, lors des pré-tests (octobre 2022), à 74%, représentant les résultats des post-tests (juin 2023), soit un écart positif de 39 points.
Pour le CE2, les résultats sont passés de 42 à 76%, et pour le CM2 de 61 à 87%.
« Une stratégie globale » déroulée sur la base d'une « synergie d'actions ».
En octobre 2024, la troisième vague sera enrôlée pour couvrir l'ensemble des régions avec notamment Dakar, Louga, Saint Louis, Matam, Kolda et Kédougou pour la pérennisation et la généralisation du PAAME dans les 16 inspections d'académie du Sénégal, selon l'inspecteur Ibrahima Seck, qui coordonne le projet sous la supervision de la Direction de l'enseignement élémentaire (DEE).
« Le PAAME vise l'amélioration des performances des élèves en mathématiques. Pour cela, la direction de l'Enseignement élémentaire à travers ce projet déroule une stratégie globale qui implique une synergie d'actions et un engagement soutenu des différents acteurs », a expliqué l'inspecteur.
C'est ainsi que le focus est mis sur l'apprentissage des élèves à travers une « articulation efficace des activités selon quatre piliers pour faire fonctionner le dispositif et atteindre les objectifs », renseigne la Direction de l'enseignement élémentaire.
« Il y a une évaluation régulière des élèves à travers un cycle de gestion des apprentissages, la mutualisation des bonnes pratiques, l'amélioration du volume et de la qualité des apprentissages pendant les heures officielles et l'amélioration du volume des apprentissages en dehors de l'école avec des remédiations », a expliqué M. Seck, selon qui « le temps de travail est déterminant pour la qualité des apprentissages ».
« On s'est rendu compte que les après-midis où il n'y a pas cours et le samedi matin pouvaient être mis à profit pour des séances de remédiation avec les facilitateurs communautaires », a-t-il relevé. Cela dit, la participation de la communauté est considérée comme diffuse dans chaque axe, pour le renforcement de l'apprentissage des mathématiques au primaire.
Le focus est mis sur l'apprentissage des élèves à travers une articulation correcte des activités selon quatre axes, indique la directrice de l'enseignement élémentaire, Ndèye Haby Ndaw Cissé.
Pour la maitrise de ces quatre axes, il faut nécessairement une formation des enseignants supervisée par une équipe technique nationale.
Des modules dispensés pour accompagner les enseignants
Depuis la phase pilote, plus de 250 enseignants ont assisté à des sessions de formation sur l'amélioration de l'enseignement et apprentissages des mathématiques à l'élémentaire.
»Les évaluations régulières constituent la porte d'entrée de la stratégie globale. Elles doivent être systématisées dans nos écoles en vue d'assurer le suivi des performances des élèves. Ces évaluations régulières comprennent quatre phases : le pré-test (diagnostic), les deux évaluations formatives (1ère et 2ème compositions) et le post-test », a expliqué la DEE.
Des modules sont dispensés pour accompagner les enseignants dans leurs pratiques de classe avec l'élaboration et la conception du matériel de mathématiques. Dans les écoles, il a été constaté que le matériel utilisé n'est pas très satisfaisant tant du point de vue de la qualité que de la quantité.
Pour la directrice de l'enseignement élémentaire, la mise en oeuvre du PAAME devrait permettre aux élèves du Sénégal d'avoir un niveau très élevé en mathématiques, et cela dès le cycle élémentaire. Tous les acteurs de l'éducation doivent travailler dans ce sens pour que »nous fassions en sorte que notre pays dispose de ressources humaines de qualité pour assurer un développement endogène ».
La mutualisation des bonnes pratiques, qui est le deuxième pilier de la stratégie mise en place, est facilitée par les rencontres entre les acteurs et le partage de ressources comme les outils, supports didactiques, ainsi que les résultats atteints, dans les cadres d'échanges que sont les cellules d'animation pédagogique internes (CAPI), les cellules d'animation pédagogique externes (CAPE) et les journées portes ouvertes (JPO), a précisé le coordonnateur du PAAM.
Une formation des acteurs pour la maîtrise des enseignements
Pour la maîtrise de ces quatre axes, il faut nécessairement des sessions de formation au profit des directeurs d'école, des enseignants et des présidents de CGE. Au niveau de chacune des 38 inspections de l'éducation et de la formation (IEF) des académies de la première et de la vague, une formation locale a été déroulée.
Des modules ont été dispensés pour accompagner les enseignants dans leurs pratiques de classe, avec l'élaboration et la conception du matériel de mathématiques.
Il a été ainsi demandé aux directeurs d'école de promouvoir la confection des cartons Montessori, des compteurs numériques et des abaques.
« C'est une très bonne initiative qui permet aux enseignants d'avoir une nouvelle vision par rapport à l'enseignement des mathématiques », témoigne l'enseignant Djiby Dème, directeur d'école dans la commune de Mbacké qui a bénéficié de la formation.
Dès fois, pour une leçon de trente minutes, a-t-il renseigné, « on faisait l'acquisition de connaissances jusqu'à l'évaluation finale sans faire beaucoup d'exercices de consolidation ».
»Mais avec ce modèle d'apprentissage et conformément aux emplois du temps, la leçon de mathématique qui dure 60 minutes est bien déroulée en deux séances : une première séance d'acquisition de 30mn qui va du calcul mental à la synthèse, et une deuxième de consolidation-évaluation [30mn également] qui donne l'occasion aux élèves de faire beaucoup d'exercices d'entraînement et d'évaluation », a-t-il expliqué.
Selon lui, ce modèle »peut rehausser la pratique et la compréhension des mathématiques dans toutes les écoles élémentaires ».
Des lots de cahiers d'exercices de mathématiques ont été distribués dans les différentes inspections d'académie cibles déjà touchés, allant du CI au CM2.
Des cahiers d'exercices ont été élaborés par des techniciens du ministère de l'Education pour s'assurer que les élèves fassent assez de pratique pour chaque leçon apprise en classe, pour leur permettre de consolider les acquisitions de connaissances avant de passer à la leçon suivante, a salué l'enseignant.
Enseignante à l'école Mouhamadou Fadel Mbacké, Sokhna Seck, bénéficiaire de la formation, suggère de démultiplier ces sessions pour le reste des équipes pédagogiques restées dans les écoles et à travers des cellules d'animation interne.
« Les cahiers d'exercices doivent parvenir dans le sac de l'élève pour que l'entraînement par des exercices soit de mise afin de familiariser les mathématiques avec les élèves dès le cycle primaire », a-t-elle dit.
Il est possible de réutiliser ces cahiers. Une note en première page indique que les élèves ne doivent pas écrire dessus. L'enseignant leur demande de faire les exercices de la rubrique « Je m'entraîne » dans leur cahier de brouillon ou sur leur ardoise.
Pour les exercices de la rubrique « Je m'évalue », ils travaillent dans leur cahier de devoirs. Cependant, poursuit la note, les élèves pourront écrire directement dans les cahiers d'exercices si le comité de gestion de l'école a la possibilité, en début d'année scolaire, de reprographier le nombre de cahiers nécessaires.