Doubler le taux de croissance économique de Madagascar dans les meilleurs délais n'est pas un objectif inatteignable. Encore faut-il que les dispositions adéquates soient prises.
Thierry Rajaona, actuel président du Groupement des entreprises de Madagascar (GEM), estime même qu'à partir de cette année, on peut tabler sur un taux de croissance de 8%. Il suggère, entre autres mesures de relance économique, le renforcement du dialogue public-privé. Interview.
Midi Madagasikara : Pouvez-vous dresser un bilan du secteur privé malgache durant l'exercice 2023 ?
Thierry Rajaona : Avant de parler du secteur privé, j'aimerais tout d'abord parler du bilan macroéconomique qui était marqué par une baisse du taux de croissance en 2023. En effet, on a enregistré un taux de croissance de 4% au lieu des 4,5% fixés dans la loi de finances. Comparé au taux de croissance démographique de 5% cela s'avère encore trop bas. Malheureusement, cela a aggravé la situation d'extrême pauvreté qui sévit à Madagascar où 80% de la population vit encore sous le seuil de pauvreté alors que la moyenne africaine est de 40%. L'inflation, qui avoisinait les 12%, a impacté négativement sur la vie de la population. Il y a également eu la dépréciation de l'ariary dont les conséquences économiques sont dommageables.
M.M. En parlant justement de la monnaie nationale, quelles sont les causes de sa dépréciation ?
T.R : La dépréciation de l'ariary provient surtout de la baisse du volume de nos exportations. Plus particulièrement de la vanille qui a connu, l'année dernière, la pire période de son histoire. Non seulement, le tonnage exporté a considérablement baissé, mais les prix ont également chuté d'une façon très importante. Il y a également eu la baisse des cours internationaux du nickel en raison des problèmes économiques de la Chine, un des plus grands importateurs de ce produit qui, il faut le noter, représente 30% des recettes d'exportation de Madagascar. Bref, l'insuffisance de l'offre en devises, par rapport à la demande, a provoqué cette perte de valeur de l'ariary qui s'est déprécié de 5,7% par rapport à l'euro et de 2,5% par rapport au dollar.
M.M : Revenons-en au bilan du secteur privé.
T.R. Pour résumer, 2023 a été une année très difficile pour les entreprises qui ont connu une multitude de blocages. À commencer par les problèmes énergétiques où la Jirama par exemple nous a imposé un effacement de plusieurs heures par jour pour éviter le délestage. Ce qui a provoqué entre 10% à 15% de perte de production. C'est très dommageable pour des entreprises qui ont, par ailleurs, subi une hausse de pratiquement 100% du coût de l'énergie due au changement de tarif décidé pour que la Jirama ne soit plus obligée de vendre à perte. Nous ne sommes pas contre le redressement de la Jirama à travers les tarifs, mais il ne faut pas oublier que les problèmes de la Jirama viennent de sa mauvaise gestion et des contrats léonins passés avec ses fournisseurs. Tout cela mérite des solutions parmi lesquelles figurent la réduction du recours aux énergies fossiles et MW de capacité alors qu'on en est actuellement à 400 MW. Et là encore nous sommes dépassés par les pays africains comme la Côte d'Ivoire par exemple avec ses 3000 MW de puissance offerte. Pour résumer, tant que cette grave crise énergétique n'est pas résolue, il sera très difficile de développer les industries locales existantes et d'attirer les potentiels nouveaux investisseurs.
M.M. Vous avez parlé tout à l'heure de la crise de la vanille. Pouvez-vous être plus précis ?
T.R. C'est simple et c'est surtout une question de stratégie et de bon sens. Vous vous rappelez certainement qu'en 1996, l'Etat avait décidé de diriger la filière vanille. Une politique interventionniste qui a provoqué la chute des prix à l'export qui étaient à moins de 30 dollars le kilo de la vanille préparée. Par la suite, le secteur privé avait demandé au régime Albert Zafy de libéraliser la filière. La libéralisation décidée à cette époque a permis au pays de bénéficier de l'appui de l'Union Européenne qui avait financé la réhabilitation des routes de la SAVA. Et la situation de la filière vanille s'était de nouveau améliorée, pour aboutir à des prix record de 500 à 600 dollars le kilo en 2003. Malheureusement, l'année dernière l'État est de nouveau intervenu dans la filière avec comme conséquences, les résultats catastrophiques enregistrés actuellement. L'État a finalement accepté de libéraliser la filière, du moins en matière de prix puisque pour l'octroi d'agrément, tout n'est pas encore très clair. En tout cas, on attend les résultats de ce retour à la libéralisation durant les prochaines campagnes.
M.M. Quelles sont vos suggestions pour parvenir à un meilleur développement du secteur privé?
T.R. L'essentiel est avant tout d'établir et de renforcer le partenariat public-privé. Nous militons encore et toujours pour un dialogue sincère et constructif avec l'État. Les entreprises étant les plus grands contribuables, ce dialogue s'avère nécessaire surtout sur les questions importantes comme la fiscalité, la douane, les changes... Si ce dialogue s'établit, il y aura beaucoup plus de confiance entre les pouvoirs publics et le secteur privé. On l'a déjà fait pour le code du travail qui a été adopté sur la base d'un dialogue tripartite entre l'État, les syndicats et le patronat. Le pacte de programmation industrielle, signé entre l'État et le secteur privé, est un autre exemple de ce dialogue sincère et constructif au service du développement économique. On attend maintenant l'application de ce pacte dont les effets positifs attendus pourraient porter la part de l'industrie à 30% du PIB contre 15% actuellement. C'est pour cela que j'affirme que le développement tiré de l'industrie pourrait doubler la croissance économique du pays dans les plus brefs délais. Et de réduire ainsi de moitié le taux de pauvreté.
M.M : Pouvez-vous nous donner les perspectives d'avenir de l'économie malgache ?
T.R. Le président élu a décidé de baser la relance économique sur trois piliers basés sur le développement du capital humain, l'industrialisation et la bonne gouvernance. C'est bien et il est nécessaire de s'attacher à des indicateurs mesurables pour la réalisation concrète de ces objectifs. Concernant l'industrialisation, il est plus que jamais temps de concrétiser la mise en place effective des zones économiques spéciales viabilisées en infrastructures énergétiques et en eau, mais aussi en connexion Internet afin de permettre aux entreprises de se développer plus convenablement. L'Éthiopie avait expérimenté ce concept de ZES avec succès et Madagascar peut en faire autant. En ce qui nous concerne plus particulièrement, nous travaillons actuellement sur la mise en place de la stratégie nationale de développement du secteur privé en partenariat bien évidemment avec l'État. Dans tous les cas, nous sommes convaincus que si la confiance s'établit réellement entre le public et le privé et qu'il y a beaucoup plus de visibilité dans les affaires, on peut réussir ensemble le défi du développement économique.