Tunisie: Nouvelles procédures douanières - La fripe, comment passer de l'informel au formel ?

4 Janvier 2024

Les vêtements de seconde main s'imposent comme une nécessité économique pour les uns et comme une passion pour les autres ©La Presse/Koutheir Khanchouch

Il faut dire que les procédures prises par la Douane ne sont pas arbitraires. Elles visent notamment à lutter contre l'évasion fiscale et les différentes formes de commerce illégal, dans la mesure où le secteur connaît un dysfonctionnement considérable au niveau de la contribution fiscale des entreprises en question.

Alliée de tous les Tunisiens ou presque, la fripe a la grippe. Si les vêtements de seconde main attirent toutes les catégories -- puisque près de 94% de la population s'habille dans les friperies --, l'activité de ce secteur pourrait s'arrêter à tout moment si on se fie aux déclarations des professionnels du secteur.

En effet, la grogne est de mise chez les fripiers. En cause, de nouvelles décisions douanières qui entrent en vigueur dès le début de cette année. Ainsi, la Douane tunisienne impose, selon les nouvelles procédures, aux grossistes d'obtenir l'agrément du chef du bureau de la douane du gouvernorat auquel appartient l'usine.

Avant, il fallait simplement une attestation d'achat accordée par le gouverneur de la région, pour se fournir dans les usines de friperie sur le territoire du pays, et ce en présence d'un agent de la douane qui accorde son autorisation et vérifie la marchandise récupérée. Autrement dit, désormais les chefs des bureaux régionaux de la douane doivent ratifier tous les registres des ventes et des achats auprès des usines de fripe.

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Vendre sans aucune procédure bureaucratique supplémentaire

Pour les professionnels du secteur, entre importateurs, usines, grossistes et détaillants, ces nouvelles procédures perturbent énormément leur activité, au point qu'ils menacent de tout arrêter. Un bras de fer entre la douane et les friperies se profile.

Sahbi Maâlaoui, président de la Chambre nationale du commerce des vêtements d'occasion, dénonce des procédures qui vont lourdement impacter un secteur déjà en crise.

«Tous les intervenants pensent que ces procédures vont perturber considérablement nos activités. Pour résoudre le problème, il faut classer les vêtements usagés importés comme une marchandise tunisienne et permettre aux commerçants de les vendre dans toutes les régions du territoire sans aucune procédure bureaucratique supplémentaire», explique-t-il à La Presse, menaçant de suspendre l'activité des friperies si aucun accord n'est trouvé avec les douanes.

Maalawi nous explique également que le secteur de la fripe fait déjà face à de nombreux problèmes liés notamment au pouvoir d'achat des Tunisiens et à la baisse de la demande. «Nous pouvons confirmer que le secteur se détériore jour après l'autre, vu la hausse des prix des articles importés, mais aussi la baisse de la demande liée à celle du pouvoir d'achat des consommateurs, rien que par rapport à l'année dernière», a-t-il encore détaillé.

Et de rappeler que le secteur fonctionnait normalement, ensuite il a été fortement sanctionné par des «amendes et par la hausse des taxes. Tant et si bien que les propriétaires d'usines de tri de fripe ont été obligés de vendre leurs entreprises».

Une activité de plus en plus menacée

Depuis la pandémie de Covid-19, le secteur de la friperie fait face à une crise étouffante et à la menace de disparaître en Tunisie. Pourtant, les vêtements de seconde main s'imposent comme une nécessité économique pour certains et comme une passion pour d'autres, alors que les friperies sont un élément incontournable du secteur textile. Avec la crise économique post-Covid, les prix des vêtements avaient déjà commencé à flamber, le secteur n'a jamais retrouvé son rythme et fait toujours face à des problèmes d'ordre structurel.

Et pour cause des différends opposent toujours les professionnels de ce secteur à la Douane tunisienne. En 2019, une autre polémique avait éclaté lorsqu'une décision de la direction générale de la Douane tunisienne avait interdit aux grossistes le tri des chaussures usagées, considéré alors comme une infraction. Ladite chambre avait annoncé même la fin de la fripe en Tunisie, compte tenu de ces nouvelles procédures douanières.

Pour l'ancien ministre du Commerce, Mohsen Hassen, le secteur reste «investi par les intrus et n'est pas organisé» et marque une faible rentabilité fiscale pour l'Etat. Interrogé sur l'importance de la fripe dans un pays en crise économique, il assure qu'il joue un rôle économique et social très important, puisqu'il touche pratiquement toutes les catégories sociales, selon ses propos.

Afin de faire face à ces problèmes, l'ex-ministre a recommandé l'organisation structurelle de ce secteur, en trouvant des accords avec les professionnels sur la nature du régime à adopter. Il a proposé également d'annuler le recours à l'agrément du gouverneur pour exercer ce métier et d'opter pour la libre circulation des professionnels.

Une plaque tournante

La Tunisie est une plaque tournante du marché africain et européen des vêtements usagés. Selon des données officielles, le pays compte, en 2022, 150.000 vendeurs de friperie, alors que 8.000 conteneurs de fripe arrivent aux différents ports tunisiens chaque année. Selon les chiffres du Groupement interprofessionnel de la friperie auprès de la Conect, le secteur de la friperie emploie directement entre 8 mille et 10 mille personnes en Tunisie, et indirectement entre 300 mille et 400 mille vivent de la fripe.

Toutefois, il faut dire que les procédures prises par la Douane ne sont pas arbitraires.

Elles visent notamment à lutter contre l'évasion fiscale et les différentes formes de commerce illégal, dans la mesure où le secteur connaît un dysfonctionnement considérable au niveau de la contribution fiscale des entreprises en question, d'autant plus qu'environ 2.000 commerçants détaillants exercent toujours sans autorisation.

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