Ile Maurice: «Le ministre des Arts ne peut pas passer son temps à faire le tour des socioculturels»

À la rentrée, son émission «Dimanche Culture» sera à son 645e numéro. Depuis trois ans, elle se prolonge par le biais des soirées «À table avec...» au «Labourdonnais Waterfront Hotel» et des lancements de livres à la librairie Petrusmok, au «Hennessy Park Hotel». Fin 2023, Finlay Salesse a à nouveau quitté l'émission «Enquête en direct», sur «Radio One». À 77 ans, sa retraite est plus active que jamais.

Des auditeurs ont été secoués quand vous leur avez annoncé que vous preniez votre retraite, fin décembre.

J'ai pris ma retraite depuis longtemps.

Depuis combien de temps ?

Après le Covid.

Mais vous êtes plus actif que jamais.

C'est une retraite virtuelle. C'est comme l'amour virtuel, avec toutes les jouissances, mais sans la réalité. Je vous explique. Pendant le confinement, je découvre le jardinage. C'est physique. J'avais commencé à marcher, je faisais 25 fois le tour de la grande cour. Quand on a desserré les restrictions, je suis allé marcher dans les champs de canne, de Bonne-Veine à L'Espérance. La police me croisait... Elle me connaît.

Quand je suis revenu en studio quatre mois et demi plus tard - entre-temps, on avait installé un petit studio à la maison d'où j'intervenais à chaque fois que le ministre Kailesh Jagutpal faisait une conférence de presse - mo ploré lor lari. Faire la route de Quartier-Militaire à Port-Louis me prenait une heure. J'ai dit stop. Je garde Dimanche Culture, Polémique et un éditorial. Point à la ligne. En décembre, j'ai rendu service pendant un mois, après le départ d'Annabelle Savabaddy. Je me suis levé tôt.

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Dimanche Culture, c'est «mo pié douri». Le tronc qui a donné naissance aux soirées de lancements de livre à la librairie Petrusmok au Hennessy Park Hotel et aux soirées À table avec... à l'hôtel Labourdonnais.

Vous êtes sorti de derrière le micro.

Je me suis libéré du micro.

Une étape nécessaire ?

Il fallait surtout me libérer d'Enquête en direct. On ne peut pas prendre toutes les misères du monde tous les jours de 9 heures à 11 heures. Un psychanalyste m'a déjà dit qu'il fallait que je m'allonge sur un divan pour dire comment je vivais tout ça. Heureusement que je suis bipolaire (rires). Ce n'est pas possible sinon. Après Enquête en direct, quand je quittais les locaux de la radio, je vivais une autre vie. Je revenais le lendemain et je reprenais les problèmes des gens.

«Dimanche Culture», c'est votre oxygène ?

Ah ! Qu'est-ce que c'est bon. J'aime la lecture, en plus. Le dimanche 14 janvier, ce sera la 645e édition de Dimanche Culture. L'émission a démarré le 31 mai 2010. Nous entamons sa 13e année. Au départ, je ramais. On avait un livre mauricien de temps en temps. Je m'étais arrangé avec des amis en France qui avaient des connexions dans le monde de l'édition. C'est comme ça que j'ai eu Amélie Nothomb, Patrick et Olivier Poivre d'Arvor, Luc Ferry, Stéphane Hessel. J'ai connu Marc Lambron quand il était un mortel (NdlR, aujourd'hui académicien français, donc un immortel). Tous ces grands noms sont devenus des amis. Certains sont venus à la maison.

Mon regret est de ne pas avoir pu interviewer Jacques Chancel (NdlR, journaliste français connu pour l'émission Radioscopie). Parmi mes références, il y a aussi Bernard Pivot et Augustin Trapenard. Chancel avait la faculté de rendre les gens bêtes intelligents, en une heure d'interview.

C'est ce que vous faites avec vos invités ?

Mes invités sont tous intelligents. Au début, j'avais fait la bêtise de penser que Dimanche Culture allait se concentrer uniquement sur les livres. J'ai vraiment ramé. Petit à petit, les auteurs mauriciens ont trouvé que c'était une belle plateforme de promotion. On a alors redéfini la culture, en l'élargissant à tout ce qui est dans l'ADN d'une nation. Ce qui va de la littérature à l'agriculture, en passant par toutes les expressions artistiques, musicales.

*Il n'y a pas trop de chanteurs dans votre émission.

Les gens savent où ils vont. Sans porter de jugement sur des émissions plus populaires que Dimanche Culture.

Vous avez dépassé l'éternel débat culture populaire v/s culture pour les élites ?

Quand on définit la culture d'une manière aussi vaste que dans Dimanche Culture, c'est-à-dire tout ce qui fait un pays, ma palette d'invités s'est considérablement élargie. Vous savez le nombre de chefs cuisiniers que j'ai interviewé ? De Bocuse au dernier en date, Noël Chelvan. Vu mon âge...

Canonique ?

...J'ai 77 ans. J'ai connu Serge Constantin ; aujourd'hui je tombe sur son fils David. La mère Constantin a été ma prof de français et de littérature. J'ai un pied dans toutes les expressions artistiques. Quand on lit, on partage un patrimoine commun. C'est là où cela devient un peu élitiste. Pour ceux qui ne lisent pas, just too bad. Compte tenu de la montée de tous les intégrismes, de toutes ces intolérances...

Comme la brutale intrusion d'un groupuscule lors du «Gran Konser» à la Citadelle ?

...En plus, il y a ce que l'on a vu à La Citadelle. Il n'y a qu'un seul antidote, c'est la culture, la lecture, les expressions artistiques. C'est ça qui peut nous rassembler. La culture repousse les frontières du fanatisme. C'est pour cela que je ne peux pas être un fanatique, que ce soit en politique ou en sport. Il suffit que Manchester United joue contre Liverpool, quand je vois ce déferlement de bêtises, je n'ai pas envie de voir le match, alors que je peux apprécier un but des deux côtés.

Pour le Boxing Day, Liverpool a joué contre Burnley. Mais Burnley, c'est la chèvre de Monsieur Seguin. La résistance de cette équipe m'a fait plaisir, même si j'aime bien Liverpool et Mohamed Salah. La culture partagée repousse les frontières de l'intolérance.

Venons-en au problème politique de la culture. Albert Camus a dit dans un entretien accordé à la revue Caliban en 1951 (il lit dans un grand cahier quadrillé) : «Tout ce qui dégrade la culture raccourci les chemins qui mènent à la servitude.» Explication de texte : moins vous lisez, plus on peut vous asservir. Dans Fahrenheit 451, Truffaut montre comment on brûle les livres. Toute société qui ne veut pas libérer son peuple n'encourage pas la lecture. On n'a qu'à voir la politique culturelle des gouvernements successifs que nous avons connus.

Avinash Teeluck est venu à un lancement de livre et il a fait un discours, sans notes, qui a été salué par des applaudissements nourris. C'était la première fois qu'on applaudissait un ministre ainsi. Est-ce parce qu'on s'attendait qu'il soit le Gowressoo de Petrusmok ? Pour nommer Gowressoo ministre des Arts et de la culture, ça veut dire que vous pissez sur la population. Cela veut dire que vous voulez asservir votre pays et qu'il n'y a pas de politique culturelle. Vous avez vu comment le ministère des Arts et du patrimoine culturel vient de traiter les artistes ?

À la même heure que leur marche pacifique dans les rues de Port-Louis, le ministre recevait le syndicat, l'Union des artistes.

Ce n'est pas normal. Avinash Teeluck est un ami en plus. Donc je peux me permettre de dire du mal de lui. Tant qu'il ne définit pas une politique culturelle, tant que certains ont le sentiment que l'assistance donnée aux artistes est sélective, il a un problème. Le ministre des Arts et du patrimoine culturel n'est pas un organisateur de festivals ; il ne peut pas passer son temps à faire le tour des socioculturels. Le rôle du ministre est de définir la vision culturelle du gouvernement. C'est pourquoi je reste au bord de la route ; j'attends toujours le Jack Lang de la République de Maurice.

Tous les bienfaits de la culture dont vous parlez, vous avez réussi à les matérialiser ?

Disons que la population de ceux qui résistent s'est agrandie. Dans Dimanche Culture, je m'adresse à des auditeurs qui veulent bien m'écouter. On ne va pas donner les chiffres, mais il y a une progression.

Les soirées «À Table avec...» à l'hôtel «Labourdonnais» sont souvent «sold out». Vous avez créé un fan-club ?

Une secte (rires).

Vous êtes un gourou ?

Oui, je suis un gourou. Au-delà du cénacle, c'est une plateforme de convivialité où toutes les communautés se retrouvent. Ce qui est réconfortant, c'est que le public des lancements de livres à la librairie Petrusmok vient maintenant aux soirées À table avec...

Alors qu'au départ, ce n'est pas le même public.

Ce n'est pas le même public. À table avec... c'est né avec Rolph Schmid, le grand patron du Labourdonnais qui voulait monter une opération histoire et gastronomie. On en a parlé dans Dimanche Culture. Il m'a alors demandé d'aider à réfléchir au concept. À trois, on a décidé... z

Le troisième, c'est qui ?

Le chef Nizam Peeroo. Nous avons décidé de parler de Port-Louis, d'histoire et de gastronomie. La première édition, avec Tristan Bréville, a eu lieu le 20 mars 2019. J'ai été impressionné : c'était complet avec 120 personnes. Nous n'avons pas arrêté depuis. Sauf pendant le confinement, évidemment.

Vous enchaînez tous ces lancements de livre à la librairie Petrusmok, vous parlez des livres à la radio, mais on dit partout que les gens ne lisent pas.

Il y a plus de gens qui écrivent que de gens qui lisent. Bon, il y a ceux qui viennent aux lancements pour se faire le plaisir d'écouter les discours mais qui n'achètent pas de livre. Mais il y a aussi des livres qui se vendent grâce à ces soirées. On a commencé ces lancements à Petrusmok le 18 octobre 2015.

Qu'en est-il du concept «Autour d'un auteur», encore une autre formule de soirée qui a commencé au «Hennessy Park Hotel» ?

Cela va être revigoré. On va recommencer à la rentrée.

Qu'est-ce que vous allez faire maintenant que vous aurez plus de temps ?

Travailler moins pour lire plus.

Vous mettez un point d'honneur à lire les livres que vous recevez ?

Les livres que je présente au Hennessy Park Hotel, oui. Dans Dimanche Culture, un peu moins, parce que j'ai l'honnêteté de dire à l'auteur : «Présentez votre livre.» C'est une présentation du livre, pas une analyse, comme au Hennessy Park Hotel, où il faut que je maîtrise l'ouvrage. Chez Petrusmok, on ne peut pas prendre tous les livres.

Comment se fait le choix ?

Il y a un comité de lecture dont je fais partie avec Alain Gordon-Gentil et Vicky Thanay (NdlR, General Manager, NinetySix Hotel Collection).

Vous avez eu de belles surprises en 2023 ?

J'ai bien aimé Les guérisseurs, roman d'Amarnath Hosany. Cela m'a rappelé Marcel Cabon. Un petit village qui fait penser à Brune-Paille. C'est bien écrit, léger et hautement sociologique.

«À table avec...» Jean Claude de l'Estrac : Plus de deux siècles de «turbulences électorales»

Pour la rentrée, la soirée «À table avec...» est résolument dans l'air du temps. «2024, c'est les élections générales.» Thème choisi : «1790-2024, les grandes turbulences électorales.» Au pupitre du conférencier, le public retrouvera Jean Claude de l'Estrac, journaliste, ancien ministre, ancien secrétaire général de la Commission de l'océan Indien.

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