Ile Maurice: Pravind Jugnauth sème le doute

Le Premier ministre est le seul à décider de la date des élections générales. Cependant, la Constitution et la «Representation of the People Act» réduisent son champ de manoeuvre. À moins que...

L'année 2024 sera définitivement une année électorale. Le travail de terrain et par médias interposés a déjà commencé pour la majorité. L'opposition, elle, observe et écoute avec attention les moindres mouvements et déclarations du gouvernement. Le passage presque en force de la Financial Crimes Commission (FCC) Act, l'amendement à la Local Government Act et la nouvelle re-délimitation de plusieurs circonscriptions ont encore ajouté aux spéculations que les élections générales auraient lieu plus tôt que prévu.

L'avocat Milan Meetarbhan nous rappelle que toute élection ne peut se faire que sur la base du plus récent registre électoral en vigueur à la date prévue pour l'élection. Or, la mise en application de nouvelles délimitations des circonscriptions nécessite des aménagements au registre électoral. Selon les termes de la loi telle qu'elle existe actuellement, un nouveau registre ne sera publié qu'au mois d'août. Peut-on remanier un registre existant pour tenir compte des nouvelles délimitations avant la date prévue par la loi pour l'entrée en vigueur d'un nouveau registre ? On ne le sait pas. Selon nos informations, au cas où le nouveau registre ne soit prêt qu'au mois d'août, il est possible que les élections aient lieu entre septembre et décembre.

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«Kapav plis ankor»

Pravind Jugnauth, de son côté, a, à plusieurs reprises, laissé entendre qu'il irait jusqu'au bout de son mandat. Dans ses voeux à la nation du 1er janvier, il est allé plus loin en affirmant que son gouvernement ira jusqu'à la fin de 2024 «ek kapav plis ankor». Selon Me Meetarbhan, les élections doivent avoir lieu chaque cinq ans en vertu de l'article 57 (2) de notre Constitution. La durée du mandat Parlementaire est de cinq ans à partir de la date de la première session de l'Assemblée nationale, soit le 21 novembre 2019. Le 21 novembre 2024, le Parlement sera automatiquement dissous.

Cependant, ajoute Me Meetarbhan, sous l'article 41 de la Representation of the People Act, le gouvernement a un délai de 55 jours à partir du 21 novembre 2024 pour émettre le writ of election, un autre délai entre 15 et 30 jours à compter de ce writ pour fixer le Nomination Day, et entre 15 et 60 jours à partir du Nomination Day pour fixer la date des élections, soit un maximum de 145 jours à compter de la date de la dissolution obligatoire du Parlement. Selon nos calculs, les élections générales peuvent donc avoir lieu au plus tard le 15 avril 2025. Ceci, bien sûr, si le Parlement n'est pas dissous avant le 21 novembre.

Mais suivant la dissolution automatique de l'Assemblée nationale, des élections peuvent aussi être organisées au plus tôt le 22 décembre 2024 si l'on prend les délais minima prévus à l'article 41, soit 1,15 et 15 jours respectivement à partir du 21 novembre 2024, soit un délai total de 31 jours. Tout comme Pravind Jugnauth l'avait fait en 2019 lorsqu'il avait dissous l'Assemblée nationale le 6 octobre et les élections avaient eu lieu le 7 novembre, après 31 jours.

Pour les élections de 2014, Navin Ramgoolam avait dissous le Parlement le 6 octobre et les élections avaient été organisées le 10 décembre, soit après un délai de 55 jours. Il est vrai que les élections étaient anticipées. Le 31 mars 2010, l'Assemblée nationale avait été dissoute et des élections anticipées fixées au 5 mai. Soit un délai de 35 jours seulement. Il faut noter que durant ces 31 jours à 145 jours, seul l'exécutif fonctionne et non le Parlement. Ce n'est donc qu'un caretaker government, qui ne doit pas, par respect pour les normes démocratiques, prendre des décisions qui engageront le prochain gouvernement.

Guerre et état d'urgence

Combien de jours prendra Pravind Jugnauth pour fixer les élections ? Tout dépendra de son bon vouloir. Si le gouvernement veut aller au-delà du 15 avril 2025, il faut qu'il se prévale de l'alinéa 3 ou 4 de l'article 57 de la Constitution qui permet la prorogation du Parlement pour cause de guerre ou d'état d'urgence. En cas de guerre, il peut être prorogé d'un an et à nouveau d'un an si la guerre continue, et ainsi de suite, mais ne dépassant pas cinq ans au total. En cas d'état d'urgence, le Parlement ne peut être prorogé que de six mois, mais seulement deux fois au maximum. Si une guerre ne dépend pas de la volonté du seul Pravind Jugnauth, en revanche l'instauration de l'état d'urgence pourrait l'être, mais à condition qu'il existe une situation grave qui l'exige dans le pays...

Amendement de la «Representation of the People Act»

Cependant, il existe théoriquement la possibilité d'étendre les délais prévus par l'article 41 de la Representation of the People Act et d'organiser les élections après le 15 avril 2025, nous dit Me Meetarbhan. «Si un gouvernement veut étendre le délai, il pourrait amender la Representation of the People Act, loi qui ne nécessite pas de vote par une majorité qualifiée au Parlement, c'est-à-dire par deux-tiers ou trois-quarts des élus, mais par un vote à majorité simple, c'est-à-dire par un vote des seuls élus du gouvernement.» Le gouvernement ira-t-il jusqu'à cette extrémité ? «À voir comment la FCC Act a été passée et comment les élections municipales ont été renvoyées, surtout la deuxième fois», dit l'avocat constitutionnaliste, «certains pensent que pour le gouvernement actuel, 'nothing is off the table'.»

L'exemple du Royaume-Uni

Même si on exclut ces possibilités extrêmes, la date exacte des élections ne sera connue qu'à la dissolution du Parlement. C'est au seul Premier ministre d'en décider. Pourquoi donc tant de pouvoir au Premier ministre pour quelque chose qui est à la base même de notre démocratie ? «Un Premier ministre qui est chef de parti et, donc, un des principaux acteurs de la scène politique, ne peut à lui seul décider de la date qui lui convient en fonction des circonstances politiques qu'il estime être favorables ou selon les conseils de son astrologue !»

Pour Me Meetarbhan, c'est une anomalie qu'il faut corriger et la tenue des élections générales devrait être «rule-based», c'est-à-dire régie par des textes et non selon la seule discrétion d'un des protagonistes de l'élection. Tout comme au Royaume-Uni où les élections ont lieu au plus tard 25 jours ouvrables après la dissolution, sauf si le Parlement existant est dissous avant ses cinq ans de vie, on peut dès maintenant savoir que les prochaines élections y auront lieu au plus tard le 28 janvier 2025. Contrairement à Rishi Sunak, Pravind Jugnauth a beaucoup de cartes en main et son annonce ambiguë du 1er janvier a ajouté encore plus d'incertitudes sur la date du prochain scrutin.

Est-ce voulu de sa part ? Ils sont plusieurs à penser que oui. «D'une part, on voit la majorité se préparer aux élections et, d'autre part, on entend Pravind Jugnauth maintenir qu'il ira jusqu'au bout de son mandat, et même au-delà. Il est clair que ces annonces visent à confondre l'opposition.» On nous rappelle le coup de bluff de Pravind Jugnauth qui avait promis en 2019 d'organiser une élection partielle au no 7 après la démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo, mais qui est allé directement aux élections générales.

L'opposition qui dispose de moyens limités, notamment financiers, est donc condamnée à être active durant toute l'année 2024. Pour confondre encore plus l'opposition, on s'attend aussi à des élections anticipées vu que les caisses, notamment celles de la Contribution sociale généralisée, sont vides, et que le gouvernement a déjà dit bye-bye aux Rs 111 milliards attendues en vain des Anglais pour la location Cyprus-Style des Chagos.

Selon Me Meetarbhan, même si la loi permet un délai maximal de 145 jours pour l'organisation des élections après la dissolution automatique du Parlement, et ne précise pas les circonstances dans lesquelles un gouvernement peut aller au-delà de son mandat de cinq ans, il faut comprendre que dans l'esprit de notre régime démocratique, ce recours aux dispositions légales ne peut être justifié que dans des conditions exceptionnelles.

Si un gouvernement s'accroche au pouvoir après la dissolution du Parlement, il n'y aura plus d'«accountability» car l'exécutif n'aura pas à répondre à des questions parlementaires. Il ne sera plus redevable aux élus du peuple comme c'est le cas dans une démocratie parlementaire. «C'est vrai qu'il y a 40 ans, le gouvernement d'alors avait eu recours à cette disposition légale. Mais la démocratie», dit Me Meetarbhan, «n'est pas statique, mais dynamique. Les normes démocratiques évoluent avec le temps et on est maintenant beaucoup plus exigeant à travers le monde pour tout ce qui concerne le respect des principes démocratiques. Tout ce qui est autorisé par la loi n'est pas forcément légitime ou morale.»

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