Marchant ambulant à Ouaga, vigile, rabatteur au port de Lomé, Sompagnimdi Ismaël Ouédraogo a eu mille vies, toutes aussi difficiles les unes que les autres. Son destin bascule suite à sa rencontre avec un Congolais qui lui a ouvert le marché de volaille dans son pays. De la pintade, le natif de Tenkodogo, mais fils du Yatenga, est à la tête aujourd'hui de Ismo international, une entreprise qui intervient dans plusieurs domaines mais dont le coeur de métier demeure l'assainissement et la vidange des fosses septiques.
Il a l'humilité et l'amour du travail de ceux qui ont touché le fond avant de remonter en surface. «Ceux qui me connaissent savent que je suis 7 jours sur 7 dans ma tenue de service (Ndlr: la même que celle de ses employés) et sur ma moto. Je ne change d'accoutrement que lorsque je pars en voyage d'affaires», précise cet inconditionnel du président Ibrahim Traoré dont le portrait orne son bureau situé au troisième étage d'un immeuble de la capitale. ««Je suis fier de voyager aujourd'hui avec mon passeport burkinabè. Partout où je vais hors du pays, on me parle d'IB. Les gens me disent qu'il faut qu'on le soutienne parce que ce qu'il fait, c'est pour toute l'Afrique. Si nous tenons encore debout, c'est grâce à la lutte acharnée de nos FDS et surtout le courage du capitaine Ibrahim Traoré qui est venu redorer le blason du Burkina. Nous avons une grande chance de l'avoir à la tête de notre pays et je sais que 80% des Burkinabè s'en rendent compte», dit-il.
Lorsque nous lui demandons de raconter son parcours digne d'un récit cinématographique, Ismo international, ainsi qu'on a fini par l'affubler, tient d'abord à témoigner sa reconnaissance à ses parents et surtout à son épouse à qui il doit tout. «Les hommes d'affaires et les commerçants reconnaissent rarement qu'ils doivent leur réussite à leur femme, mais moi je le dis clairement. Dieu m'a donné une épouse exemplaire qui a cru en moi, qui m'a supporté et qui a contribué à faire de moi un homme épanoui, pas financièrement parlant, mais parce que quand je sors le matin, je n'ai aucune inquiétude parce que je sais que ma maison est bien gardée et que mes enfants sont bien éduqués».
Tout juste après ses études qu'il a arrêtées en classe de Terminale au lycée Rialé de Tenkodogo, le jeune Ismaël connaît une première expérience entrepreneuriale au début des année 90 dans le secteur de la restauration. Mais les affaires tournent au vinaigre et il décide d'aller à l'aventure. S'en suivent des années d'errance dans des pays comme la Guinée, le Gabon et la Libye. Las d'attendre la réussite qui tarde à frapper à sa porte, il revient au bercail pour trouver sa voie. En 1997, il s'installe avec son épouse, laquelle porte sa première grossesse, à Ouaga. Le couple est à l'étroit dans son «entrer-coucher». Le père de famille multiplie les petits boulots pour nourrir sa famille. «J'étais devenu un marchant ambulant. J'ai vendu la cola, des cassettes stéréo. Un jour le BBDA m'a confisqué toute ma marchandise. Je me promenais ensuite pour vendre des serviettes», relate le quinquagénaire. Puis un jour, dans un maquis situé au quartier Gounghin de Ouagadougou, le petit commerçant est invité par un client à rejoindre sa table. « Il s'appelait Désiré Herman Malanda. Cet homme, je ne peux jamais l'oublier de toute ma vie. Il était de nationalité congolaise et était au Burkina pour ses études à l'ecole nationale des Douanes. J'ai voulu qu'il achète mes serviettes ou qu'il me donne de l'argent, parce que je ne savais pas si ma famille allait avoir à manger ou pas le soir. Il a insisté pour que je m'asseye parce qu'il a remarqué qu'à chaque fois, je venais dans le maquis vendre mes serviettes mais personne ne les achetait. Il m'a dit de m'asseoir parce qu'il allait payer une serviette et on allait manger ensemble. Il avait commandé une pintade grillée. Il m'a dit qu'au Congo Brazza, une pintade pareille coûtait 75 000 F CFA», raconte-t-il.
Cette information fait tilt dans sa tête: « Je lui ai demandé: si j'amenais des pintades pour vendre au Congo, je serais donc riche? Il a répondu oui, sauf que les conditions étaient difficiles. Mais il m'a dit que si je voulais, il allait m'aider à avoir les autorisations parce que j'étais un battant».
Sans le sou pour mettre en oeuvre cette idée de business qui venait de naître, Ismaël Ouédraogo envoie sa femme et sa fille au village et prend lui-même la direction du Togo. Pendant 9 mois, il dort la nuit sur un banc devant un hôtel , faute de pouvoir payer la chambre et le jour il accompagne des clients pour payer des véhicules contre 2000 ou 5000 francs CFA.
Nous sommes à l'an 2000. De retour de Lomé avec 650 000 francs en poche, il se rend au marché de Gounghin où il paie des pintades à 1250 francs l'unité. «J'ai tué et congelé la volaille dans trois glaciaires et j'ai pris un car pour Lomé. De là, j'ai pris le dernier vol de Air Afrique et j'ai débarqué à Pointe-Noire, la capitale économique du Congo ». Son ami rencontré à Ouaga avait déjà préparé le terrain de telle sorte qu'il n'a pas eu de problèmes avec la sécurité.
A l'extérieur de l'aéroport, le jeune Burkinabè et ses glaciaires attirent l'attention d'un ressortissant sénégalais. Ce dernier propose de l'héberger et paie après négociation sa marchandise à 15 000 F l'unité. «C'était la première fois que j'ai pu avoir un million dans ma main», se souvient-il. Il fera plusieurs rotations par mois entre le Burkina et le Congo , toujours avec en soute ses glaciaires, au point que ses affaires étaient devenues florissantes. «J'étais le seul ouest-africain à être autorisé à importer des pintades. Le Congo m'a vraiment ouvert ses portes», témoigne celui qui a fait également la promotion du Faso Dan Fani et de la médecine traditionnelle burkinabè dans ce pays d'Afrique centrale. C'est dans ce pays qu'il acquiert également pour la première fois un camion de vidange et débute cette activité qu'il a ensuite exportée vers son pays d'origine. Aujourd'hui, Ismo international emploie de manière permanente 125 personnes et est présente au Burkina, au Congo, en RDC, en Angola, et bientôt ses vidangeurs seront à Mombasa au Kenya.
En plus de l'assainissement, la société évolue dans d'autres secteurs tels l'agrobusiness, la vente de motos et d'accessoires de voiture. «Nous touchons à tout», indique son premier responsable pour qui la force de son entreprise ne réside pas dans sa richesse financière mais dans la force de son capital humain. «Nous sommes de petites gens qui faisons avec passion de petits boulots que les autres ont honte de faire», souligne-t-il.
Ne se considérant pas comme un homme ayant réussi mais plutôt qui vient de loin, Ismaël Ouédraogo invite les jeunes à prendre le chemin de la persévérance, seul gage de succès. «Il faut souffrir et croire à ce que vous faites. Il faut avoir une ambition, persévérer et ne pas attendre forcément tout de l'Etat», conseille celui qui est également très engagé sur le plan social. Il est d'ailleurs le parrain de la communauté congolaise au Burkina. «Je ne peux rembourser ce que le Congo m'a donné et je ne peux rembourser ce que le Burkina aussi m'a fait», dit-il modestement.