Présence Africaines Editions. Septembre 2023. 365 pages.
Par petites touches, à travers les dédales de la généalogie, des alliances familiales, des amitiés contractées, on pénètre dans l'univers attendrissant de Ndande, petite « escale » dressée sur le chemin de fer Dakar-Saint-Louis, où l'auteur, né à Louga, a passé une bonne partie de sa jeunesse. C'est dans ce « petit bourg rural » de quelque mille à deux mille habitants que son père, représentant des Etablissements Vézia de Bordeaux, officiait comme traitant. Très tôt, les résultats scolaires du petit Saliou étaient prometteurs puisqu'il réussit avec brio à l'entrée en sixième en se classant major de la circonscription regroupant les cercles de Louga, Linguère, Podor, Matam et Dagana. Ce qui augurait de brillantes études qui seront sanctionnées des années plus tard par le diplôme d'archiviste-paléographe obtenu à Toulouse et délivré par l'Ecole nationale des Chartes. On était dans les années 1950, une époque florissante car en plein essor économique à cause de la traite des arachides et de tout ce qui tourne autour de cette graine, à savoir les agriculteurs qui la cultivent, les traitants qui l'achètent, les moyens de transport qui émergent.
Saliou Mbaye raconte ainsi la vie de cette époque avec notamment les séances de lutte jubilatoires et festives dans Ndande. Bien loin de la spontanéité qui faisait son charme en milieu rural, elles étaient organisées et codifiées la dernière année de l'autonomie du Sénégal (1958/1959) mais se déroulaient désormais dans une arène, en l'occurrence un espace clos délimité par des palissades. L'entrée était désormais payante et les lutteurs avaient un cachet. Cette narration nous replongeait dans l'ambiance d'une époque révolue : lits picots, lampes torches alimentées à la « pile wonder ». Il s'y ajoutait aussi l'apparition vers les années 50 du camion dans le transport des arachides avec ces « citroën » de 1500 kg de charge utile qui démarraient à la manivelle. Et cette apparition avait changé l'environnement socio-économique avec la survenue de nouveaux métiers, à l'image des chauffeurs, des apprentis, des mécaniciens, lesquels avaient l'opportunité de voyager, de voir du nouveau et qui revenaient au village avec des comportements qui n'étaient pas forcément des meilleurs. Ainsi s'affichaient-ils pendant leurs haltes forcées au « garaas », avec une cigarette à la bouche et peut-être autre chose que le tabac, « souvent mal habillés », casquettes vissées à la tête, parlant « une langue qui est à la limite de la correction ». C'était dans les années 1950/1960. Une période qui selon l'auteur, avait d'ailleurs été immortalisée par Mada Thiam, à travers sa chanson « Laye Niaakh », du nom de son amoureux au volant de sa « Ariane ». C'était une époque où les routes n'étaient pas encore bitumées, où il n'y avait même pas de piste carrossable.
Legs
L'auteur relate aussi l'avènement et la propagation de la machine à coudre au Sénégal par le biais de la traite des arachides. C'était notamment aux alentours des années 1900 pour la machine à pédale et vers les années 1960 pour la machine à coudre spécialement dédiée aux femmes. L'école n'étant pas érigée partout, on découvre la vie alentour, le rôle prépondérant de la solidarité parentale, voire celle du terroir, autour des enfants de la fratrie, des amitiés, nourris et blanchis, que l'on recueille pour les besoins de leur scolarisation. Dans le déroulé des souvenirs de l'auteur, on apprend que dès le 19è siècle, le Sénégal se dote de mosquées. A l'instar de Dakar, Rufisque, et autres grandes villes de l'intérieur du pays, telle St-Louis où l'administration coloniale française avait autorisé en 1847 la construction d'une mosquée au Nord de l'île. A Diourbel, de retour du Gabon et de la Mauritanie Cheikh Ahmadou Bamba avait fait construire une moquée. L'auteur relate aussi le drame des traitants, victimes de l'économie de la traite arachidière que le gouvernement de Mamadou Dia s'échinait « à démanteler avant de se lancer dans l'aventure exaltante de l'indépendance ».
Comme relevé dans la préface signée par son ami et condisciple, le Pr Seydou Madani Sy, « , au-delà de son caractère de récit autobiographique , est le fruit d'un travail scientifique historique , combinant les sciences de l'archivistique, de l'onomastique, de la généalogie, de la linguistique et de la géographie historique, le tout en repositionnant le Ndande des années 1950 dans son terroir ».
Bien édité, agréable à lire, « Ndande Fall, Keur Madame, Souvenirs d'un enfant du terroir » est une invite à replonger dans le royaume, en permettant ainsi de de mesurer le décalage qui s'est dessiné entre l'avant et l'après. Non point pour en dessiner les séquences merveilleuses mais plutôt pour faire le tri et tracer de nouveaux horizons gros de ce qu'il y a de meilleur à léguer aux générations futures.