Ile Maurice: Le pouvoir et l'achat

analyse

La rentrée politique reste pour le moment marquée par les messages de fin d'année des principaux dirigeants politiques. Souhaits tous azimuts. Pratiquement tous, sauf le Premier ministre lui-même, parlent de 2024 comme l'année des élections. Celle du changement, du renouveau, voire de la «délivrance». On peut comprendre les opposants qui doivent galvaniser leurs troupes avant de livrer bataille d'autant que les rencontres préparatoires que sont les municipales, n'ayant pas été protégées par l'amendement constitutionnel de 1982, ont été plus d'une fois renvoyées aux calendes grecques. Ce qui a provoqué une démobilisation quasi généralisée, même si quelques meetings régionaux tentent de fédérer autour de quelques slogans creux.

Dans les villages du Sud, des éclats de voix çà et là refusent de s'évanouir dans la chaleur moite qui monte. Aux abords des commerces, les chiens errants ont repris leur place, nonchalants. Les marchands ambulants ont ramassé leurs cartons et ont déguerpi ; et on entend le choeur diffus d'un électorat à nouveau aux aguets des mesures électorales et attendant sans grand espoir les noms des candidats qui seront présentés par les différentes équipes qui se préparent. Le système est vicié, mais on devra, une fois encore, faire avec le First Past The Post, sans vraiment savoir si l'on aura le temps d'avoir de nouveaux registres électoraux ; ou si l'on votera selon les anciennes délimitations des circonscriptions. On raconte qu'un ministre n'a pas voulu prendre de risque et a donné des jouets de Noël même à ceux qui ne sont plus dans sa zone. Dans la rue, le doute est permis. Les phrases ne sont pas complétées, les dialogues infinis, car personne ne sait si les élections se tiendront en 2024 (après le 5e Budget de Renganaden Padayachy) ; ou avant juin 2025, le temps de boucler les chantiers infrastructurels (dont l'impressionnant pont qui reliera Sorèze à Coromandel) ; et de permettre à la Financial Crimes Commission d'atteindre ses premières cibles.

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Même les monologues des chefs agents politiques - qui normalement savent tout - restent inachevés. Les exclamations sont certes sonores par rapport à la pension de Rs 13 500, au salaire minimum de Rs 15 000, à la compensation salariale de Rs 1 500-Rs 2 500 et à l'apport de la CSG pour ceux touchant moins de Rs 25 000, mais les murmures se révèlent inaudibles, et les interjections invraisemblables, entre ceux qui n'ont jamais eu autant d'argent entre les mains (surtout les jeunes qui célèbrent leur vingtième anniversaire) et ceux qui regrettent létan lontan, quand l'argent, en quantité moindre, remplissait davantage le caddie qu'aujourd'hui...

J'ai échangé hier matin avec des commerçants de Rivière-des-Anguilles et personne ne veut prédire quand on va atteindre le pic de l'inflation. Serait-ce maintenant, en ce rude mois de janvier 2024, en raison des dépenses liées à la rentrée des classes et ce, après avoir cassé la tirelire pour financer les cadeaux et fêtes de fin d'année 2023 ?

Le village bourdonne, les gens susurrent. Interjections des parents et des syndicalistes, onomatopées rassurantes des annonceurs, interminables prêches des dirigeants politiques... chacun y va de son refrain et accompagne la marche du temps pour ne pas se laisser distancer. Le troupeau est éparpillé. La voie n'est pas tracée.

L'inflation, oscillant, change de composition, selon certains économistes. «En 2022, la hausse des prix de l'énergie contribuait deux fois plus à l'inflation que ceux de l'alimentation, alors que cette année ces derniers sont responsables de près de la moitié de l'inflation», observe un père de famille. Si les prix des services restent modérés, ceux des produits manufacturés augmentent. L'inflation se diffuse; les letchis se vendaient à prix d'or et sont déjà introuvables. Deven, le marchand, ne blâme même pas ceux qui exportent, ni les chauves-souris. «Rapor mem pa ti bon sa lané-la!»

Certes, dans la rue, on reconnaît que les salaires ont augmenté, mais ce n'est pas - ou plutôt jamais - suffisant pour compenser l'inflation. Le salaire réel, qui doit être pesé à l'aune de la hausse des prix de consommation, pourrait même avoir baissé, à entendre les récriminations au marché. Le temps nous dira si les mesures fiscales déployées par le tandem Jugnauth-Padayachy auront suffi à éviter le recul du pouvoir d'achat par unité de consommation ?

Certainement, me dit la gérante du Cold Storage, les ménages ont freiné leurs dépenses. Au bout de la chaîne, les freins sont appliqués, mais pour en arriver là il y a eu, en amont, la crise pandémique, la succession de chocs, les tensions sur les chaînes d'approvisionnement, la crise énergétique, l'arrêt progressif des mesures exceptionnelles de soutien, la dépréciation de la roupie... tout cela pèse lourd aujourd'hui dans le panier du bazar, surtout si l'on importe davantage que l'on produit ; et qu'il y a une déconnexion entre entreprises et ménages. Tout cela travaille sur le moral des électeurs-consommateurs.

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