Ile Maurice: 2024 - Des priorités économiques soumises à la surenchère des cadeaux électoraux

On l'anticipait déjà. Le 1er janvier 2024, comme celui de 2023, aura été marqué une nouvelle fois par des annonces largement populistes : la pension à Rs 13 500 aux retraités de 75 ans ou plus et la double rémunération pour les fonctionnaires affectés dans les services essentiels les dimanches. Faut-il s'étonner de ces mesures, alors même que Premier ministre, Pravind Jugnauth, a plus d'une fois affirmé l'année dernière qu'il va jouer au Bolom Nwel en distribuant des cadeaux à tour de bras à tous les segments de la population ? L'annonce de 1er janvier intervenait de surcroît après la hausse du salaire minimum à Rs 18 500 effective ce mois-ci, tout comme l'octroi d'une compensation salariale «across the board» de Rs 1 500 à Rs 2 000.

Relativisons : il existe une large frange de la population, plus particulièrement les ménages en situation précaire, qui souffrent toujours d'une baisse de pouvoir d'achat depuis des mois, voire des années, suivant l'effet combiné d'une envolée de l'inflation et d'une roupie qui a perdu plus de 22 % de sa valeur face au dollar depuis 2019. Ces nouvelles mesures de soulagement social ne peuvent que mettre du baume au coeur de ces personnes pour apaiser leur peine. En même temps, on ne peut occulter le fait que le timing de ces annonces n'est pas dépourvu d'arrière-pensées électoralistes à l'approche des consultations populaires cette année.

La majorité gouvernementale sortante entend mettre le paquet avec une série d'annonces et de promesses électorales pour amadouer son électorat et en séduire d'autres, ces 50 % des votants qui ne s'identifient jusqu'à présent à aucun parti politique, selon le baromètre politique du sondage Synthèse / l'express, rendu public en octobre 2023. Lequel sondage souligne clairement les revendications de la population lors de la prochaine joute électorale, celles-ci portant notamment sur trois axes principaux : dont des actions concrètes pour lutter contre la cherté de la vie, la prolifération de la drogue et l'institution d'un salaire avec un seuil plus élevé.

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On saura dans les jours à venir ce que l'alliance gouvernementale et celle des partis de l'opposition comptent proposer sur ces fronts, avec le démarrage de la campagne, alors que le Premier ministre pourra s'appuyer sur la hausse de 29 % du salaire minimum couplée au nouveau quantum de la compensation salariale pour tenter de convaincre les familles de la classe moyenne et celles au bas de l'échelle que des mesures concrètes ont été prises pour leur redonner du pouvoir d'achat.

Dans la foulée, des spécialistes de la finance ont, ces dernières semaines, exprimé des inquiétudes sur l'impact de ces réajustements salariaux sur les entreprises. L'économiste Eric Ng note qu'il n'existe «aucune logique à ce que l'État impose une hausse salariale que les employeurs ne peuvent pas supporter, pour ensuite les aider à la payer avec l'argent des contribuables». Voir son analyse. D'autres soutiennent qu'à la fin de la journée, c'est l'argent des contribuables et des entreprises, sous forme d'impôts et de TVA, qui permettra au gouvernement de financer ses largesses économiques et sociales.

Dégradation

N'empêche que dans un contexte électoral où toutes les décisions prises relèvent d'un calcul politique pour surprendre l'adversaire, les priorités économiques d'une nouvelle année sont loin d'être à l'ordre du jour. Et même si la tentation est forte pour une utilisation excessive des fonds publics à des fins politiques, des institutions internationales nous surveillent comme le lait sur le feu et toute dégradation des principaux indicateurs macroéconomiques pourrait coûter cher au pays, une fois la fièvre électorale estompée et un nouveau gouvernement constitué.

On n'insistera pas assez sur le fait que la nouvelle année qui s'ouvre demeure éminemment cruciale car elle déterminera le choix de nos prochains gouvernants. Ce qui impose des devoirs mais aussi des responsabilités pour la population. Entre-temps, les observateurs indépendants ont plus d'une fois tiré la sonnette d'alarme sur un graduel verrouillage des institutions clés du pays et un rétrécissement de son espace démocratique, la cerise sur le gâteau étant l'adoption au Parlement le mois dernier de la Financial Crimes Commission.

Faut-il que l'État nous fasse la démonstration que l'avènement de la FCC, tout comme la motion du nouveau redécoupage électoral par l'Electoral Boundaries Commission et de l'enregistrement des cartes SIM ne sont pas politiquement motivés ? Sans doute, oui. Le cas contraire, il faudra un réveil populaire en 2024 pour que l'alternance politique, peu importe les princes qui seront appelés à gouverner, soit respectée et que l'argent ne soit pas le seul critère pour motiver le vote d'un électeur. Car il y a d'autres valeurs comme l'honnête, l'intégrité et l'éthique à chérir dans la société, celles qui doivent s'inscrire dans un nouveau contrat social avec le peuple...

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