Amnesty International et des organisations de la société civile mauritanienne déplorent la fin prématurée de la campagne d'enrôlement à l'état civil prévue le 31 décembre 2023 et appellent à sa prolongation et son amélioration.
"La fin de la campagne d'enrôlement à l'état civil au 31 décembre 2023 va priver de très nombreuses personnes de la possibilité d'obtenir le numéro national d'identification nécessaire à la jouissance de leurs droits fondamentaux, comme le droit à l'éducation, à la santé, ou encore le droit de vote. La prolongation est nécessaire pour que la Mauritanie respecte ses engagements régionaux et internationaux en matière de protection des droits humains" a déclaré Firmin Mbala, chercheur sur l'Afrique de l'Ouest et Centrale à Amnesty International.
La campagne d'enrôlement à l'état civil qui a démarré le 11 juillet 2023 fait suite aux précédentes campagnes organisées notamment en 2011 et 2017. Nos organisations, dont Amnesty International qui a mené une visite en Mauritanie en novembre, ont pu constater l'engouement suscité par cette campagne, rendu visible par les longues files d'attentes dans les centres d'accueil citoyens en charge de l'enrôlement, mais également les difficultés et entraves rencontrées par des milliers de personnes pour accéder à ce droit fondamental.
Nos organisations ont pu en effet constater à travers la visite de plusieurs centres d'accueil citoyens et le recueil de témoignages, les multiples tracasseries que subissent de trop nombreuses populations pour s'enrôler et obtenir le numéro national d'identification nécessaire à l'obtention d'autres actes d'état civil comme la carte nationale d'identité et l'exercice de nombreux droits humains.
Parmi ces obstacles, nos organisations ont notamment relevé l'absence d'uniformité et de transparence des procédures d'authentification des identités qui varient selon les centres d'enrôlement et les agents chargés de les appliquer ; des erreurs de transcription de noms qui entraînent des procédures de rectification fastidieuses ; l'obligation parfois prohibitive pour les personnes nées avant 2005 d'effectuer des déplacements longs et couteux dans leur région d'origine pour obtenir un acte de naissance nécessaire à l'enrôlement ; des vérifications renforcées pour certaines populations, notamment celles de la Vallée du fleuve Sénégal, du fait de suspicions a priori des agents sur leurs origines ; ou encore des difficultés techniques et logistiques rencontrées par les centres d'enrôlement qui peuvent entraver tout service aux usagers pendant plusieurs jours. Ces obstacles entravent l'accès à l'enrôlement et à l'identité de milliers de Mauritaniens, en particulier pour les personnes déplacées ou réfugiées en dehors du pays, les rapatriés, les populations Haratines et negro-mauritaniennes.
Amnesty International et les organisations de la société civile mauritanienne cosignataires rappellent que le droit à l'identité est un droit humain fondamental, reconnu par la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Ce droit est essentiel pour l'exercice d'autres droits, tels que le droit à l'éducation, à la santé, à la participation politique, à la protection sociale et à la justice. Nos organisations s'inquiètent ainsi des conséquences des obstacles à l'enrôlement et de la fin prématurée de la campagne d'enrôlement, qui risque de maintenir la situation de milliers d'apatrides et de sans-papiers, privés de leurs droits les plus élémentaires et exposés à la marginalisation et à l'exclusion.
Nos organisations appellent les autorités mauritaniennes à prolonger l'enrôlement à l'état civil au-delà du 31 décembre 2023, à simplifier les procédures, à réduire les coûts associés au processus d'enrôlement, à garantir un traitement sans discrimination, à sensibiliser les populations davantage à l'importance de ce processus et à renforcer les capacités des agents d'état civil. Elles demandent également aux autorités mauritaniennes d'humaniser davantage les conditions d'accueil dans les centres d'enrôlement, en respectant la dignité, la sécurité et la confidentialité des personnes qui s'y présentent. Elles appellent enfin les autorités mauritaniennes à impliquer plus étroitement les organisations de la société civile locale au processus d'enrôlement, en reconnaissant leur rôle essentiel de médiation, de sensibilisation et de suivi.
[organisations signataires]
- Amnesty International
- Association Mauritanienne des Droits de l'Homme
- Association des Femmes Chefs de Famille
- Coordination Enrôlement en Mauritanie
- Fondation Beye
- Fondation Sahel
- Kavana
- Mouvement EL HOR
- Organisation Mauritanienne des Droits et Libertés
- SOS Esclaves