Afrique: Corne de l'Afrique - L'impunité alimente les abus

communiqué de presse

Nairobi — Les civils paient le prix de l'inaction internationale face aux atrocités commises en temps de guerre et aux crises humanitaires

Les gouvernements de la Corne de l'Afrique ont été aux prises avec des crises humanitaires et des atrocités de guerre généralisées tout au long de l'année 2023, et ce dans un contexte de faible assistance internationale, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch dans son Rapport mondial 2024. Des griefs historiques non résolus et l'impunité pour les crimes graves ont nourri des violations généralisées contre les civils dans la région.

Les conflits au Soudan et en Éthiopie ont eu un impact considérable sur les civils, entraînant la perte d'innombrables vies humaines, des destructions de biens et des déplacements à grande échelle. Au lieu de traiter ces crises comme des priorités, les gouvernements influents, ainsi que les Nations Unies et les organisations régionales, ont cherché, à plusieurs reprises, à atteindre des objectifs à court terme au détriment de solutions guidées par le respect des droits humains.

« Le Soudan et l'Éthiopie offrent des exemples glaçants de cas où des forces gouvernementales et des groupes armés bafouent le droit international, sans que leurs actes n'entraînent de réelles conséquences », a déclaré Mausi Segun, directrice exécutive de la division Afrique de Human Rights Watch. « Une action internationale et régionale accrue est nécessaire afin de protéger les civils et mettre un terme aux cycles d'abus et d'impunité qui mettent les civils en danger. »

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Dans son Rapport mondial 2024, sa 34e édition qui compte 740 pages, Human Rights Watch analyse les pratiques en matière de droits humains dans plus de 100 pays. Dans son essai introductif, la directrice exécutive Tirana Hassan affirme que 2023 a été une année lourde de conséquences, non seulement à cause de la répression des droits humains et des atrocités liées aux conflits armés, mais aussi en raison de l'indignation sélective et de la diplomatie transactionnelle. Ces pratiques gouvernementales, indique-t-elle, ont profondément porté atteinte aux droits de tous ceux restés en marge de « deals » inavoués. Une voie différente et porteuse d'espoir est possible, affirme-t-elle cependant, appelant les gouvernements à rester cohérents en respectant leurs obligations en matière de droits humains.

Au Soudan, le conflit armé en cours depuis avril entre les Forces armées soudanaises (Sudanese Armed Forces) et les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces), une force armée indépendante, a eu des conséquences désastreuses pour les civils.

Les parties belligérantes ont utilisé à plusieurs reprises des armes lourdes dans des zones densément peuplées et détruit des infrastructures essentielles, dont des établissements médicaux. Des milliers de civils ont été tués et blessés, tandis que des millions d'autres ont fui leurs foyers, déclenchant une crise humanitaire. Certains des pires abus ont eu lieu au Darfour occidental, où les Forces de soutien rapide et les milices alliées ont délibérément ciblé des civils non arabes, se livrant à des massacres, à des violences sexuelles et à des incendies criminels généralisés dans des villes.

Après que les parties au conflit dans le nord de l'Éthiopie ont signé un accord de cessation des hostilités en novembre 2022, les efforts internationaux limités visant à promouvoir une réelle obligation de rendre des comptes et à mettre fin aux abus se sont rapidement dissipés. Les partenaires de l'Éthiopie, notamment les États-Unis ainsi que l'Union européenne et ses États membres, ont entamé une normalisation de leurs relations avec le gouvernement fédéral malgré les crimes contre l'humanité et d'autres graves abus, y compris dans la région d'Amhara et au Tigré, ainsi que dans d'autres régions.

Les conflits et des événements liés au climat ont déplacé des millions de personnes dans la région. Le conflit au Soudan a contraint plus de 1,2 millions de personnes à fuir vers les pays voisins. Parmi elles se trouvaient des réfugiés vivant au Soudan, qui héberge déjà plus de 2 millions de réfugiés sud-soudanais, et des centaines de milliers d'Érythréens, d'Éthiopiens et d'autres. Malgré des besoins persistants, les appels à l'aide humanitaire dans la région demeurent largement sous-financés.

Dans toute la région, des actions délibérées de la part de parties belligérantes ont exacerbé les crises humanitaires en cours. En Éthiopie, les forces érythréennes ont empêché l'aide humanitaire d'atteindre des communautés dans des zones du Tigré sous leur contrôle alors que de violents combats, des interruptions fréquentes des télécommunications, et des attaques contre des travailleurs humanitaires ont limité les opérations de secours en Amhara.

Au Soudan et en Éthiopie, les opérations humanitaires ont été sérieusement entravées par des attaques contre des travailleurs humanitaires, le pillage généralisé de l'aide ainsi que des formalités bureaucratiques contraignantes, dont des interdictions d'approvisionnement. Depuis avril, des centaines de milliers de personnes fuyant le conflit au Soudan ont rejoint le Soudan du Sud, notamment des Sud-Soudanais qui s'étaient installés au Soudan ainsi que des réfugiés. Cela a exacerbé la crise humanitaire pourtant déjà grave que traverse le pays et qui est alimentée par le conflit, l'insécurité alimentaire chronique et cyclique, des conditions météorologiques extrêmes, ainsi qu'un financement réduit de l'aide humanitaire.

La réponse du Conseil de sécurité de l'ONU aux atteintes généralisées contre les civils et aux déplacements majeurs en Éthiopie et au Soudan a été minime. Ses trois membres africains n'ont pas encouragé la tenue de délibérations solides et significatives sur la protection des civils dans aucun des deux pays.

Des développements plus positifs ont toutefois été observés au Conseil des droits de l'homme de l'ONU qui, lors d'un vote, a institué une mission internationale et indépendante d'établissement des faits (fact-finding mission) pour enquêter sur les abus commis au Soudan. Néanmoins, le Conseil de sécurité et les gouvernements concernés, ainsi que des acteurs régionaux, notamment l'Union africaine et son organe de défense des droits humains, devraient donner la priorité à l'obligation de rendre des comptes dans tout règlement politique du conflit.

En revanche, les efforts visant à promouvoir l'obligation de rendre des comptes en Éthiopie ont connu des revers majeurs. L'UE, un acteur clef de précédentes résolutions du Conseil des droits de l'homme sur l'Éthiopie, a, en septembre, mis fin à l'examen de l'ONU sur la situation des droits humains dans le pays, malgré un rapport très critique de la Commission internationale d'experts des droits de l'homme sur l'Éthiopie (International Commission of Human Rights Experts on Ethiopia, ICHREE) mandatée par le Conseil. Les États membres n'ont pas fait pression pour que la Commission soit renouvelée, tandis que le mécanisme des droits humains de l'Union africaine a laissé sa propre enquête indépendante cesser complètement. Les gouvernements ont cédé face à la résistance du gouvernement éthiopien à un suivi international continu, choisissant de soutenir les efforts de ce dernier visant à établir un processus national de justice transitionnelle. Des victimes de graves abus ont exprimé une profonde méfiance à l'égard des institutions éthiopiennes, qui n'ont pas assuré l'obligation de rendre des comptes pour des exactions commises par des membres des forces éthiopiennes ou autre, notamment érythréennes.

« Dans toute la Corne de l'Afrique, les victimes d'abus graves et leurs familles ainsi que des activistes ont demandé à maintes reprises que les civils soient protégés et que des réparations pour les violations ainsi que l'obligation de rendre des comptes pour les responsables d'abus, notamment les individus au pouvoir, soient garanties », a conclu Mausi Segun. « Les organisations internationales et régionales ainsi que les gouvernements influents ont profondément déçu les personnes dans le besoin par leur approche superficielle face aux crises humanitaires et des droits humains en cours. »

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