Afrique: Maurice - île paradisiaque mais enfer pour certains travailleurs étrangers

L'horizon de Port Louis, la capitale de l'île Maurice en 2011.(photo d'archives)

Des espoirs vite brisés à l'arrivée et un cycle incessant de tromperies, fausses promesses, dettes, sous-paiements, refus d'accès aux soins médicaux, abus et exploitation. S'ils dénoncent la situation, ils s'exposent à des représailles, des menaces et au risque de déportation. Plusieurs d'entre eux choisissent de subir ces épreuves jusqu'à ce qu'ils remboursent leur dette financière, tandis que d'autres, qui n'y sont pas parvenus, sont décédés ou se sont même suicidés. Les défis auxquels sont confrontés les travailleurs étrangers dans l'île paradisiaque témoignent de l'enfer qui leur est systématiquement infligé...

Andry (prénom d'emprunt), un Malgache employé dans le secteur du textile à Maurice, se dit soulagé que sa situation financière s'améliore enfin et qu'il puisse être optimiste quant à un avenir plus sûr pour lui et ses proches dans son pays natal. Mais son expérience à Maurice, en quête d'une meilleure rémunération, a été loin d'être harmonieuse ou agréable à vivre.

Il y a sept ans, le trentenaire est arrivé chez nous pour la première fois, attiré par un salaire plus décent. Andry a toujours été doué dans le maniement des machines au sein des usines textiles de son pays. «Un jour, j'ai appris que des gens d'une usine mauricienne s'étaient rendus dans mon pays afin de recruter des travailleurs, et j'ai exprimé le souhait de travailler dans leur entreprise. La rémunération et les conditions de travail et de vie qu'ils promettaient semblaient très bonnes. J'ai décidé de venir bosser à l'usine mauricienne en pensant que mes compétences seraient mieux valorisées et que je pourrais ainsi avoir un avenir sûr pour moi et ma famille», explique-t-il.

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Mais une fois Andry arrivé, son rêve et ses espoirs n'ont pas tardé à voler en éclats, car il s'est vite rendu compte que le personnel de l'usine mauricienne, qui l'avait recruté dans son pays d'origine, lui avait intentionnellement menti, simplement pour que son savoir-faire puisse être exploités ici. «Je vivais dans le dortoir, dont l'intérieur était compact et surpeuplé ; beaucoup d'entre nous dormaient dans des espaces encombrés et peu hygiéniques. Mes salaires n'étaient jamais versés à temps et étaient nettement inférieurs à ce que la direction de l'usine avait promis, malgré le type et la quantité de travail que j'effectuais.» Andry gagnait moins de Rs 10 000 pour plus de 10 heures de travail par jour, six jours par semaine. Son passeport était également 'confisqué' par son employeur. «Au fil des mois, je ne mangeais plus du tout. J'ai fini par tomber très malade et l'entreprise a jugé préférable de me laisser retourner dans mon pays.»

C'est avec un amalgame de faiblesse physique, de bouleversements émotionnels et de traumatismes psychologiques dus à la déception et à la déshumanisation qu'Andry est retourné dans son pays et a tenté, avec beaucoup de difficultés, de surmonter cette expérience. Récemment, il a trouvé le courage d'essayer à nouveau de venir travailler à Maurice et d'espérer un avenir meilleur, cette foisci, dans une autre usine. «Mes amis malgaches qui travaillent dans cette entreprise m'ont dit que les conditions sont bonnes et qu'au moins au sein de cette usine, personne ne leur ment et qu'ils se sentent en sécurité. Je me suis donc senti prêt à revenir. Dans cette usine, le personnel nous a bien renseignés avant notre arrivée, n'a pas fait de fausses promesses, et même après mon arrivée, ils ont fait des sessions de formation.» Le trentenaire réside actuellement dans une maison qu'il loue au centre du pays avec sa femme malgache, qui est également employée dans la même usine. «Les choses vont beaucoup mieux, et avec l'argent que nous recevons, nous sommes en mesure d'épargner et de mener une vie plutôt décente», dit-il.

Andry est l'un des plus de 30 000 travailleurs étrangers qui contribuent à l'économie du pays et qui, en retour, souhaitent un avenir plus sûr pour eux-mêmes et leur famille. Si pour lui, les choses se sont enfin améliorées, d'autres continuent à lutter pour survivre dans des conditions quotidiennement abusives. «Cela dépend de l'entreprise qui nous embauche. Certaines nous traitent comme des êtres humains, d'autres non», fait valoir Faizan (prénom d'emprunt), d'origine bangladaise, qui travaille dans un commerce dans le nord du pays. Lorsque nous l'avions rencontré un soir, il était en train d'éplucher et de placer des noix de coco devant le commerce pour les vendre à des gens qui les ramèneraient chez eux ou qui consommeraient l'eau sur place. Le dortoir dans lequel il vit est situé non loin de son lieu de travail.

«Les règles sont strictes. Ils prennent nos téléphones pendant les heures de travail et ne nous les rendent pas, même à l'heure du déjeuner. Dans le dortoir, les lumières sont éteintes après le dîner. Il y a un gardien à l'entrée, mais à l'intérieur, il n'y a pas de sentiment d'appartenance ou de sécurité. Nous ne pouvons pas parler librement aux membres de notre famille parce que nous sommes nombreux à vivre dans la même pièce.» Faizan travaille environ 66 heures par semaine et gagne Rs 20 000. «J'en envoie une partie à mes parents au Bangladesh. Je suis censé me débrouiller pendant un mois et le reste de l'argent est destiné à mes propres dépenses. Le dortoir offre de la nourriture, mais elle est indigeste. Nous recevons une allocation de Rs 1 300 pour la nourriture que nous devons utiliser pendant un mois, et les produits alimentaires sont chers ici. Ensuite, je dois économiser pour moi-même...»

Si les conditions de vie ne sont pas celles promises, pourquoi continuer à subir et ne pas repartir ? «Abhi kya batayega... (Que puis-je vous dire...)», répond-il, avec un sourire qui reflète son désespoir, son impuissance. «J'ai remis plus de Rs 250 000 à un agent recruteur dans mon pays pour venir ici. Mais je suis payé nettement moins que ce qui m'avait été promis. Il me faut un an pour essayer de récupérer la somme que j'ai dépensée pour venir ici. Ce n'est qu'à ce moment-là que je peux me permettre de me demander si je peux continuer à endurer cette situation.»

Faizan ajoute : «Dans beaucoup d'entreprises, on vous confisque votre passeport et on ne vous laisse pas partir. De nombreux travailleurs fuient l'entreprise et vont travailler sur des chantiers, où ils peuvent être payés plus de Rs 1 000 par jour. Les entreprises placent ensuite une prime sur leur tête. Si vous dénoncez la situation, elles menacent de vous expulser. Je connais un travailleur qui s'est plaint de la situation ici. Usko wapas bhej dia (ils l'ont déporté).»

D'autres travailleurs étrangers qui louent des logements profitent des dimanches ou des jours de congé pour effectuer des travaux supplémentaires chez des habitants de la localité où ils résident, pour gagner un peu plus d'argent afin de survivre. «Nettoyer le jardin, laver les assiettes, et même couper la viande pendant le jour de l'Eid-Al-Adha, après le sacrifice religieux du bétail», sont quelques-uns des travaux qu'ils effectuent, explique un autre travailleur bangladais...

(Le dortoir d'une usine située dans le nord du pays. PHOTOS : FAIZAL ALLY BEEGUN.)

Travail forcé et «esclavage moderne»

En septembre 2022, le pays comptait 33 000 travailleurs étrangers. En septembre de l'année dernière, le nombre total de travailleurs étrangers à Maurice était de 37 985, dans des secteurs tels que la boulangerie, la construction et l'industrie manufacturière. Selon le Cost of Migration Survey 2020, une évaluation du gouvernement du Bangladesh menée par le Bureau des statistiques du Bangladesh avec le soutien de l'Organisation internationale du travail et portant sur un total de 8 000 ménages de travailleurs étrangers, des ouvriers migrants bangladais ont payé aux agents recruteurs 417 000 taka (environ Rs 168 000) en moyenne pour travailler à l'étranger, ce qui représente environ 17 mois de salaire net moyen dans le pays de destination.

À Maurice, où les travailleurs étrangers viennent principalement du Bangladesh, de l'Inde, du Sri Lanka, du Népal, de Chine et de Madagascar, des cas flagrants du non-respect de leurs droits continuent de surgir. Le US Country Report 2022 sur les Droits Humains pour l'île Maurice souligne que le gouvernement n'a pas appliqué efficacement la loi concernant l'interdiction du travail forcé ou obligatoire. Le rapport mentionne que les cas de travail forcé signalés en 2022 parmi les travailleurs étrangers concernaient le sous-paiement des salaires, des conditions de vie inférieures aux normes et le refus de verser des indemnités de repas. Le rapport mentionne également que les trafiquants exploitent les femmes malgaches qui transitent par l'île Maurice en les soumettant au travail forcé, principalement à la servitude domestique, et au trafic sexuel au Moyen-Orient.

Le 2023 Trafficking in Persons Report du Département d'État américain pour Maurice souligne notamment, en ce qui concerne les travailleurs étrangers, que bien que le ministère du Travail soit tenu d'approuver tous les contrats de travail avant l'entrée des travailleurs étrangers dans le pays, «some migrant workers entered the country with contracts that were incomplete or had not been translated into languages the workers could read, increasing vulnerabilities to trafficking». Le rapport a recommandé au gouvernement de mettre en oeuvre et d'appliquer de manière cohérente une réglementation et une surveillance rigoureuses des agences de recrutement de main-d'oeuvre, notamment en tenant les recruteurs de main-d'oeuvre frauduleux pénalement responsables.

Le tout dernier rapport d'enquête de Transparentem sur les abus subis par les travailleurs étrangers dans cinq usines du pays, publié en décembre 2023, est catégorique : les indicateurs de travail forcé, tels que définis par l'Organisation internationale du travail, soit «l'esclavage moderne», sont là.

Faizal Ally Beegun : «Les décès et suicides de travailleurs étrangers dans le pays ne peuvent pas être oubliés»

Le syndicaliste, qui représente les intérêts des travailleurs migrants dans le pays, est une fois de plus remonté. Pour Faizal Ally Beegun, le dernier rapport d'enquête de Transparentem vient s'ajouter à la longue liste des preuves d'exploitation et d'abus des travailleurs étrangers à Maurice. «Les ouvriers étrangers viennent dans notre pays depuis 30 ans. Or, il existe des lacunes systémiques qui sont tolérées, et gouvernement après gouvernement, on nous promet de remédier à la situation, mais en vain. Il y a beaucoup à faire, notamment en ce qui concerne les agents de recrutement et l'abus qu'ils font de la vulnérabilité des travailleurs étrangers, ce qui conduit au trafic humain.»

Faizal Ally Beegun note que le mécanisme de sécurité locale et le cadre législatif concernant les travailleurs étrangers doivent être revus. «J'ai continué à dire que la sécurité des travailleurs migrants reste une question ironique. Il existe un climat de peur où ils sont menacés et déportés lorsqu'ils s'adressent aux autorités. Pourtant, les entreprises oppriment ces travailleurs au nom de cette même prétendue sécurité, par des règles telles que la confiscation des passeports, et les obligent à vivre dans des dortoirs au lieu de leur payer leur dû et de leur permettre de louer des appartements en dehors des locaux des usines. De cette manière, les employeurs peuvent exercer un contrôle total sur les travailleurs, les exploiter et les priver de nourriture et de soins médicaux, ou les priver des congés de maladie auxquels ils ont droit. Les dortoirs sont pires que des prisons, où à un étage, environ 90 personnes sont entassées dans un espace, et à un autre, 60 personnes», lance-t-il, à propos d'un dortoir d'une usine situé dans le nord du pays.

Par ailleurs, les cas de décès et de suicides de travailleurs étrangers dans le pays, dus à des abus et à une exploitation perpétuelle, ne peuvent pas être oubliés, estime le syndicaliste. «Certains, âgés d'à peine 24 ans, sont morts parce qu'on leur a refusé des soins médicaux à temps. D'autres se sont suicidés parce qu'ils sont tombés malades et que leur employeur a refusé de leur donner leur billet d'avion et de payer leur voyage de retour. Nous continuerons à recevoir des rappels à l'ordre, mais nous ne pouvons pas aussi réveiller les parties prenantes qui font semblant de dormir tout le temps... Ces problèmes ont des répercussions sur le commerce, l'image et le tourisme de Maurice. Si nous n'agissons pas, il n'est pas loin que des ONG appellent au boycott international du pays à cause de cela. Personne n'aime venir ou investir dans un pays qui exploite et abuse des travailleurs étrangers.»

Manishwar Purmanund : «Les ambassades doivent s'assurer que leurs citoyens sont protégés»

L'activiste en faveur des droits humains, qui organise des sessions de sensibilisation en collaboration avec diverses entreprises dans le but de sensibiliser les ouvriers étrangers à leurs droits et responsabilités, est d'avis qu'il y a beaucoup à faire pour éliminer les barrières sociales et culturelles, qui ne sont pas en faveur de la sécurité des ouvriers étrangers. «Beaucoup d'entre eux sont la proie d'agents recruteurs ou sont victimes du trafic humain parce qu'ils ne savent pas suffisamment lire et écrire ou ne comprennent pas la langue dans laquelle les contrats sont rédigés. Il existe également un sentiment de réticence à l'égard d'un changement réel et significatif. Nous avons travaillé avec certaines entreprises qui valorisent et développent réellement les compétences de leurs travailleurs. Mais d'autres ont l'intention de maintenir le cycle de l'exploitation et des abus.»

Manishwar Purmanund préconise, entre autres, des mesures telles que la mise en place, dans la pratique et pas seulement en théorie, de l'égalité de traitement entre les travailleurs étrangers et les citoyens, notamment en ce qui concerne l'accès à la justice ; la résolution rapide des plaintes des travailleurs étrangers et assurer que les travailleurs se sentent bien protégés pour dénoncer les abus et l'exploitation ; le renforcement des systèmes pour améliorer la collecte des informations et la résolution des problèmes des travailleurs étrangers ; le renforcement de la supervision par les ambassades et la systématisation de l'assistance consulaire, en demandant aux officiers des ambassades d'effectuer des contrôles réguliers pour s'assurer que leurs citoyens travaillant dans le pays sont protégés.

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