Afrique: Chronique d'une journaliste mauricienne au cœur du combat - Aux frontières de l'irréel

Les oreilles sifflent, crient au secours. À quelques pas de nous, des roquettes valsent dans le ciel azur, envahi soudain par un épais nuage de fumée noire. Le bruit de la détonation est comparable à l'explosion de dix rouleaux de pétards rouges le soir du Nouvel An. Bienvenue aux portes de Gaza, aux frontières de l'irréel.

Nous étions une délégation de huit journalistes venant de pays africains - y compris Maurice - invités durant la semaine écoulée par l'ambassade israélienne, pour «un constat sur place». Est-ce pour faire de la 'propagande' ? Pour s'attirer la sympathie de la communauté internationale, Maurice comptant parmi les 120 pays ayant voté le 27 octobre, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, en faveur d'une résolution appelant à une trêve humanitaire entre Israël et le Hamas et demandant l'accès de l'aide à Gaza ? Mais d'abord, un flash-back s'impose.

Remontons jusqu'au coup de fil de la rédaction en chef pressée, expliquant qu'on a 30 minutes pour décider si l'on veut participer à ce voyage de presse. Le cerveau explose, bombarde des informations contradictoires: missiles, mort imminente, guerre, risques, danger, «je-ne-reverrai-plus-ceux-que-j'aime», opportunité d'une vie, «achievement unlocked». Dans une carrière de journaliste, partir en zone de guerre, c'est comme gagner au Loto avec un gros jackpot à la clé. «Hein, passe l'année bien ek to fami, attention dernyé ça, hahaha», nous dira cyniquement le Directeur des publications, à quelques jours du réveillon, en ponctuant sa blague macabre d'un rire d'outre-tombe. Le 5 janvier, après les câlins à n'en plus finir du neveu d'amour, d'autres proches, des amis, du conjoint et même de notre coiffeuse, qui nous serre dans ses bras comme si ce brushing pré-voyage était le dernier, sans oublier les larmichettes de la maman inquiète, embarquement pour l'inconnu. L'excitation chevillée aux talons, on a tout de même la boule au ventre.

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(«Ventre à terre !», ordonne le colonel Olivier Rafowicz, alors que les roquettes pleuvent à quelques mètres de nous.)

«Tel-A-Vivre»

À bord du géant des airs qu'est l'airbus A380- 800 d'Emirates - les cancrelats d'Air Mauritius n'ayant pas fait le voyage jusque là - on a le cafard. Tel un passager clandestin, la peur s'immisce dans les entrailles alors qu'approche la destination 'finale'. Les idées préconçues s'envolent déjà quand à travers le hublot, le regard balaie le désert doré du Néguev, qui occupe plus de la moitié du pays. Pas de missile aérien en vue. Apparaissent à la place, au sol, des oasis de verdure, des terres sillonnées de palmeraies, de dattiers, de vignes, de gratte-ciel, de paysages de carte postale. Pour les ruines et la désolation, il faudra repasser.

Shalom Tel-Aviv. Dans les rues, des bombes atomiques : des fashionistas armées de leurs faux cils, de leurs ongles manucurés, sorties tout droit de la rubrique mode du magazine essentielle. Trottinettes électriques, vélos et joggeurs se baladent au gré des préoccupations climatologiques, sans pollution. Des chihuahas, des huskies, des labradors, des croisés promènent leurs maîtres, au bout de leur laisse. Maisons et commerces affichent des drapeaux bleu et blanc, flanqués de l'étoile de David bleue au centre, signe d'un nouvel élan de patriotisme depuis ce qui s'apparente pour les locaux à un «11 septembre israélien».

(La sympathique équipe de journalistes et d'accompagnateurs : (au centre) Fatim Djedje de RTI Côte-d'Ivoire, (de g. à dr.), Boly Bah, de l'ambassade d'Israël au Sénégal et coordonnatrice de la délégation, Patrick Kashala - dit 'Autorité'- de la radiotélévision nationale congolaise, Germain N'guessan Kouame - dit 'Tonton' - du journal Le Mandat de Côte-d'Ivoire, Nitzan Arny - dit 'Le sensible' - représentant du ministère des Affaires étrangères, (de dos) Eyal David, dit 'Le souriant', également du ministère des Affaires étrangères et Rodrigue Tongue, dit 'Celui qui a perdu ses valises', de Canal 2 Internation du Cameroun.)

Cafés et pubs sont bondés, les jeunes sont partout, les personnes d'un âge vénérable sont des oiseaux rares contrairement aux corbeaux qui ont transformé les fils électriques en perchoirs, la moyenne d'âge en Israël étant de 46 ans. Mis à part des soldats en treillis ou en civil, avec des AK-47 accrochés en bandoulière, on mange, on boit, on rit, on «Tel-A-vivre». La logique se bat pour comprendre le fonctionnement de ce pays en guerre où l'on se sent davantage comme une bienheureuse touriste.

«Les gens ont recommencé à sortir il y a quelques semaines seulement, après le traumatisme et le choc causés par les attaques du 7 octobre», confie l'ambassadeur d'Israël à Maurice, Eli Belotserkovsky (NdlA, à lire son interview dans notre édition de mercredi si le cyclone ne nous joue pas des tours). Sa décontraction vestimentaire n'a d'égale que la résilience de ce peuple, semble-til, en voie d'adaptation, habitué aux conflits, et qui a fait transformé les tâches et distractions du quotidien en un art où la mort donne envie de vivre. Parenthèse: le pays est protégé par le «Dôme de fer», un système de défense aérienne mobile, conçu pour intercepter des roquettes et obus de courte portée.

( On nous exhorte d'enfiler le 'traditionnel' gilet pare-balles et le casque style «bol renversé» qui va avec...)

Retour à notre interlocuteur. Eli Belotserkovsky est aussi l'ambassadeur israélien à Madagascar, en Eswatini, au Lesotho et il est basé à Pretoria en Afrique du Sud... Justement, a-t-il été éjecté de son siège comme le prétendent les rumeurs, alors que ce pays, dans une affaire judiciaire historique, accuse Israël de violer la Convention des Nations unies sur le génocide, affirmant que même l'attaque du Hamas du 7 octobre ne pouvait justifier les événements à Gaza ? «Non ce n'est pas vrai, je suis toujours en poste!»

Que vient faire l'Afrique du Sud dans ce conflit? Pourquoi accuse-t-elle Israël de«génocide» alors que six millions de juifs ont été massacrés durant l'Holocauste ? Nous avons d'ailleurs durant notre séjour pu visiter le mémorial Yad Vashem situé à Jérusalem, construit en mémoire des victimes juives de la Shoah, perpétrée par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Le fait est que le pays de Nelson Mandela, symbole de l'Apartheid, est particulièrement sensible quant il s'agit de discriminations et d'oppression d'une population par une autre. Madiba avait d'ailleurs affirmé que la liberté de l'Afrique du Sud serait «incomplète» sans celle des Palestiniens et son parti, le Congrès national africain, a toujours soutenu la cause palestinienne.

«La campagne de bombardements menée par Israël vise à la destruction de la vie des Palestiniens et les pousse au bord de la famine», affirme Adila Hassim, avocate de l'Afrique du Sud. La situation est telle, selon elle, que les experts prédisent que plus de personnes à Gaza mourront de faim et de maladie que par les bombardements. «Les génocides ne sont jamais déclarés à l'avance, mais (...) ces 13 dernières semaines de preuves montrent de manière incontestable un modèle de comportement et d'intention qui justifie une allégation plausible d'actes génocidaires.» Le prix de la volonté «d'anéantir» le Hamas, pour les Palestiniens, serait de plus de 23 000 morts, majoritairement des femmes et des enfants; une rupture des engagements de la Convention des Nations unies sur le génocide, signée en 1948 à la suite de l'Holocauste, selon Pretoria.

Israël, qui devait s'exprimer vendredi devant les magistrats de la Cour internationale de Justice (CIJ), qui siège à La Haye, a pour sa part qualifié toute cette affaire «d'absurde» et «atroce» et accuse Pretoria de se comporter comme «le bras juridique de l'organisation terroriste Hamas». Pour ce qui est d'une procédure d'urgence, la CIJ pourrait se prononcer dans quelques semaines. Ses décisions sont sans appel et juridiquement contraignantes, mais elle n'a aucun pouvoir pour les faire appliquer. Elle a, par exemple, déjà ordonné à la Russie de suspendre son invasion de l'Ukraine. Mieux : en 2019, la CIJ avait ordonné aux Britanniques de nous rendre les Chagos «le plus rapidement possible». On attend toujours...

Ne nous égarons pas sur la mappemonde. Que répondent nos hôtes aux accusations venant de nombreux pays face à la situation vis-à-vis des Palestiniens ? «Nous ne sommes pas en guerre contre les Palestiniens mais contre le Hamas», lâche Yael Vias Gvirtzman, avocate spécialisée en droit international et les violences sexuelles. «D'ailleurs, ce qui s'est passé le 7 octobre, on le définit en droit pénal international de crime contre l'humanité...» Des crimes atroces, il y en a à Gaza aussi, avec plus de 20 000 morts donc selon les chiffres du Hamas. Côté israélien, 1 140 décès sont dénombrés, alors que 185 soldats ont été tués depuis le début de l'incursion terrestre dans la bande de Gaza fin octobre dans le cadre d'une opération visant à éliminer les dirigeants du Hamas et à libérer les 240 otages enlevés lors de l'assaut lancé par le groupe terroriste palestinien il y a un peu plus de trois mois donc...

Dans le minibus qui conduit les journalistes jusqu'à la base militaire de Tzrifin, située dans la banlieue de Tel-Aviv, notre guide, Charles Ayache, véritable encyclopédie historique et bible culturelle, nous mitraille d'informations. Sur place, Tsahal (NdlR, Tsva Haganah 'Le Israel', «forces de défense d'Israël»), entrepose les armes utilisées par le Hamas lors des attaques du 7 octobre. Si certaines semblent tout droit sorties du musée de Mahébourg, de par leur aspect rouillé et vétuste, c'est parce qu'elles sont anciennes, originaires d'Iran ou de Corée du Nord et de Russie. Mais toujours capables de provoquer un carnage, assure le lieutenantcolonel Idan Sharon-Kettler, qui nous conseille de faire attention où nous mettons les pieds, histoire de ne pas finir en pièces détachées. Parmi elles : des mines antipersonnel, des drones-suicides, des kalachnikovs, des tuyaux d'arrosage remplis d'explosifs... Des engins parfois artisanaux qui ont déchiqueté de la chair humaine, fait taire des voix, des rires, anéanti des rêves à tout jamais.

((De g. à dr.) Trio de choc : «Autorité», Rodrigue et Abdoulaye Cisse dit 'Leader', de GFM TV du Sénégal.)

L'être (in)humain

Un des moments les plus marquants de cette visite : la projection d'une vidéo - vue par des journalistes internationaux et des diplomates seulement - montrant les atrocités commises par le Hamas en ce 7 octobre fatidique. Des images provenant des «body cams» des terroristes et des caméras de surveillance placées dans des maisons. Elles sont terribles, insoutenables, perturbantes, de quoi retourner l'estomac des journalistes présents, aussi blasés soient-ils. Des victimes du festival Nova, celles des kibboutz (NdlR, type de village collectiviste, où des Israéliens vivent en communauté et qui fonctionne selon le principe qui veut que tous les revenus générés sont versés dans un fonds commun) pris pour cible (voir encadré).

Des têtes décapitées à coups de pelle, découpées au couteau ; des cadavres de femmes torturées, leurs pantalons tachés de sang au niveau des parties intimes, ayant été violées à l'aide entre autres de canons de fusil ; un père tué devant ses enfants dont un a l'oeil crevé ; des tempes et des corps criblés de balles, éventrés, éviscérés; un coeur qui ne bat plus au milieu d'une cage thoracique ouverte comme un livre au milieu, piétiné à coups de bottes; des rires de triomphe, un appel passé par un terroriste à son père : «Regarde papa, j'en ai tué un...» Certains quittent la salle de projection, incapables de soutenir plus longtemps de telles visions cauchemardesques. L'être (in)humain, sans pitié, est capable du pire. Derrière nous, les reniflements caractéristiques de quelqu'un qui pleure à chaudes larmes: celles de Nitzan Arny, représentant du ministère israélien des Affaires étrangères, notre sympathique accompagnateur, qui voyait ce 'film' d'horreur pour la première fois. Un silence chargé en émotions et interrogations suivra cette séance montrant des scènes atroces qui resteront à jamais gravées dans le tiroir de l'âme ; tout comme celles d'enfants et de mamans palestiniens, pris dans cet enfer où on coupe les ailes des anges dont la seule faute est d'être nés au mauvais endroit.

(Dans le kibboutz de Be'eri, la maison de Vivian Silver, 74 ans, a complètement brûlé. Sa dent a été retrouvée parmi les cendres...)

Odeur de soufre et de souffrance

Avant de se rendre aux frontières de Gaza, plus précisément du côté de la base d'Erez, détruite en grande partie le 7 octobre, on nous exhorte d'enfiler le 'traditionnel' gilet pare-balles. La chose pèse lourd sur les épaules, compresse le torse enfermé dans une cage, les poumons sont pris dans un étau. Le casque noir, style «bol renversé», s'enfile avec peine, les attaches étant nombreuses. Nous nous lions d'amitié avec Eyal David, un autre représentant du ministère des Affaires étrangères, avec Dominique et sa fille, qui se sont engagés dans l'armée ; dans cette atmosphère étrange, des liens d'amitié se tissent pendant que la toile du danger se resserre autour de nous.

Au sein de la base militaire, le colonel Olivier Rafowicz, porte-parole de l'armée israélienne et «star» des médias francophones, ainsi que le colonel Ross Pressner, font office de guides. Nous déambulons au milieu des locaux ou du moins ce qu'il en reste. Les bombardements ont laissé derrière eux des débris, des lambeaux, de la ferraille qui pend, des vestiges de bureaux, de quartiers de soldats, de toilettes. Sorti de nulle part, un toutou déboule, sort les crocs tout en battant en retraite, traumatisé. Un autre que l'on croisera un peu plus loin est allongé au beau milieu des cendres, attendant sans doute le retour de son maître qui n'est plus...

Dehors, face au mur qui nous sépare de Gaza, un bruit assourdissant, effrayant. «Ventre à terre!» ordonne le colonel Olivier. Oui mais voilà. Le cerveau - lent à la détente pour ceux qui n'ont jamais mis les pieds en zone de guerre - ne réagit pas tout de suite. C'est au ralenti qu'on s'exécute, téléphone en main, il ne faudrait pas rater quelque épisode crucial, quitte à y laisser la peau du jeans et une semelle de basket. Le casque, vissé de travers sur la tête, roule, s'échappe à quelques mètres; ça y est, notre vie défile sous nos yeux plissés ébahis.

On se remet de nos émotions, on rit jaune, des grains de sable encastrés entre les dents. Etaitce du bizutage ? Non. «Nous détruisons les tunnels du Hamas», lance le colonel. Le Hamas est la deuxième organisation terroriste la plus riche au monde, après l'État islamique. Il perçoit des impôts des habitants de Gaza et des entreprises, la plus grande partie de ses revenus provient cependant de l'aide étrangère et des ONG - c'est d'ailleurs une donnée capitale qui entre en jeu pour la sécurité d'Israël après les dons de plusieurs milliards de dollars de l'ONU et d'autres pays après la guerre.

(Telma et Ron, responsable des réseaux sociaux et porte-parole de Tsahal respectivement. Les femmes composent environ 35 % des Israel Defense Forces.)

Pour en revenir aux tunnels, plus de 6 000 tonnes de béton et 1 800 tonnes d'acier ont été utilisés pour créer les centaines de kilomètres d'un impressionnant labyrinthe sous la bande de Gaza. Tsahal pense d'ailleurs que des otages étaient détenus précédemment dans ce dédale souterrain. Pour en revenir aux attaques du 7 octobre, l'armée n'a-t-elle rien vu venir ? Qu'en est-il des services de renseignements israéliens, réputés pour être parmi les meilleurs au monde ? «Il y avait un cessez-le-feu, on a été pris par surprise...» avouera le colonel Pressner. «Une enquête est en cours pour voir ce qui s'est passé au niveau des services de renseignements», enchaînera Telma, jeune réserviste de 27 ans, responsable des réseaux sociaux au sein de Tsahal et traductrice.

Est-il vrai que les jeunes Israéliens qui ne souhaitent pas s'enrôler se font emprisonner, à l'instar de Tal Mitnick, 18 ans, premier «objecteur» ayant refusé d'aller au front ? «Vous l'avez bien vu, les jeunes sont légion au sein de l'armée, il n'y a nul besoin de forcer qui que ce soit... Tsahal fait au mieux pour attribuer les postes selon les compétences, même pour les autistes. Sinon, le service militaire, d'une durée de trois ans au minimum, est obligatoire», rétorque Telma, sans cligner des paupières abritant des yeux bleus translucides. «Nous ne sommes pas en guerre contre les Palestiniens, nous ne sommes pas en guerre contre les musulmans, il faut le répéter et bien faire la différence, mais contre le Hamas, une organisation terroriste. Tout comme Daech et les salafistes qui attaquent des pays d'Afrique aussi. Il y a parmi vous des gens de foi musulmane, je le redis, l'islam est une religion, l'islam extrémiste violent est un fléau qu'il faut combattre», dira en guise de conclusion le colonel Olivier Rafowicz.

Après le soufre, d'autres souffrances. À quelques kilomètres de là, le kibboutz de Be'eri. Bilan ici : 130 civils tués et une cinquantaine d'enlèvements. Entre les citrons et les oranges aussi gros que de petits melons, des nains de jardin qui ont été témoins des boucheries. Dans les branches des oliviers, souffle un vent ironiquement paisible ; un parfum de tragédie flotte dans l'air. Le temps s'est figé au milieu des galets transformés en coccinelles par des mains d'enfants. Des effigies des Simpsons, placées dans une cour, arborent une expression d'épouvante. Les fleurs de jasmin exhalent leur fragrance, comme pour rendre hommage à ceux qui s'occupaient d'elles il y a encore quelques semaines. Le paradis s'est métamorphosé en cimetière à ciel ouvert le 7 octobre.

(Des effigies des Simpsons, placées dans une cour à Be'eri toujours, arborent une expression d'épouvante.)

La visite est menée par Ron, encore une jeune femme - celles-ci composant environ 35 % des Israel Defense Forces, y compris 23 % des officiers. Sa voix captive, son regard pénétrant reflète une force tranquille. Elle nous conduira entre autres jusqu'à la demeure de Vivian Silver, 74 ans, une Canadienne qui a émigré en Israël et qui militait pour la paix. Elle travaillait avec des Gazaouis et des Bédouins pour leur prodiguer des soins, notamment, ou encore pour leur apprendre à lire, à écrire. Alors qu'on pensait dans un premier temps qu'elle avait été prise en otage, ses restes n'ayant pas été retrouvés, une dent a prouvé qu'elle avait été immolée dans sa demeure, où il ne reste plus qu'une odeur de brûlé et de cendres humides, qui donne froid dans le dos.

Accrochées aux arbres, aux façades des maisons en ruines, des banderoles, montrant les photos des victimes qui ont été tuées ou enlevées là, dont des enfants, des femmes, des personnes âgées et parmi, celles qui ont pu retourner auprès de leurs proches après des négociations...

Nous étions venus à Maurice et Ohad était jaloux...»

(Ayala Yahalomi Luzon attend le retour de son frère Ohad, 49 ans, qui serait retenu en otage par le Hamas. Coïncidence : elle était en vacances à Maurice en juillet...)

La soeur d'Ohad Yahalomi, elle, attend toujours le retour de son frère. Ayala Yahalomi Luzon, livre un témoignage qui ne laisse personne insensible, des larmes ruissellent le long de ses joues creusées par la détresse. Ohad, 49 ans, est présumé otage des terroristes du Hamas, depuis son enlèvement au kibboutz Nir Oz le 7 octobre, après une fusillade, chez lui, au cours de laquelle il a reçu une balle dans la jambe.

Après lui avoir tiré dessus, des hommes armés ont enlevé sa femme Batsheva Yahalomi et leurs trois enfants à bord de cyclomoteurs, en compagnie d'un travailleur étranger du kibboutz. Ohad a dit à ses proches qu'il les aimait et qu'ils devaient obéir aux terroristes... Batsheva, Yael, 10 ans, et le petit garçon de deux ans à peine ont pris place sur un cyclomoteur avec un des terroristes, alors qu'Eitan, 12 ans, ainsi que le travailleur étranger, ont pris place sur un autre avec un autre tireur, raconte sa petite soeur, la voix nouée. En route pour Gaza, ils ont vu deux chars de Tsahal et les deux cyclomoteurs ont alors changé de trajectoire. Batsheva a perdu la trace d'Eitan. À un moment donné, Batsheva et ses deux enfants ont pu s'échapper, en courant en pyjama et en savates, pendant trois heures à travers les bois... Batsheva a réussi à revenir non loin de l'extrémité nord du kibboutz, moins endommagée que l'autre partie.

Eitan a finalement été libéré le 27 novembre à la faveur de la trêve entre le Hamas et Israël négociée par le Qatar et les États-Unis. Ohad est toujours présumé otage à Gaza. «Mon coeur me dit qu'il est vivant, j'y crois, il faut que vous m'aidiez, je vous en supplie, vous les journalistes du monde entier, à faire passer le message pour que les coupables soient punis et que nos proches rentrent à la maison», plaide Ayala, qui croit au pouvoir de cette arme qu'est la plume. «Vous savez, nous étions à Maurice en juillet à peine, ces jours heureux paraissent si loin... Ohad était jaloux parce qu'il n'a pas pu visiter votre île. Ce n'est que partie remise, quand il sera libéré, nous viendrons avec lui...»

Alors cette visite, était-ce pour s'attirer de la sympathie ? Il s'agit de montrer au monde ce qui se passe réellement, face à la machine propagandiste qu'est le Hamas, dira en substance le ministre israélien des Affaires étrangères, Emmanuel Nahshon. «Nous avons une relation privilégiée avec l'Afrique, nous venons les mains propres, nous n'avons pas de passé colonialiste, nous venons en tant que pays jeune qui vivons dans des conditions adverses et compliquées. Nous sommes là pour établir quelque chose de nouveau, un partenariat (...)»

Sinon ce conflit interminable, quand s'arrêtera-t-il ? La rancoeur et l'envie de vengeance face à ce cruel tableau, qui mine un camp comme l'autre, n'engendrent-elles pas plus de haine y compris pour les générations à venir ? «Il faudra la destruction du Hamas en tant qu'organisation militaire (...) Devrions- nous nous laisser faire alors qu'on nous attaque, qu'on veut nous exterminer, nous rayer de la carte ? Nous allons en tout cas davantage faire en sorte qu'il y ait moins de victimes collatérales au cours de la riposte, même s'il y a toujours un risque pendant un conflit de cette ampleur (...) Pour les générations futures, il faudra miser sur un réapprentissage des valeurs humaines, un peu comme le processus de dénazification qu'a vécu l'Allemagne, car les jeunes Allemands ont été victimes d'un lavage de cerveau monstrueux (...) Il faudra combattre le fanatisme, y compris en Israël, où il y a des juifs qui expriment des opinions extrémistes, qui rejettent la légitimité de l'autre (...) Il faut essayer de trouver un terrain d'entente, et cela risque de prendre de longs mois (...)»

Humble aveu: il a été difficile, après ce trop-plein d'informations, d'écrire un article où l'on ménage toutes les parties concernées, où l'on rend justice à ceux qui nous ont accueillis, où l'on pense aux sensibilités des pro-Palestiniens, où l'on raconte ce qu'il en est sans donner l'impression de prendre parti ou d'encenser. Une chose est sûre : qu'est-ce qu'on a de la chance de vivre en paix, chez nous, à Maurice...

P.S : pardon pour le «roman-fleuve». (À noter que ce voyage de presse a été concocté par Daniele Waknine Freche la directrice du département Afrique au sein de l'agence Vered Hasharon et Sveta Shkolnik, deux charmantes dames qui exhortent les touristes à venir visiter leur beau pays...)

Bande de Gaza : 15 années de guerre

Israël d'un côté, les mouvements palestiniens Hamas et Jihad islamique de l'autre, se sont livré à une succession de guerres dans la bande de Gaza depuis 2008. Depuis les massacres du samedi 7 octobre, Israël est de nouveau entré «en guerre», a annoncé son Premier ministre Benyamin Netanyahou.

27 décembre 2008

Israël lance une vaste offensive aérienne contre la bande de Gaza pour mettre fin aux tirs de roquettes à partir de ce territoire palestinien que contrôle depuis 2007 le Hamas (opération «Plomb durci»). Le 3 janvier 2009, les troupes israéliennes pénètrent dans le territoire palestinien. Le 18 janvier, un cessez-le-feu met fin à l'opération. Quelque 1 400 Palestiniens et 13 Israéliens ont été tués. En juillet, Amnesty International publie un rapport accablant sur l'offensive, accusant à la fois Israël et le Hamas de «crimes de guerre».

14 novembre 2012

L'armée israélienne lance l'opération «Pilier de défense» contre les groupes armés à Gaza, qui débute par l'assassinat ciblé du chef des opérations militaires du Hamas, Ahmad Jaabari. En huit jours de frappes aériennes intensives, plus de 170 Palestiniens meurent, dont une centaine de civils. Six Israéliens, dont quatre civils, sont tués. L'armée israélienne dit avoir frappé 1 500 cibles, dont 19 centres de commandement. Plus de 900 roquettes lancées de Gaza ont atteint Israël, plus de 400 autres ont été interceptées. Les brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas, affirment avoir tiré à elles seules plus de 1 500 roquettes.

8 juillet 2014

Israël lance l'opération «Bordure protectrice» pour faire cesser les tirs de roquettes et détruire les tunnels creusés depuis Gaza. Le 26 août, après 50 jours de guerre, le Hamas et Israël concluent un accord de cessez-le-feu, négocié par l'intermédiaire de l'Égypte. La guerre, qui a ravagé l'enclave, a fait au moins 2 251 morts du côté palestinien, pour la plupart des civils, et 74 du côté israélien, quasiment tous des soldats. Près de 55 000 maisons ont été touchées par les frappes israéliennes, dont au moins 17 200 totalement ou quasi totalement détruites, selon le bureau de coordination des Affaires humanitaires de l'ONU.

10 mai 2021

En 2021, le Hamas lance les hostilités le 10 mai en tirant des salves de roquettes en «solidarité» avec les centaines de Palestiniens blessés lors d'affrontements avec la police israélienne sur l'esplanade des Mosquées de Jérusalem, troisième lieu saint de l'islam. Dans la foulée, Israël lance l'opération «Gardien des murs» visant à «réduire» les capacités militaires du Hamas en multipliant les frappes aériennes. Après d'intenses tractations diplomatiques, un cessez-le-feu entre en vigueur le 21 mai. En 11 jours, le Hamas et le Jihad islamique, ont lancé plus de 4 300 roquettes, des tirs d'une intensité inégalée contre Israël. 90 % des projectiles ont été interceptés par son bouclier antimissile. Les affrontements ont fait au moins 232 morts côté palestinien, dont 65 enfants, et 12 morts en Israël, dont un enfant de six ans et une adolescente de 16 ans.

9 mai 2023

Quelques jours après des échanges de tirs avec le Jihad islamique, Israël lance le 9 mai 2023 des raids aériens sur la bande de Gaza (opération «Bouclier et flèche») qui tuent 15 Palestiniens dont trois commandants militaires du mouvement. Le Jihad islamique réplique avec plusieurs centaines de roquettes, qui ne font aucun blessé en Israël. Le 11 et le 12 mai, Israël élimine coup sur coup deux chefs militaires du mouvement palestinien. Une trêve négociée par l'Égypte entre en vigueur le 13 mai après cinq jours d'une guerre qui a fait 35 morts.

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