Le journalisme est "une responsabilité avant d'être une liberté" et le professionnel des médias "doit réfléchir avec lui-même et contre lui-même, pour ne pas se tromper et ne pas déroger à la déontologie et aux vertus des libertés", a souligné, mercredi à Dakar, le journaliste marocain, Hassan Alaoui, co-fondateur et directeur de publication de "Maroc diplomatique", lors de la 50ème édition des Assises de l'Union internationale de la presse francophone (UPF), qui s'est tenue du 9 au 11 janvier dans la capitale sénégalaise.
M. Alaoui, qui intervenait dans le cadre d'une table ronde sur le thème "Comment concilier liberté de la presse et responsabilité", a mis l'accent sur la problématique qui caractérise le métier du journaliste, relevant dans ce cadre que "la responsabilité et la liberté sont deux concepts évidemment a priori contradictoires".
C'est une "double exigence" qu'on est attaché à défendre, a fait noter le journaliste marocain au cours de cette table ronde, modérée par le journaliste français, spécialisé dans les questions internationales, Marc De Miramon, et à laquelle ont participé Wilson Fache, journaliste lauréat du Prix Albert (Londres 2023), Sadibou Marong, directeur du bureau RSF à Dakar, Fatou Jagne Senghore, juriste et ancienne directrice d'"Article 19" en Gambie et Roula Douglass, chercheuse libanaise en sciences de l'information et de la communication.
"Le rôle du journalisme est-il d'amplifier ou d'adoucir les faits?", "La crise ou le conflit est-il un motif pour censurer l'information et dans quelle mesure?", "La lutte contre le terrorisme ou la désinformation justifie-t-elle la remise en question des libertés ?", et "Quel rôle de la régulation et l'autorégulation pour un comportement responsable et professionnel", sont autant de questions sur lesquelles se sont penchés les panélistes lors de cette table ronde tenue au deuxième jour des Assises de l'UPF auxquelles participent une centaine de représentants des médias de 43 pays francophones dont le Maroc.
Le journaliste marocain a saisi l'occasion de cette rencontre pour mettre l'accent sur le concept et la notion de la liberté et le rôle et la mission qui incombent aux hommes des médias dans l'exercice de leurs fonctions, soulignant que "tout est relatif dans ce métier", qui, relève-t-il, est "absolument difficile".
Le journalisme est "une responsabilité avant d'être une liberté. Quand on choisit ce métier, on sait exactement, de plus en plus, à quoi on s'expose", a martelé M. Alaoui, citant dans ce cadre la formule de l'ancien député et journaliste français, Henri Lacordaire, qui dit: "C'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui affranchit".
Evoquant, par ailleurs, la situation de ce métier au Maroc, le journaliste a estimé qu'"il n'y a pas de liberté totale, mais qu'il y a une liberté relativement totale", appelant, à cet égard, à prendre avec "beaucoup de précaution" la notion de liberté de la presse dans de nombreux pays, car, dit-il, "les contextes sont différents" par rapport à chaque pays.
"Le journaliste doit réfléchir avec lui-même, contre lui-même surtout, pour ne pas se tromper et ne pas déroger à la déontologie et aux vertus des libertés", a tenu à préciser Hassan Alaoui dans son intervention.
Il n'a manqué d'ailleurs de fustiger le traitement accordé par des médias occidentaux aux sujets ayant trait au Maroc, en évoquant dans ce cadre l'"hypocrisie" d'une certaine presse occidentale concernant surtout la position ferme et constante du Royaume soutenant la cause palestinienne et la défense d'Al Qods Acharif.
La première journée des 50ème Assises de l'UPF a été marquée par la tenue mardi d'une autre table ronde sur le thème: "Quelle place et quel rôle des médias en temps de guerre", qui a vu l'intervention notamment de la journaliste indépendante et experte de guerre, Anne Laure Bonnel, qui a préconisé dans son exposé "la prise de recul et un attachement aux faits", lors de la couverture des événements et des conflits.
"Une guerre ne se déclenche pas de façon hasardeuse, donc il faut instaurer un débat contradictoire afin de permettre aux décideurs et à l'opinion de penser autrement", a-t-elle signalé, notant que le journaliste "court deux risques". Le premier, a-t-elle précisé, consiste en la partialité alors que le second concerne "le risque d'omission puisqu'il y a des guerres dont on ne parle pas".
Elle a relevé que "le journalisme peut favoriser la paix, le dialogue et le débat, comme il peut causer la révolte et rendre la colère palpable".
Loïc Hervouet qui a modéré ce panel a, de son côté, souligné la sensibilité de l'information et la responsabilité du journaliste en période de conflit.
Quant au journaliste et analyste sénégalais, Mademba Ndiaye, il s'est interrogé sur l'impartialité du journaliste "embarqué" en temps de guerre.
"Cette personne peut-elle voir ou ose-t-elle-même regarder et rendre compte de ce qu'on ne lui montre pas ?", s'est-il demandé.
"Des écarts par rapport à l'éthique et à la déontologie, il y en a à foison surtout lorsqu'il s'agit d'une soudaine mutation d'un ou d'une journaliste de plateau en journaliste reporter de guerre", a encore souligné Mademba Ndiaye.
Ils sont transformés en "répétiteurs de messages souvent travaillés par des communicants de l'armée". Ainsi, que l'on soit du côté russe ou ukrainien, "le statut de la Crimée change", a-t-il fait observer.
"La première chose à faire pour un reporter en temps de guerre, c'est d'avoir la bonne information et des contacts", a dit, pour sa part, Rurangwa Jean Marie Vianney, rédacteur en chef à la télévision rwandaise, qui a invité les journalistes sur le terrain de guerre à "garder l'objectivité, en ne relatant que les faits". Car, dit-il, "tous les belligérants connaissent l'importance des médias et il faut jouer le jeu tant que vous êtes sur le terrain".
Les travaux de ces Assises qui ont pris fin jeudi ont été marqués par la tenue mardi d'un atelier sur la "Désinformation et la manipulation: Comment résister face aux tentatives de contrôle des médias?".
A travers cet atelier, des journalistes chevronnés et membres de l'Union de la presse francophone ont tenté d'éclairer avec des discussions et des échanges les participants sur la thématique.
Des intervenants ont axé leurs contributions sur le fact-checking, qui, selon eux, "s'avère être un moyen efficace pour lutter contre la désinformation et la manipulation".
D'autre part, un panel sur "Médias et enjeux de la sécurité alimentaire" a été organisé mercredi dans le cadre de la 2ème journée de ces 50èmes Assises et qui a été modéré par la journaliste, Meriem Oudghiri, présidente de l'UPF-Maroc, et a vu la participation notamment de Mohamed Anouar Jamali, directeur de l'OCP-Afrique.
Dans ce cadre, Mohamed Beavogui, ancien Premier ministre de la Guinée (2021-2022), a indiqué que le premier rôle du journaliste est "d'informer sur les meilleures connaissances pour une bonne production, d'informer sur les disponibilités, sur les contraintes, sur les marchés".
Le deuxième rôle, a-t-il dit, c'est "d'alerter, car la sécurité alimentaire est sujette souvent à des crises et il faut alerter suffisamment tôt pour permettre aux gouvernants et au grand public de répondre rapidement".
"En troisième lieu, le journaliste doit également procéder à des analyses, faire de l'investigation de ce qui se passe en milieu rural, de discuter avec les gens, d'écouter les paysans et de passer l'information", a souligné M. Beavogui qui a travaillé pendant près d'une décennie pour l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation (FAO).
En gros, a-t-il relevé, "dans le domaine de la sécurité alimentaire, nous avons besoin de journalistes qui apportent des solutions et qui accompagnent les efforts louables des paysans".
"Sans information, la sécurité alimentaire est difficile à atteindre alors que la sécurité alimentaire, c'est la paix", a fait noter Mohamed Beavogui.
Notant que le paysan produit 70% de l'alimentation dans les pays africains, il a fait constater que ce dernier est pratiquement invisible sur la carte des médias.
"Il faut beaucoup plus de programmes non seulement pour le connaître et l'accompagner mais aussi pour lui donner des plateformes d'échanges", a-t-il lancé.
Membre de plusieurs panels axés sur les questions de financement du développement, de la réduction de la pauvreté, il a estimé que "les paysans ont des solutions pour l'insécurité alimentaire".
"Si les médias permettent de disséminer suffisamment ces solutions au niveau de la radio, de la télé et de la presse écrite, chacun pourra apprendre de l'autre et les solutions vont venir beaucoup plus facilement", a encore fait valoir Beavogui.
Au cours du panel, il a été également question de voir comment l'Union de la presse francophone (UPF) pourrait rejoindre cette initiative pour permettre à ses membres d'accéder aux connaissances sur la sécurité alimentaire.
Dans le même contexte, des travaux se sont également tenus sur la paix et la sécurité à l'heure des réseaux sociaux. Des journalistes, dotés de différentes expériences dans divers secteurs d'activités, ont largement discuté des aspects négatifs et positifs de la technologie qui affectent de plus en plus profondément le métier journalistique. Les débats ont aussi analysé la position des médias au sein des réseaux sociaux.
Au programme du deuxième jour de ces Assises figuraient deux autres ateliers sur des sous-thèmes tels que "Médias et terrorisme, comment informer, et "Existe-t-il des médias pour la paix" ?.
Les Assises de l'UPF ont été clôturées jeudi par le Premier ministre sénégalais, Amadou Ba.