Burkina Faso: Retenues obligatoires sur les salaires et primes - «...Les effets macroéconomiques sur l'activité seront minimes », Pr Fangassé Mahamadou Diarra

interview

A travers cet entretien, le président du conseil d'administration du Centre d'études et de recherche sur l'intégration économique en Afrique, le Pr Fangassé Mahamadou Diarra, donne sa lecture tout en nuances des effets des prélèvements obligatoires annoncés par le gouvernement sur l'activité économique. Il aborde les actions à mener pour faire la guerre contre le terrorisme tout en maintenant l'activité économique très dynamique.

Sidwaya (S) : Le gouvernement a annoncé pour compter de ce mois de janvier 2024, un prélèvement obligatoire de 1% sur le salaire de tous les travailleurs du public comme du privé et de 25% sur les primes versées aux agents publics. En tant que spécialiste de la politique économique, comment appréciez-vous les effets de cette décision sur le pouvoir d'achat des ménages ?

Fangassé Mahamadou Diarra (F.M.D) : Effectivement, le Conseil des ministres, en sa session du 5 janvier 2024, a décidé de procéder à des prélèvements supplémentaires sur les revenus des Burkinabè pour financer l'effort de paix. Comme tout prélèvement, cette mesure ne sera pas sans effet sur l'activité économique. Théoriquement, les prélèvements réduisent du même montant le revenu disponible des ménages, ce qui réduit la demande adressée aux entreprises. Cette réduction de la demande crée, à priori, un ralentissement de l'activité économique.

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Ce qui veut dire que théoriquement, cette mesure risque d'entraver la reprise modérée de l'activité économique qu'on a observée en 2023. Cependant, ce raisonnement séquentiel est à relativiser pour plusieurs raisons. Premièrement, il ne s'applique qu'à une économie bien structurée dans laquelle, la demande intérieure alimente l'offre. Dans le cas des économies désarticulées comme la nôtre, où la demande de consommation des ménages fonctionnaires ne s'adresse pas prioritairement aux entreprises locales, ces prélèvements fiscaux sur leurs revenus auront moins d'effets sur l'activité économique.

Je rappelle qu'au Burkina, près de 40% de la consommation finale est assurée par les importations et qu'une réduction des revenus disponibles de 1% entraine une réduction des importations de 0,5%. Aussi, si les prélèvements servent à financer les rémunérations des VDP, comme on l'entend dans certains milieux, les effets seront minimes, car cela revient à prélever les revenus d'un groupe de Burkinabè (les fonctionnaires) pour donner à d'autres Burkinabè (les VDP).

Par conséquent, sur le plan macroéconomique, l'effet pourrait être neutre sur la demande globale. Par ailleurs, en contribuant à réduire les importations, les prélèvements pourront contribuer à améliorer les comptes extérieurs du pays, notamment le compte courant de la balance des paiements. Toutefois, cet effet positif est également à relativiser, si les prélèvements effectués sont destinés à l'importation des armes. Au total, les prélèvements vont, certes, réduire la demande globale des ménages, mais les effets macroéconomiques sur l'activité seront minimes.

S : Parmi les innovations de la loi de finances 2024, on note également plusieurs retenues à la source qui concernent aussi bien les entreprises que les prestataires de service. Quelle lecture faites-vous de ces nouvelles mesures fiscales sur l'économie nationale ?

F.M.D : Si, les prélèvements sur les revenus des particuliers peuvent produire des effets limités sur l'activité compte tenu de l'extraversion de l'économie, une taxation supplémentaire des entreprises produira certainement des effets récessifs sur l'activité économique. Car, elle pourra contribuer à décourager davantage les chefs d'entreprises déjà éprouvés par ce contexte socio-politique.

S : Trop d'impôts tuent l'impôt, a-t-on coutume de dire. Le Burkina ne tend-il pas vers cette situation ?

F.M.D : En réalité, au Burkina, il n'y a pas trop d'impôts au regard du taux de pression fiscale qui dépasse à peine 15% du PIB (Rappelons que la norme communautaire de l'UEMOA est de 20%). Ce qui pose problème, c'est la mauvaise répartition de la charge fiscale pour dire que le poids de la fiscalité repose sur un nombre restreint de contribuables, la grande majorité étant soit exonérée (une grande partie des activités du secteur agricole), soit sous imposée (les activités du secteur informel).

S : Selon vous, comment faire la guerre contre le terrorisme tout en maintenant l'activité économique très dynamique ?

F.M.D : La réponse à cette question suppose qu'en plus des actions visant l'amélioration de la sécurisation des personnes et des biens, il faudra définir une stratégie de relance économique très claire et ambitieuse dont l'un des objectifs sera de renforcer la confiance des acteurs vis-à-vis du pays. Ainsi, à court terme, il faut maintenir et accélérer les réformes visant l'amélioration du climat des affaires (facilitation de création d'entreprises, facilitation de financement des PME, incitations fiscales, subventions, etc.).

Il faut également éviter des mesures qui découragent l'initiative privée dans ce contexte déjà difficile telles que l'augmentation de l'impôt sur les facteurs de production, le durcissement des conditions du marché de travail, le découragement des opérations du commerce, etc. Quant aux actions s'incrivant à moyen et long terme, elles doivent consister essentiellement à poursuivre et renforcer les investissements structurants. Mais alors comment financer ces investissements publics structurants dans un contexte où, les dépenses militaires représentent près de 30% du budget de l'Etat?

S : La Direction générale de l'économie et de la planification (DGEP) du ministère de l'Economie, des Finances et de la Prospective a annoncé une croissance de 5,5% en 2024. Qu'est-ce que cela va apporter concrètement à l'économie nationale et dans le panier de la ménagère ?

F.M.D : La DGEP vient de nous révéler qu'en 2023, le taux de croissance économique est ressorti à 3,6%. De ce fait, en annonçant un taux de 5,5% pour 2024, cette Direction suppose que la reprise économique observée en 2023, après la récession de 2022, va se renforcer dans les années à venir. L'accélération de la croissance étant synonyme de création de richesses et d'emplois, cela sous-entend que les conditions de vie des Burkinabè s'amélioreront dans les années. Mais rappelons que cela le sera ainsi que sous certaines hypothèses, notamment le retour de la sécurité et la maîtrise de l'augmentation des prix.

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