Burkina Faso: Cantines scolaires - Ces dysfonctionnements qui affament les élèves

Depuis 2017, l'Etat burkinabè alloue chaque année, 18,8 milliards F CFA au fonctionnement des cantines scolaires. Cependant, de nombreux enfants ne reçoivent jamais leur plat gratuit à midi et d'autres doivent patienter plusieurs mois avant de l'obtenir et souvent en mauvaise qualité. Constat dans l'Oubritenga (Ziniaré), le Zoundwéogo (Manga) et le Bam (Kongoussi).

Abdoul Moazou Compaoré, 11 ans, est élève en classe de CM2 à l'école de Louré dans la Circonscription d'éducation de base (CEB) de Manga, dans la province du Zoundwéogo. Tous les jours, lorsque la cloche de midi sonne, il se rend au « Yaar », non loin de son école pour s'acheter du riz avec les 150 F CFA que lui donne sa mère pour son repas. La cantine de son école ne fonctionne pas encore, en ce 6 décembre 2023, deux mois après la rentrée scolaire. Et ce n'est pas tous les jours de la semaine que la mère du jeune Abdoul Moazou lui trouve de l'argent pour assurer ses repas.

« Le jour où je n'ai pas l'argent et que je ne peux pas rentrer à la maison, je reste à l'école. Dans ce cas, je vais boire de l'eau. L'après-midi, j'ai faim. Mais je fais avec. Je voudrais que la cantine marche tous les jours parce qu'elle aide tout le monde à bien suivre les cours », confie-t-il. Pour Ghislaine Bienvenue Konditamdé, élève en classe de CM2, rentrer à midi est quasi impossible. Elle habite le village voisin de Zigla et marche une heure, du lundi au vendredi, pour venir à l'école.

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« Je quitte chez moi à 6h pour arriver à l'école à 7h. Nous sommes nombreux à faire le trajet ensemble. Je reste à l'école à midi pour rentrer le soir. Je viens avec de la nourriture. Si mes parents me donnent de l'argent, j'achète du haricot. S'ils n'ont pas d'argent, je viens quand-même. Car, je sais que mes camarades vont me donner à manger », raconte, d'une voix timide, la fillette de 13 ans.

A 8 ans, Rihanatou Ouédraogo en classe de CP2 à l'école de Gorée, dans la CEB de Tikaré, province du Bam (Koungoussi), n'arrive plus à suivre les cours lorsque son ventre crie famine. « Je mange le matin avant d'aller à l'école. Si à midi j'ai faim, je rentre pour chercher à manger et puis je reste à la maison », raconte-t-elle l'air candide, le 8 décembre 2023, comme si elle ignorait que les cours reprennent après la pause de midi.

En retard et de mauvaise qualité

Les témoignages d'Abdoul Moazou, Ghislaine et Rihanatou illustrent l'impact négatif de l'absence des cantines dans les établissements scolaires sur l'apprentissage des élèves du fait des retards ou absences. Le directeur de l'école de Absouya B (province de l'Oubritenga), Edmond Kabré, se souvient que l'année scolaire 2021-2022 a été particulièrement difficile pour lui et ses élèves.

« A la période des raisins sauvages, les élèves allaient en manger. Et, une fois en classe, ils demandent la permission et vont rester dans les WC. J'étais obligé de les laisser partir à la maison tout en sachant que le lendemain ils allaient retourner sur les arbres, parce qu'à une certaine période, les parents économisent leurs vivres en prévision des travaux champêtres. J'avais trouvé l'astuce de distribuer des gâteaux à mes élèves les après-midi pour les mettre à l'aise afin qu'ils bossent », relate-t-il.

A cela s'ajoute un autre dysfonctionnement qui n'est pas de nature à assurer la sérénité. Il s'agit des vivres avariés qui sont susceptibles d'entraîner des problèmes de santé pour les apprenants. « Je suis à ma troisième année dans cette école et c'est la première fois que l'on a reçu une dotation de l'Etat. Les vivres sont arrivés en fin février 2023. Nous avons reçu du riz, de l'huile et du haricot qui n'étaient pas de bonne qualité, car il y a avait des insectes dans les sacs.

Quand les cantinières veulent préparer, il faut qu'elles passent une grande quantité d'eau pour débarrasser le haricot de ces insectes. Elles ont aussi trouvé la stratégie de le passer à la vapeur », informe le directeur de l'école de Absouya B dans la CEB de Absouya. Le chef de la CEB de Tikaré, Yembi Koalga, ne décolère pas face à la mauvaise qualité des vivres qui sont mis à la disposition des écoles de son ressort.

« On a eu à le dire aux acteurs de la délégation spéciale. Non seulement, les vivres viennent en retard, et lorsqu'ils viennent, c'est de la pourriture », s'indigne-t-il. Les enfants ne sont les seuls à être affectés par l'absence de la cantine. Leurs géniteurs aussi marquent le coup, surtout, les agriculteurs. A l'image de Zacharia Ouédraogo dont les enfants sont inscrits à l'école de Gorée.

« La saison des pluies n'a pas été bonne, de plus nous avons dû fuir nos villages. La vie est difficile pour nous. Lorsque la cantine fonctionne, cela fait un souci en moins, car nous sommes assurés que nos enfants vont manger à leur faim au moins à midi », plaide-t-il. Il poursuit que la cantine est un bon moyen de motivation pour attirer les enfants qui rechignent à aller à l'école.

Pour le président de l'Association des parents d'élèves (APE) de l'école de Gorée, Salifou Ouédraogo, l'absence de la cantine fatigue tout le monde. « Nous plaidons pour que les vivres arrivent à temps et qu'ils soient de bonne qualité. Je demande à toute bonne volonté de nous aider pour assurer le fonctionnement de la cantine », exhorte-t-il.

Environ 19 milliards F CFA débloqués par an

Pourtant, le programme « Cantine » mis en place depuis 2017 par le gouvernement avait pour objectif de garantir tous les ans, au moins un repas par jour à chaque élève burkinabè. Pour ce faire, 18,8 milliards F CFA sont transférés chaque année aux communes. Malheureusement, cet engagement, est soumis à des aléas dans sa concrétisation.

La Direction de l'allocation des moyens spécifiques aux structures éducatives (DAMSSE), logée à la Direction générale de l'accès à l'éducation formelle du ministère de l'Education nationale, de l'Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales, est la structure technique ayant en charge les cantines scolaires.

Selon son premier responsable, Brama Sessouma, le ministère ne peut que faire le constat des dysfonctionnements car l'éducation, par conséquent la gestion des cantines scolaires, fait partie des compétences transférées aux communes. Certaines, assure-t-il, s'en sortent mieux, car elles comprennent l'exécution de la dépense publique, mais d'autres n'y arrivent pas parce qu'elles méconnaissent le processus de passation des marchés publics, avec par exemple des prestataires qui n'ont parfois pas les capacités financières nécessaires.

« Le ministère en charge de l'éducation n'a pas de moyens d'action directe sur les communes. Ce sont des ressources, certes, du ministère que l'on transfère, mais du point de vue technique, les acteurs qui peuvent directement agir sont le ministère en charge des finances qui assure la tutelle financière et celui en charge de l'administration du territoire dont relèvent administrativement les communes », explique M. Sessouma.

Il attribue la présence de vivres de mauvaise qualité dans le circuit d'approvisionnement des cantines au manque d'engagement des communes. En effet, dit-il, dans le dispositif, le ministère offre une expertise physico-chimique en recrutant des prestataires pour le contrôle.

Les acteurs se rejettent la faute

Du côté des responsables des collectivités territoriales, le président de la délégation spéciale de Ziniaré a refusé de se prononcer au motif qu'il vient de prendre en charge la commune et n'a pas le recul nécessaire pour commenter les difficultés liées aux cantines. L'ancien maire de Laye et celui de Sabcé ont eux aussi décliné la demande d'interview. Seul l'ancien bourgmestre de Guiba, Mathieu Baré Compaoré (de juillet 2017 à septembre 2021), a accepté de se prononcer sur la question.

Il est catégorique. Le contrôle, selon lui, constitue l'obstacle majeur à la réalisation de tout le processus visant à assurer un repas aux élèves dans les écoles. Il se rappelle qu'après avoir acquis des vivres en novembre 2019, c'est en juillet 2020 que ceux-ci ont pu être répartis entre les écoles de la commune de Guiba. « Cela se passe entre le fournisseur et le contrôle. Le maire assiste impuissant. Ils nous avaient parlé en son temps de taux de brisure et de haricot non fumigé.

Nous sommes d'accord que l'on rejette des vivres pourris mais s'agripper à des détails techniques pendant que les enfants ont faim, c'est un peu abusé », fulmine-t-il. M. Compaoré révèle qu'il n'est pas rare que certains fournisseurs poursuivent les mairies pour des intérêts moratoires liés au retard. Il soutient par ailleurs que la mercuriale des prix est souvent inadaptée à la réalité du terrain. « Aussi, lorsque le contrôleur financier vous autorise à passer le marché, de notre temps, on nous demandait de prendre le plus offrant, cette méthode conduit souvent à choisir des prestataires qui ne peuvent pas exécuter le marché et c'est le pire des cas.

Dans le meilleur des cas, le prestataire est capable, mais le marché est attaqué par un concurrent qui estime que la règle de la concurrence n'a pas été respectée. Et on perd du temps à aller répondre et attendre que l'Autorité de régulation des marchés publics (ARCOP) départage les parties », se désole l'ex-maire de Guiba. Le chef de la CEB de Tikaré, Yembi Koalga, émet, quant à lui, des doutes sur la sincérité de l'expertise des vivres. « Je suis prêt à témoigner devant n'importe quelle structure parce que ce sont des vivres avariés.

Le taux de brisure du riz est élevé et nous doutons même de la qualité du service qui fait l'expertise. Comment un service peut autoriser la consommation parce que ça respecte les normes et nous, sans être expert, on peut constater à vue d'oeil que le taux de brisure est énorme ? », questionne-t-il. Membre du bureau exécutif national du Syndicat national des personnels d'administration et de gestion de l'éducation et de la recherche (SYNAPAGER), Maxime Bambara, pour sa part, pointe du doigt l'existence de magasins de stockage souvent inadaptés et vétustes, le peu de formation des gestionnaires des cantines scolaires et des cantinières ainsi que la mauvaise gestion des vivres destinés aux élèves.

Le programme « Cantines scolaires » a vu le jour au Burkina dans les années 60. Exclusivement géré au départ par le Catholic relief service, il a enregistré au fil du temps d'autres acteurs tels que l'Etat, le Programme alimentaire mondial, le Fonds des Nations unies pour l'enfance, les parents d'élèves.

De nos jours, l'architecture institutionnelle de la cantine scolaire compte un nouvel acteur avec le lancement de l'Initiative présidentielle (IP), « Assurer à chaque enfant en âge scolaire au moins un repas équilibré par jour », le 17 juin 2021, à l'école primaire publique de Lemnogo, dans la commune de Zitenga, région du Plateau central. L'IP a pour objectif global de contribuer à l'amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle des enfants en âge scolaire et des ménages ruraux.

Deux ans après son lancement, l'Initiative comptabilise plusieurs acquis dont l'engagement politique en faveur de la sécurité alimentaire des enfants, selon sa secrétaire permanente, Alice Sidibé. « En matière d'acquis, je voudrais souligner que lorsqu'il y a deux ans, on lançait l'initiative dans l'école de Lemnogo, le taux de réussite était de 30%. Une année après, il est passé à 65%.

Cette année (2023, ndlr), le taux de réussite est de 100%. Pour peu que les acteurs fédèrent leurs énergies, on peut former des élites dans ce pays », se réjouit Mme Sidibé. Le responsable de la DAMSSE dénonce, quant à lui, un conflit de compétences sur le terrain entre le ministère et le Secrétariat permanent de l'Initiative sans que l'on ne voie la plus-value de celle-ci.

« Ce dont on aurait besoin, ce sont des actions pour rallonger le fonctionnement de la cantine, alors que pour le moment l'IP apparait plutôt comme un doublon », déplore-t-il. A l'en croire, avec la situation sécuritaire, le ministère est sollicité en permanence pour appuyer certaines écoles en vivres. « Pour répondre à ces sollicitations, ce sont soit les vivres du secondaire que l'on puise ou on tape à la porte de certains partenaires », indique-t-il.

Que faire ?

Conscients de la nécessité d'assurer un fonctionnement normal des cantines, les acteurs évoquent plusieurs pistes de solutions pour relever ce défi. Pour l'ancien maire de Guiba, c'est tout simple : il faut que chaque acteur joue pleinement son rôle. « Il faut revoir le contrôle, car c'est un calvaire surtout que le maire ne peut qu'assister impuissant aux tiraillements entre les contrôleurs et les fournisseurs », préconise-t-il.

Le directeur de la DAMSSE estime qu'à défaut de relire la loi portant transfert de compétences aux collectivités, il est nécessaire de prévoir des stocks de sécurité. « Avec le contexte sécuritaire, il revient aujourd'hui surtout à l'Etat d'acquérir des vivres pour les écoles qui sont en difficulté, afin de s'assurer que toutes les communes ont bénéficié au cours de l'année scolaire d'une cantine.

Au lieu de laisser des ressources à la disposition d'une collectivité qui ne peut pas les dépenser, on peut voir cette alternative parce que nous le faisons déjà avec la cantine du secondaire », soutient-il. Le représentant du SYNAPAGER prône, lui, le renforcement de l'allocation budgétaire destinée à la cantine. « Il faut aussi alléger les procédures pour l'acquisition des vivres au profit des cantines, sanctionner les communes qui n'arrivent pas à acquérir les vivres », poursuit-il.

La promotion de la cantine endogène est perçue par tous comme le moyen le plus efficace pour assurer les repas aux élèves dans les écoles. « On n'a pas d'autres portes de sortie que de mettre l'accent sur la cantine endogène, si les parents acceptent de s'engager. Au lieu de donner 100 F CFA à l'enfant chaque matin, soit 3 000 F le mois, l'on converti en haricot et cela peut permettre à l'écolier de manger pendant 3 mois à la cantine », analyse l'ex-maire de Guiba.

Edmond Kabré appelle aussi les parents à contribuer pour la cantine endogène afin que l'on commence à préparer le plus vite possible dans les écoles pour les élèves. « S'il y a la cantine endogène, nous pouvons mieux travailler. Lorsqu'ils finissent de manger, nous les mettons en groupe pour faire du tutorat et l'enseignant les aide. Avec la cantine, des élèves qui avaient abandonné l'école sont revenus », soutient-il.

Quant à M. Sessouma, il encourage les parents à cultiver tous ensemble un champ de l'école dont les productions seront mises à la disposition de leurs enfants. Le Secrétariat permanent de l'Initiative présidentielle « Assurer à chaque enfant en âge scolaire au moins un repas équilibré par jour » a même commandité une étude sur l'approvisionnement des cantines. A en croire la secrétaire permanente de l'IP, l'une des recommandations de cette étude est l'exploitation de champs dont les récoltes vont servir à l'approvisionnement de la cantine par les communautés.

L'octroi de subventions aux Comités de gestion (COGES) des écoles pour l'acquisition de vivres au profit de la cantine a également été préconisé pour assurer la pérennité de l'approvisionnement de la cantine dans les écoles. A l'image de ce qui se faisait dans le bon vieux temps, l'étude recommande de collecter auprès des ménages, notamment ceux qui ont leurs enfants à l'école, des produits pour les mettre à la disposition de l'école.

Des écoles non dotées

Le principe de la cantine scolaire au Burkina Faso, assure le directeur de la DAMSSE, Brama Sessouma, est d'offrir une cantine scolaire à tous les enfants du pays, qu'ils fréquentent une école privée ou publique. La commune de Ouagadougou, à l'instar des autres, reçoit donc des fonds pour l'acquisition de vivres. Seulement, depuis 3 ans maintenant, aucune école n'en a reçu. Selon les explications de la délégation spéciale fournies à la DAMSSE, elle a signé une convention avec un prestataire qui devait fournir les vivres mais en 2022 et 2023 ce dernier a été défaillant.

La nécessité d'instaurer des sanctions

Jusqu'à présent, aucun acteur n'a encore été sanctionné pour avoir acheminé les vivres en retard ou des vivres avariés, selon les acteurs. Les communes, par exemple, continuent de recevoir chaque année la dotation destinée à approvisionner la cantine. Il serait temps de songer à instaurer des sanctions. Cela aura l'avantage de mettre la pression sur les acteurs qui semblent reléguer au second plan le bien-être des élèves, compromettant ainsi leurs conditions d'apprentissage.

 

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