Adrien Somda est consultant, expert international en fiscalité, cadre juridique et gouvernance des industries extractives, agréé auprès de la Cour et des tribunaux du Burkina Faso. Dans cet entretien accordé à Sidwaya, avec l'oeil de l'expert, il donne son analyse sur la transaction conclue entre l'Etat et la société minière Essakane SA, dans l'affaire « charbon fin » qui opposait les deux parties devant le Tribunal de grande instance de Ouagadougou.
Sidwaya (S) : Le 29 décembre 2023, le ministre des Mines annonçait sur les antennes de la RTB-Télé, un règlement à l'amiable entre l'Etat et la société minière Essakane SA, dans l'affaire « charbon fin » qui opposait les deux parties devant le Tribunal de grande instance de Ouagadougou. En tant qu'expert, quelle analyse faites-vous de cette entente ?
Adrien Somda (A.S) : Il faut avant tout propos relever qu'il s'agit dans le cas d'espèce d'un « contentieux extractif ». Le contentieux extractif pour des pays riches en ressources naturelles est inévitable et je dirai normal. Il va de pair avec les opérations d'exploitation pétrolière, minière et gazière. Il ne faut peut-être pas présenter ce cas comme la pire affaire scandaleuse ou catastrophique du secteur extractif au Burkina. Cette affaire dite de « charbon fin » est le premier contentieux significatif qui participe par ailleurs à la construction du droit burkinabè et permet de tester le degré de maturité des textes, notamment le Code minier et l'ensemble des textes règlementaires, ainsi que les conventions qui sont signées dans le cadre de l'exploitation minière.
Il révèle par ailleurs la capacité de l'appareil judiciaire (ressources humaines, financières) à pouvoir gérer efficacement et résoudre les contentieux qui surviennent à l'occasion de l'exploitation des ressources naturelles du pays. Dans la pratique, il n'existe pas un ordre judiciaire unique qui doit et/ou peut connaitre des litiges qui surviennent à l'occasion de l'exploitation minière, pétrolière et gazière. Le secteur extractif à travers les contrats (conventions minières) organise ou prévoit dans la majorité des cas, plusieurs modes alternatifs de règlement des litiges.
L'on peut dire à la lumière de la jurisprudence du contentieux extractif, qu'il y a un véritable principe d'autonomie procédurale qui permet aux parties, de choisir des modes de résolution négociés, de choisir l'ensemble des lois applicables à la relation contentieuse, autrement dit, le droit applicable au fond. En se référant aux différentes lois, conventions et autres accords qui constituent le cadre juridique et législatif de l'exploitation minière au Burkina, l'article 28 de la convention minière signée entre l'Etat et la société Essakane précise les modalités de règlement des différends qui ne pourraient être réglés à l'amiable. Il faut donc retenir que le règlement à l' amiable est le mode privilégié de résolution des différends qui a été retenu par les parties et prévu par la convention minière qui lie le Burkina et Essakane.
Pour les besoins de résolution des litiges, cette convention fait la distinction entre les contentieux qui relèvent de matières purement techniques et les contentieux qui relèvent de toute autre matière. Pour ce qui concerne les matières techniques qui sont limitativement énumérées dans la convention, telles que l'engagement des travaux et des dépenses, les programmes de recherche, les études de faisabilité, la conduite des opérations et les mesures de sécurité, les parties sont convenus de soumettre tout différend ou litige touchant ces matières à un expert indépendant. C'est ce qui justifie le recours aux experts.
Pour les matières autres que purement techniques, la convention indique que les litiges qui viendraient à naitre entre les parties seront réglés par voie d'arbitrage par un tribunal international. C'est l'existence de ce cadre juridique contractuel qui autorise à recourir au règlement à l'amiable. Mais une autre loi semble avoir été invoquée pour un accord transactionnel.
S : Un tel mode de règlement est-il courant dans les us et coutumes juridiques ?
A.S : Le contentieux extractif marque une certaine évolution du droit international qui pendant longtemps a été construit du point de vue de l'Etat et du juge. Ces dernières années, l'on peut constater qu'il se construit un droit transnational élaboré par les acteurs économiques partis aux contrats extractifs. Ce n'est plus le juge qui détermine le droit applicable, mais les acteurs économiques qui élaborent leur espace normatif. Et comme le dit si bien un célèbre auteur et expert du contentieux extractif, Gilles Lhuilier, ce sont les acteurs économiques qui créent « leur espace normatif extractif ».
En d'autres termes, en matière du contentieux extractif, ce sont les parties qui choisissent le mode de règlement des litiges qui naissent. C'est dire sur ce chapitre qu'il y a une évolution dans ce domaine et que les acteurs, dont l'Etat, apprécient l'opportunité de conduire un procès à terme avec beaucoup d'incertitudes, souvent à des coûts très élevés ou de choisir une voie amiable de règlement du litige, selon les exigences du moment.
S : Quel commentaire faites-vous sur le contenu de ce règlement à l'amiable ?
A.S : En l'absence du contenu exhaustif de l'accord à l'amiable, il serait hasardeux pour moi de faire des commentaires. Seulement, il me parait pertinent de considérer les éléments économiques qui sont négociés ou sauvegardés que des montants annoncés en termes de milliards FCFA. Il peut exister par exemple des éléments économiques négociés en compensation par l'Etat, à la lecture du contenu de l'accord. Nous n'oublions pas que la mine continue son exploitation et s'acquitte d'un certain nombre d'impôts et taxes et que l'Etat participe au partage du bénéfice dégagé.
Plusieurs aspects pourraient être inclus dans le périmètre de l'accord transactionnel. Il vaut mieux un climat apaisé dans les relations contractuelles, entre l'Etat et les entreprises minières, qu'un contexte conflictuel, qui ne profite certainement à personne et peut priver aussi bien l'Etat que les travailleurs de revenus substantiels. Les autres entreprises minières aussi bien du Burkina que du monde entier sont très attentives sur la manière dont ce litige est géré et réglé par les juridictions du Faso et l'Etat.
C'est l'un des premiers contentieux extractifs importants que connait le secteur minier du Burkina et toutes les conséquences doivent être tirées ainsi que les leçons qui s'imposent pour améliorer la gouvernance de ce secteur. A mon avis, peu importe les montants payés, le plus important est de pouvoir réajuster le cadre législatif et règlementaire afin de le rendre plus robuste et sécurisant pour les intérêts de toutes les parties aux contrats extractifs au Burkina.
C'est l'occasion de suggérer pour une meilleure gouvernance du secteur, de réfléchir à encadrer les procédures et le cadre des règlements à l'amiable éventuels et une commission permanente de négociation, tout au moins un organe permanent et spécialisé, capable de donner des avis éclairés lorsqu'un litige ou un contentieux extractif nait et peut être résolu à l'amiable. Il me semble que cette structure pourrait comprendre d'autres experts comme membres que des seuls agents publics de l'Etat.
S : Certains estiment que l'Etat aurait pu refuser ce règlement proposé par Essakane et laisser le procès aller à son terme afin que justice soit dite dans cette affaire. Etes-vous d'avis ?
A.S : Je suis d'avis qu'il aurait fallu conduire le procès à son terme. Mais, cette option, il me semble, serait dans la seule perspective et le seul objectif de consolider le cadre juridique et législatif minier ainsi que de construire le contentieux extractif burkinabè à travers les débats, les analyses et argumentaires qui auraient pu être développés lors du procès. Ce n'est pas certain que sur le plan financier, l'Etat aurait obtenu plus que ce qui a été annoncé en l'état actuel des informations dont je dispose.
Or, le contexte actuel où, le pays a besoin de ressources financières pour faire face aux priorités de défense du territoire, commande à mon avis, un bon arrangement, même s'il semble être mauvais aux yeux de certains citoyens. Ce qui permet à l'Etat d'avoir des ressources financières pour le budget de l'Etat. Par ailleurs, un contentieux extractif pourrait durer plusieurs années et comme vous le savez, un franc CFA en ce jour 5 janvier 2024 peut ne plus valoir plus d'un franc en janvier 2026 par exemple. Ensuite, il n'est pas exclu que le Burkina sorte perdant à l'issue d'une longue et couteuse procédure contentieuse ou arbitrale. Tout ceci, ce sont des éléments qui militent pour l'arrangement amiable. Un autre élément est le souci de préserver l'image du pays qui veut se présenter comme un pays minier attractif sur tous les plans. La manière dont la justice est rendue et les litiges résolus est un indicateur important pour les investisseurs.
Ce n'est nullement les aspects fiscaux. La sécurité juridique, la protection des investissements réalisés et l'objectivité dans le processus de rendre la justice sont des indicateurs de premier ordre dans la décision des investisseurs de venir au Burkina. Certainement que les experts commis pour cette transaction ont tenu compte de plusieurs éléments économiques, financiers et politiques pour arrêter le montant qui a été négocié, en termes de préjudice subi, des sanctions prévues en cas d'irrégularités commises, de non-respect de la législation et des procédures administratives, etc. Il faut aussi retenir que cette affaire constitue une jurisprudence dans la gestion du contentieux extractif au Burkina.
Cependant, la bonne gouvernance dans le secteur extractif voudrait que le peuple, le citoyen soit informé du contenu du règlement à l'amiable, afin d'éviter toutes ces spéculations. Les étapes, ainsi que les éléments sur lesquels les négociations ont porté auraient pu faire l'objet de compte rendu périodique aux citoyens, si tant est que les ressources naturelles appartiennent au peuple.
S : Peut-on donc conclure qu'en dehors des aspects financiers, ce règlement à l'amiable entre l'Etat et Essakane se justifie?
A.S:Evidemment, d'autres préoccupations et enjeux justifient le choix du règlement transactionnel de l'affaire dite charbon fin. Dans un premier temps, la préservation de l'image du pays en ce qui concerne la façon dont il résout les litiges nés de l'exploitation minière. L'Etat est soucieux de se conformer aux traités et accords qu'il a signés et/ou ratifiés dans la résolution des contentieux nés de l'exploitation de son sous-sol, au risque d'être mis au banc de la communauté internationale. Le pays a besoin de donner un signal positif aux investisseurs et d'être véritablement une destination idéale où les acteurs jouissent d'une sécurité juridique et d'une protection effective de leurs investissements.
Ensuite, le souci pour l'Etat de permettre à l'entreprise de continuer l'exploitation, même s'il lui reste quelques années au titre de la durée de vie de la mine. Dans le contexte actuel de crise sécuritaire qui a un impact réel sur le secteur minier, notamment l'impossibilité de mener des activités de recherche minière et de développer de nouveaux projets d'exploitation, il est opportun de faire de bons choix de résolution des litiges. Ce n'est peut-être pas le moment de mettre au chômage plusieurs milliers de travailleurs de Essakane, en cas d'arrêt des activités de la mine en raison d'une lourde condamnation de celle-ci, qui causerait sa faillite.
Sur le plan international et dans le milieu de l'industrie extractive, Essakane a tout intérêt à préserver son image de marque, d'entreprise vertueuse, respectueuse de la législation du pays hôte et de certains référentiels de l'industrie minière, au risque de voir sa cote baisser à la bourse et ne plus pouvoir lever des fonds. Enfin, l'Etat lui-même participe au capital de la société à hauteur de 10%. Il est actionnaire et aurait dû être plus vigilant pour que de telles situations n'arrivent pas. Dans un moment de rareté des ressources financières, un tien vaut mieux que deux tu l'auras, dit-on. Il vaut mieux pour l'Etat d'engranger un franc aujourd'hui que d'attendre peut-être dix ans pour gagner un demi-franc en raison de la dépréciation de celui-ci.
S : Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que l'Etat burkinabè aurait gagné plus si le procès allait jusqu'à son terme ?
A.S : Il y a une grande incertitude quant à l'issue du procès lorsque vous appréhendez les opérations querellées et la tournure que prenaient les débats. L'opération querellée soulève plusieurs questions importantes et concerne aussi bien les matières techniques que d'autres matières commerciales, douanières, administratives. Et, il n'est pas évident que l'Etat à terme gagne le procès qui pourrait durer des années. L'orientation des débats ne présageait pas une issue favorable pour l'Etat. Les débats à mon avis, se sont beaucoup plus focalisés il me semble sur l'opération d'exportation d'une substance (des résidus) qui n'est plus du charbon, mais vraisemblablement aurait dû être classée pour les besoins des formalités à l'exportation dans une autre catégorie de la nomenclature douanière que celle du charbon. Ensuite, les débats et les expertises se sont focalisés sur les teneurs en or des résidus.
Or, il me semble qu'il aurait tout aussi été important de se préoccuper du descriptif du traitement du minerai qui avait été initialement proposé par l'entreprise dans son étude de faisabilité. L'examen de la conformité des opérations au cycle de traitement et aux méthodes de traitement convenues dans cette étude avant la délivrance du permis d'exploitation à l'entreprise, aurait aussi permis d'avancer dans les débats. Certainement que le sort réservé aux résidus (appelés charbon fin) à la fin du traitement est indiqué dans cette étude, soit il est réexporté, soit il est considéré comme un résidu et traité comme tel sur le territoire burkinabè, tout comme les autres résidus bassins de traitement du mercure.
Le code minier et la convention minière, le code de l'environnement prévoient le sort réservé aux déchets, substances et autres intrants (charbon, mercure) utilisés dans le cycle de traitement du minerai. A défaut de dispositifs clairs sur ces questions dans l'étude de faisabilité, quel aurait été le traitement approprié de l'opération querellée conformément aux dispositifs législatifs et règlementaires ? Cette approche aurait pu vider le débat pour ce qui concerne les matières techniques. Le cas d'espèce dit affaire « charbon fin » est certainement une occasion de se pencher à nouveau sur les termes des conventions minières, les clauses et de les ajuster à la lumière de la pratique.
S : Cette entente met-elle fin de facto à cette affaire qui est encore pendante devant les tribunaux ?
A.S : Selon le compte rendu du Conseil des ministres du vendredi 29 décembre 2023, la transaction à laquelle sont parvenues les parties se fonde sur « les dispositions de l'article 50 de la loi n°028-2017/AN du 18 mai 2017 portant organisation de la commercialisation de l'or et des autres substances précieuses au Burkina Faso ». Le gouvernement explique que « la société Essakane a sollicité et obtenu le règlement par voie transactionnelle du différend qui l'oppose à l'Etat burkinabè dans le cadre de l'affaire dite du « charbon fin ». Les deux parties sont convenues d'un accord transactionnel le 26 décembre 2023 par l'abandon au profit de l'Etat du Burkina Faso de l'entièreté de la cargaison placée sous-main de justice et, en sus, du paiement d'une amende de 9 milliards F CFA. Ce règlement transactionnel clôt le dossier dit du « charbon fin » entre l'Etat burkinabè et la société Essakane».
Les termes de l'accord transactionnel sont clairs, le dossier est clos. Même si en matière extractive, tous les modes de résolution des litiges sont possibles, l'examen de la doctrine en matière du contentieux extractif, des pratiques ainsi que l'analyse de certaines dispositions de la convention minière, de la loi sur laquelle se fonde l'accord transactionnel, autorisent de s'interroger. En rappel, la société canadienne était précisément poursuivie dans le cas de l'affaire charbon fin « pour des infractions et d'usage de faux en écriture privée de commerce, d'exportation illégale de déchets dangereux, de fraude en matière de commercialisation de l'or et des autres substances précieuses, de blanchiment de capitaux ».
Ainsi, les infractions retenues apparaissent de nature différente, contractuelle, délictuelle, civile ou pénale, nationale ou internationale. Ce qui peut donner lieu à une diversité d'actions qui peuvent être engagées aussi bien par les parties au contrat extractif que par des tiers au contrat. Au regard de ces chefs d'inculpation, ainsi que de la diversité des actions qui peuvent être intentées contre la société, l'on peut s'imaginer que l'accord transactionnel privilégié par les parties pourrait ne pas clore le dossier.
En nous référant à la convention minière signée par le Burkina Faso, elle prévoit en son annexe 5 que pour le règlement des différends relatifs aux investissements, il faut recourir au droit positif du Burkina Faso et à la « convention de Washington », qui est la convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d'autres Etats signée le 18 mars 1965 à Washington et ratifiée par le Burkina Faso le 31 mars 1966. Ce qui nous permet de dire que des juridictions internationales peuvent être compétentes pour connaitre de cette affaire.
Enfin, le contentieux concerne la société transnationale Essakne et l'Etat hôte, le Burkina Faso dans le cas d'espèce, mais peut également concerner des tiers au contrat extractif victimes de l'activité extractive (institutions financières, citoyens) et les parties au contrat (Etat/entreprise extractive), ou encore concerner une organisation internationale ou un Etat tiers et les parties au contrat extractif.
Ainsi, nous pensons que, l'accord transactionnel auquel les parties sont parvenues, peut ne pas mettre fin aux poursuites devant d'autres juridictions en raison des infractions retenues qui peuvent être délictuelles, civiles ou pénales. Une autre inquiétude soulevée par cet accord transactionnel est la référence à l'article 50 de la loi n°028-2017/AN du 18 mai 2017 portant organisation de la commercialisation de l'or et des autres substances précieuses au Burkina Faso. C'est l'article 58 alinéa 1 de ladite loi, il me semble, qui précise que pour toute affaire d'or ou toute autre substance précieuse dont la Brigade anti-fraude de l'or est saisie, l'administration peut accorder au contrevenant le bénéfice de la transaction.
Celle-ci peut intervenir avant ou après le jugement définitif. Dans le second cas, la transaction laisse subsister les peines privatives de liberté. L'article 59 précise que la réalisation de la transaction met fin aux poursuites de l'administration. Il me parait délicat de fonder l'accord transactionnel sur cette loi sur la commercialisation, alors que comme développé plus haut, la convention minière et l'ensemble des annexes prévoient des modes de règlement à l'amiable avec une distinction des matières contentieuses (purement technique et autres matières).
Ensuite, la loi sur la commercialisation s'applique aux actes et transactions portant sur l'or et les autres substances précieuses, dont des définitions de ces matières sont données à son article 4. Enfin, la classification selon la nomenclature tarifaire de la douane n'est certainement pas la même pour le charbon, les résidus de charbon et l'or. Ce qui a fait l'objet de débats durant le procès. Faut-il considérer alors, que les résidus « charbon fin » saisis sont de l'or pour que cette loi soit applicable aux résidus résultant du traitement ?