Burkina Faso: Dr Aboubacar Sawadogo, DG de la Brigade nationale anti-fraude de l'or - « La transaction entre Essakane et l'Etat n'est pas une prime à l'impunité »

interview

Le ministre en charges des mines, Yacouba Zabré Gouba, a annoncé, le 29 décembre 2023 sur les antennes de la RTB-Télé, un règlement à l'amiable entre l'Etat et la société minière Essankane S.A, dans l'affaire « charbon fin » qui opposait les deux parties devant le Tribunal de grande instance de Ouagadougou. Pour en savoir davantage sur ce « gentleman's agreement », le journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, a accordé une interview au Directeur général de la Brigade nationale anti-fraude de l'or (BNAF), Dr Aboubacar Sawadogo. Il revient sur le contenu de cette entente amiable, ses implications, les raisons qui ont motivé l'Etat burkinabè a accédé à la requête de Essankane S.A

Sidwaya (S) : Le 29 décembre 2023, le ministre des mines annonçait sur les antennes de la RTB-Télé un règlement à l'amiable entre l'Etat et la société minière Essankane SA, dans l'affaire « charbon fin » qui opposait les deux parties devant le Tribunal de grande instance de Ouagadougou. Que doit-on entendre par ce règlement à l'amiable dans cette affaire ?

Dr Aboubacar Sawadogo (A.S) : Le règlement à l'amiable entre l'Etat et la société minière Essakane SA, dans l'affaire « charbon fin » évoqué par le Ministre de l'Energie, des Mines et des Carrières, est la transaction prévue à l'article 58 de la loi n°028/AN du 18 mai 2017 portant organisation de la commercialisation de l'or et des autres substances précieuses au Burkina Faso.

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Il convient de préciser que la transaction a toujours existé en droit où elle est classée dans la catégorie des Modes alternatifs de règlement des conflits en abrégé « MARC » au même titre que l'arbitrage, la médiation et la conciliation.

Si la loi n°028/AN du 18 mai 2017 qui la consacre n'en donne pas une définition, elle est définie à l'article 2044 du Code civil français comme « un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ».

Dans le cas d'espèce de l'affaire dite du « Charbon fin », il s'agit d'un règlement amiable, prévue par la loi n°028/AN du 18 mai 2017, et auquel la société Essakane SA et l'Etat burkinabè ont décidé de recourir pour mettre fin au différend qui les opposait.

S : Quelle est la teneur de cette entente ?

A.S : L'essentiel de la teneur de l'accord transactionnel qui a été conclu entre la société Essakane SA et l'Etat burkinabè a été rendu public par le Gouvernement dans le compte rendu du Conseil des ministres du 29 décembre 2023 au titre des communications orales.

A la lecture de ce compte rendu les principales informations données par le Gouvernement sont les suivantes :

  • la volonté de parvenir à un règlement transactionnel a été une initiative de la société Essakane SA qui a invoqué l'article 58 de la loi n°028/AN du 18 mai 2017 à laquelle l'Etat a donné une suite favorable ;
  • dans cet accord transactionnel, les deux parties ont convenu de l'abandon au profit de l'Etat du Burkina Faso de l'entièreté de la cargaison placée sous-main de justice. C'est là que la conception de la transaction en tant que contrat entre parties prend tout son sens. En effet, alors qu'aux termes des dispositions de l'article 59, « la réalisation de la transaction met fin aux poursuites de l'administration » (alinéa) et entraîne, pour les titulaires de permis d'exploitation (ici la société Essakane SA) la restitution du matériel saisi contre décharge (article 59 alinéa 2) ; les parties dans cette affaire ont décidé que la cargaison objet du différend est cédé à l'Etat ;
  • le paiement par la société Essakane SA d'une amende de 9 milliards F CFA ;
  • cette transaction clôt le dossier dit du « charbon fin » entre l'Etat burkinabè et la société IAMGOLD ESSAKANE SA.

S : Concrètement, qu'est-ce que l'Etat gagne dans ce règlement à l'amiable ?

A.S : Le gain financier de l'Etat dans le cadre du règlement amiable de cette affaire n'est pas négligeable : parce que l'Etat va percevoir dans un premier temps 9 milliards de francs CFA qui lui seront versés par la société Essakane SA au titre des amendes.

Ensuite, dans la mesure où la cargaison de charbon fin devient la propriété de l'Etat aux termes de l'accord transactionnel, il devient le propriétaire de l'or qui y est contenu et qui sera extrait par ses soins, pour éventuellement être revendu en fonction de ses besoins.

S : Pourquoi l'Etat a-t-il accédé à l'offre de règlement amiable de Essakane S.A au lieu de laisser le procès aller jusqu'au bout et permettre ainsi que la toute la vérité se manifeste et que les responsabilités soient situées dans cette affaire ?

A.S : La première raison est que la transaction est un mode de règlement des différends prévu par la loi n°028/AN du 18 mai 2017 portant organisation de la commercialisation de l'or et des autres substances précieuses. Deuxièmement, cette loi dit que la transaction peut intervenir avant ou après jugement définitif.

Au regard du moment où intervient la transaction dans l'affaire « Charbon fin » (avant la fin du procès), il n'est pas à exclure une évolution de l'offre transactionnelle faite par la société Essakane SA de sorte à convaincre l'Etat qu'il ne perd rien à aller à la transaction surtout lorsque Essakane SA décide de lui abandonner la cargaison objet du litige.

S : Une certaine opinion estime que ce règlement à l'amiable n'arrange pas l'Etat burkinabè, qui aurait gagné plus si le procès allait jusqu'à son terme. Que répondez-vous ?

A.S : Si le procès allait jusqu'à son terme, l'Etat burkinabè aurait pu gagner plus comme il aurait pu gagner moins. A partir du moment où nous ne sommes pas les juges appelés à trancher cette affaire, ces différents points de vue restent des hypothèses qui se valent chacune.

De plus, il ne faudrait pas se tromper en pensant que la décision du TGI pourrait à elle seule mettre fin au procès : parce qu'elle ne serait qu'une décision de première instance susceptible d'être contestée par l'une des parties qui pourra faire appel (devant la Cour d'appel) et même aller en cassation (devant la Cour de cassation) si elle ne trouvait pas gain de cause en appel. C'est dire qu'on aurait pu avoir un procès qui s'étale sur des années avec des coûts onéreux pour chacune des parties.

De ce point de vue, à partir du moment où l'accord transactionnel prend moins de temps et aboutit au fait que l'Etat burkinabè récupère la cargaison de « Charbon fin » et fait payer une amende de 9 milliards de francs CFA, on peut raisonnablement penser que les intérêts de l'Etat ont été préservés.

S : Cette entente met-il fin de facto cette affaire qui est encore pendante devant les tribunaux ?

C'est l'une des principales informations données par le compte rendu du Conseil des ministres du 29 décembre 2023 qui précise que ce règlement transactionnel clôt le dossier dit du « charbon fin » entre l'Etat burkinabè et la société IAMGOLD ESSAKANE SA.

S : Par cette entente, Essakane semble reconnaitre sa culpabilité dans cette transaction. Ce règlement à l'amiable, ne serait-il pas une prime à l'impunité ?

A.S : La transaction conclut entre Essakane SA et l'Etat burkinabè n'a rien de frauduleux dans la mesure où c'est un mode de règlement des différends prévu par la loi n°028/AN du 18 mai 2017.

Il ne faudrait pas non plus penser que la transaction qui a eu lieu est une prime à l'impunité. En effet, si vous relisez les termes de la communication orale publiée par le Gouvernement, il y est précisé qu'en sus de l'abandon au profit de l'Etat de l'entièreté de la cargaison placée sous-main de justice, la société Essakane paie une amende de 9 milliards de francs CFA. L'amende ici est une sanction. Raisonnablement, on ne saurait donc parler d'impunité, car impunité rime avec absence de sanction ; alors que dans le cas précis, il y a sanction !

S : Comment doit-on mettre fin aux éventuelles sorties frauduleuses de l'or hors du pays ?

A.S : La lutte contre la fraude de l'or implique des réformes qui doivent viser la formalisation particulièrement des sites d'exploitation artisanale de sorte à identifier les acteurs et à assurer la traçabilité de leur circuit de commercialisation. Ensuite, cette lutte nécessite un renforcement des moyens d'action de l'ensemble des structures nationales de lutte contre la fraude qui devront développer des synergies allant dans ce sens.

 

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