Madagascar: L'Orient symbolique de Bethléem

Chaque année, c'est la même question existentielle: célèbre-je Noël ? Plus jeune (ou moins vieux), au temps des intransigeances, j'affirmais un non sonore sans nuances. Désormais, à un âge de bien de concessions, je deviens bien moins péremptoire.

Et pourtant, Noël reste, et sans doute aujourd'hui bien plus encore qu'hier, cette grande foire commerciale, condensant sur son gros mois d'emprise «soldes» et «black friday». Et dans les rues, ou derrière les vitrines, quand ce ne sont pas sur les visuels désormais en ligne, je rencontre toujours un «Père Noël» en épais manteau de fourrure alors que, dehors, ici, entre Équateur et Tropique du Capricorne, nous vivons en canicule de solstice d'été austral. Dans la joyeuseté générale, je n'arrive pas à me dérider dans les embouteillages infernaux d'une Capitale surpeuplée jusqu'à la saturation, pour peu que je n'ai pas pu m'enfuir d'Antananarivo.

Alors, quoi. Amis, famille, collègues, voisins, vagues connaissances ou plus intimes, m'auraient-ils eu à l'usure de leur tranquille «Joyeux Noël» ? Elles ne furent pas faciles, toutes ces années à s'enfermer en hibernation psychologique, adopter une posture moins d'autruche que de tortue (c'est tout de même plus digne de s'enfermer dans sa carapace plutôt que d'enterrer sa tête tout en ayant le cul à l'air) pour refuser poliment, mais fermement, toute cette allégresse de bonne foi offerte. Vingt ans auparavant, et je me demande si je ne l'avais pas écrit, comme une Chronique-pancarte brandie urbi et orbi, c'était de l'ordre du harcèlement. Tout ce rouge vif partout, ces paillettes obligatoires, les offres mirifiques de tout et n'importe quoi, me mettaient en condition : un énervement progressif, résurgence de je ne sais quelle frustration souterraine.

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J'avais dix ans, je crois, quand mes parents, pas très pratiquants, entre Jacques Prévert et l'amitié des vieux Jésuites, avaient dressé un sapin de Noël, pour la dernière fois, devant la cheminée par laquelle s'engouffraient plus habituellement des chauve-souris plutôt qu'un Santa Claus ramoneur, une fois l'an. Malgré la mitoyenneté avec une église, nous n'y allâmes presque jamais et faut-il s'étonner qu'à l'âge où mes condisciples commençaient à boire et fumer, j'entrais en athéisme.

Réputation qui me valut de l'étonnement quand je fus admis en Franc-maçonnerie mais que ce ne fut pas au GODF. C'était il y a exactement vingt ans. Et, étrange paradoxe, c'est en ce milieu pourtant voué aux gémonies par des prélats ou ecclésiastiques, finalement plus ignorants que vraiment malveillants, ce qui n'en empêchera pas certains d'être tout à fait bêtes et méchants, que j'allais découvrir le maître-mot de «tolérance», qui me fit déjà glisser imperceptiblement de athée proclamé à agnostique plein de scrupules. Ainsi, on en arrive à se convaincre (ou se résigner), d'accepter célébrer une «Saint Jean d'hiver», alors que le thermomètre ne laisse aucun doute quant à l'époque estivale, au nom de «l'Orient symbolique de Jérusalem».

«Ce soir, notre coeur est à Bethléem» a déclaré le Pape François, lors de la messe de Noël, à Rome. Une homélie pas exempte de politique. À l'image ce Noël 2023 qui, en Europe, s'était célébré sous la menace d'attentats islamistes. Et on ne doit pas oublier le dimanche de Pâques 2019, au Sri Lanka, endeuillé de 260 morts. Comme si chaque fête chrétienne constituait une borne sur la frontière fragile entre civilisation en-deçà et barbarie au-delà.

Par-delà les prêches, des uns et des autres, des uns contre les autres, dont je n'ai cure, mais en souvenir de cet unique «cahier de religion», que les Jésuites m'auront autorisé à entretenir, par de multiples dessins et d'autant de gommages, en palimpsestes infinis de la Sixième à la Première, s'il fallait faire un choix, je serais du peuple de Noël. Et finalement, de tous les peuples de Noël, tant qu'ils se reconnaissent dans l'Humanité éprise de «Paz e Luz». Jamais on n'aura dit, en si peu de lettres, une double aspiration universelle : Paix et Lumière.

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