La mise en place de l'Alliance politique pour le changement (APC), nouveau regroupement des partis politiques, des membres de la société civile, et des associations et des citoyens d'horizons divers, est annoncée comme l'un des moments importants de la vie politique camerounaise, à un an de la prochaine présidentielle. Objectif : soutenir la candidature du président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), Maurice Kamto, à cette élection. Mais déjà cette initiative ne fait pas l'unanimité sur ses chances de succès, dans un pays qui en connu d'autres.
Pour son lancement et son fonctionnement effectif, il faudra encore attendre. En ce début d'année, le temps est aux réglages qui donneront corps à l'Alliance politique pour le changement (APC). « Nous sommes en train de travailler. Nous nous affairons à élaborer des textes. Nous menons aussi des consultations diverses », confie à RFI une des figures qui est engagée dans ce chantier politique, annoncé fin 2023.
Le sens de cette démarche politique est connu : soutenir Maurice Kamto, président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), officiellement classé deuxième derrière Paul Biya à l'élection présidentielle d'octobre 2018, et qui envisage de se présenter à celle prévue en 2025.
À en croire ses initiateurs, cette dynamique vise à rassembler autour de cette figure politique, des partis politiques, les organisations de la société civile, des autorités traditionnelles et religieuses, des intellectuels, des universitaires, des hommes et des femmes de culture.
« Le MRC présentera son candidat à l'élection présidentielle même si celle-ci était convoquée maintenant »
Les enjeux de la création de l'APC sont importants. Le MRC ne compte officiellement aucun élu, suite au boycott des législatives et municipales de 2020. Or, selon le Code électoral en vigueur, Maurice Kamto ne peut être candidat à la prochaine présidentielle au Cameroun que sous deux conditions : soit il rassemble 300 signatures des personnalités à travers le pays, soit il se présente sous la bannière d'une autre formation politique à condition que cette-dernière ait des élus.
Mais le président du MRC a déjà rassuré ses partisans : « Je suis en mesure de vous confirmer que le MRC présentera son candidat à l'élection présidentielle, même si celle-ci était convoquée maintenant. Il n'est pas obligé de passer nécessairement par un autre parti politique pour avoir le droit de se présenter. En vertu des dispositions pertinentes de la Constitution, et au regard de plusieurs cas précis survenus dans notre pays, le MRC compte dans ses rangs plusieurs élus issus des élections étatiques, dont les mandats courent encore », expliquait, début décembre, Maurice Kamto, par ailleurs juriste chevronné.
Le débat est-il pour autant clos ? Rien n'est moins sûr. D'autres questions émergent au sujet de l'APC. Elles ont trait à la capacité même de ses initiateurs à rassembler au-delà du MRC, de la Dynamique et du Front pour changement du Cameroun (FCC), deux formations politiques de peu de poids, respectivement présidées par Albert Dzongang, (un ancien ponte du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, parti au pouvoir), et Jean-Michel Nintcheu (ancien vice-président du Social Democratic Front, longtemps principal parti d'opposition du Cameroun).
« Tout dépendra de la capacité de Maurice Kamto à négocier, sachant que négocier revient à transiger sur ses propres valeurs, quitte parfois à se renier. Il faut surtout dire que la participation aux élections comporte d'importants enjeux symboliques et économiques pour les acteurs politiques soucieux de leur image. De ce point de vue, il sera compliqué que ceux-ci se désistent au profit du président du MRC qui, en plus, s'est d'ores et déjà présenté comme hégémon de l'APC, sans que ce positionnement repose sur des bases claires telles le nombre d'élus, l'implantation territoriale du parti », décrypte le politologue Njoya Moussa.
Début décembre, Jean-Michel Nintcheu, qui le premier avait lancé l'idée de création de l'APC, livrait pourtant déjà les critères ayant présidé au choix de Maurice Kamto, comme candidat de ce regroupement politique : « Qui, de manière objective, incarne le mieux l'opposition aujourd'hui au Cameroun ? Qui donne le plus d'insomnies à monsieur Biya et son régime ? Quel est le parti politique qui voit ses manifestations politiques, à quelques exceptions près, être systématiquement interdites ? Qui est le dirigeant politique qui fait l'objet d'une véritable fatwa de la part du régime dictatorial de Yaoundé ? », s'interrogeait le président du FCC, dans une envolée rhétorique, à la faveur de la Convention du MRC à Yaoundé. Une affaire de prisme.
« Ce projet souffre d'une déficience: tout le monde se voit en messie, mais personne ne se voit en disciple »
Mais il existe d'autres défis pour l'APC. « La question, c'est l'étendue et la puissance de cette alliance. On évaluera par exemple le poids politique de Jean-Michel Ninctheu une fois parti du Social Democratic Front. Pour le moment, on note qu'il n'a pas encore pu entraîner avec lui l'ensemble des cadres de ce parti qui en avaient été exclus comme lui. Nombreux sont d'ailleurs ceux qui se montrent réticents à rallier l'APC », observe Njoya Moussa.
« Ce projet de soutien [à Maurice Kamto, NDLR] souffre d'ailleurs, comme beaucoup d'autres initiatives passées, d'une déficience originelle : tout le monde se voit en messie, mais personne ne se voit en disciple », fait remarquer Patrick Rifoe, universitaire et néanmoins un des « communicants » du Rassemblement démocratique du peuple camerounais.
Depuis la restauration du multipartisme au Cameroun dans les années 1990, la scène politique a fait l'expérience de plusieurs regroupements des forces d'opposition qui ont connu des fortunes diverses. Lors de l'élection présidentielle de 1992, l'Alliance pour la reconstruction du Cameroun par la Conférence nationale souveraine (ARC-CNS), muée en l'Union pour le changement, avait soutenu la candidature de John Fru Ndi, alors président du Social Democratic Front, avant de se disloquer un an plus tard. En 1994, hors contexte électoral, le Front des alliés pour le changement (FAC), avait vu le jour, avant de faire long feu après quelques mois. Dix ans plus tard, la Coalition pour la reconstruction et la réconciliation nationales avait jeté son dévolu sur Adamou Ndam Njoya, comme son candidat à l'élection présidentielle, sans pour autant survivre à ce rendez-vous politique.
L'Alliance politique pour le changement va-t-elle faire exception ? Il semble hasardeux d'y répondre avant de l'avoir vue à l'oeuvre.