Tunisie: Crise hydrique en Tunisie / Hamza El Fil - Chef du Laboratoire Dessalement et Valorisation des Eaux Naturelles au Centre de Recherches et des Technologies des Eaux (Technopole de Borj-Cédria), à La Presse - «Une bonne gouvernance pourrait sauver le pays des risques des années à venir»

17 Janvier 2024
interview

Le dessalement des eaux, qui est considéré relativement cher comparé aux ressources conventionnelles, ne peut en aucun cas répondre au déficit total des besoins en eau potable : il faudrait des stations beaucoup plus grandes et donc consommatrices d'énergie et de ressources financières. Il faudrait d'ailleurs penser à d'autres formes d'énergies plus rentables.

Comment évaluez-vous la situation hydrique actuelle en Tunisie ? Est-ce qu'elle s'est améliorée après les dernières précipitations ?

La sécheresse vécue par la Tunisie durant plusieurs années a provoqué une chute quasi-totale de l'humidité dans le sol qui est considéré comme le plus grand réservoir d'eau pluviale. Cela a pour effet de limiter la recharge des nappes d'eau souterraines déjà surexploitées et qui ont supporté les besoins agricoles des trois dernières années. Les sols ont été bien imbibés par les précipitations observées depuis le mois de décembre. En effet, les dernières précipitations, qui ont également sauvé le démarrage de la saison des grandes cultures, n'ont apporté aux barrages que 315 millions de m3 contre une moyenne interannuelle de 646 millions de m3, selon les données de la Direction générale des Barrages et des Grands Travaux Hydrauliques.

Le taux de remplissage des barrages est encore à inférieur à 32 % avec environ 722 millions de m3 le 12 janvier, contre une moyenne enregistrée au cours des trois dernières années de l'ordre de 923 millions de m3, soit une baisse des réserves d'eau de surface d'environ 21 %. Les pluies prévues au mois de janvier, considéré comme le mois le plus pluvieux, seront capitales pour l'amélioration du taux de remplissage des barrages et l'alimentation des nappes souterraines qui nécessitent plus de temps pour se remplir comparativement aux eaux de surface.

%

Pour assurer l'approvisionnement de nombre de régions en eau potable, plusieurs projets ont été lancés, comme la construction de stations de dessalement. A votre avis, celles-ci sont-elles suffisantes pour répondre aux besoins ?

En plus de l'approvisionnement classique en eau potable, qui se fait par les eaux de barrages (14 régions) et les eaux souterraines, les eaux dessalées constituent actuellement environ 10 % de l'offre en eau potable. Avec l'entrée en fonctionnement des 3 grandes stations de dessalement de l'eau de mer en 2024 (à Gabès avec 50.000 m3/J et à Sfax avec 100.000 m3/J) et en 2025 (à Sousse avec 50.000 m3/J), la proportion de l'eau dessalée atteindra les 20 % de l'approvisionnement en eau potable. Ces nouvelles ressources non conventionnelles permettraient de réduire le stress hydrique dans le sud de la Tunisie, d'une part, et la surexploitation des nappes souterraines des régions de Kasserine et de Kairouan qui approvisionnent partiellement Sfax et Sousse respectivement.

Cependant le dessalement des eaux, qui est considéré relativement cher comparé aux ressources conventionnelles, ne peut en aucun cas répondre au déficit total des besoins en eau potable : il faudrait des stations beaucoup plus grandes et donc consommatrices d'énergie et de ressources financières. Il faudrait d'ailleurs penser à d'autres formes d'énergies plus rentables. D'un autre côté, la qualité de l'eau dessalée, actuellement distribuée avec une salinité comprise entre 1,5 et 2 g/L, est très critiquée par les citoyens des régions considérées. Ces derniers ont trouvé refuge soit dans les eaux embouteillées soit dans les eaux de Majel comme les Djerbiens soit dans les eaux de sources ou dessalées par des particuliers et vendues en vrac d'une manière informelle dont les paramètres chimiques et microbiologiques nécessitent des contrôles rigoureux et périodiques dans un cadre formel de ce nouveau secteur en pleine expansion.

Est-ce que le manque d'eau est uniquement le résultat de l'absence de pluie ou d'une mauvaise gestion de nos ressources en eau ?

Le manque d'eau en Tunisie est dû principalement aux faibles taux de précipitation dans un pays semi-aride à aride comme la Tunisie notamment ces dernières années. Toutefois, les quantités d'eau disponibles sont mal gérées dans tous les domaines et particulièrement dans le secteur agricole dont la perte dans les circuits de distribution dépasse les 40 %.

Cela sans parler des cultures très consommatrices d'eau et inadaptées à nos conditions de climat. Par ailleurs, une étude publiée en 2019 a montré que les pertes économiques directes totales liées à la sur-utilisation de l'eau d'irrigation sont estimées à 258,5 millions DT, dont près de 50 % reviennent aux agrumes (17 %), tomates (14 %), oignon (9%) et palmiers (8%). Les pertes en eaux destinées à la consommation humaine sont également très élevées, elles sont de l'ordre de 14 et 23 % dans les réseaux d'adduction et de distribution respectivement (d'après le site web de la Sonede).

Alors que les taux de recyclage des eaux usées traitées et des eaux utilisées par les industriels sont largement inférieurs aux objectifs recommandés par le plan national de l'eau.

Une bonne gouvernance du domaine hydrique public supporté par un système intelligent basé sur l'efficacité hydrique ou semi-intelligent pourrait sauver le pays des risques des années à venir quant aux besoins en eau notamment avec les changements climatiques en cours vers un réchauffement planétaire important de plus de 2 degrés Celsius dans les cas les plus favorables d'ici 2050. La Tunisie est, et sera soumise aux effets dévastateurs de ce réchauffement sur les équilibres hydriques de surface et hydrogéologiques au niveau des nappes d'eau superficielles. Voilà pourquoi nos stratégies nationales devront répondre et adapter le pays à ces changements en cours vers plus de résilience. Le temps nous devance !

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.