Le barrage de Niou, qui fait partie intégrante du Projet de mobilisation et de valorisation des eaux de surface dans le Plateau central (PMVEC), reste à ce jour, une source de déception pour les populations. Les travaux sur le site avancent au ralenti, laissant planer le doute quant à la réalisation des promesses initiales. La clôture du projet, initialement prévue pour le 30 juin 2022, avait été prorogée jusqu'au 31 décembre 2023, mais les espoirs de voir l'ouvrage bénéficier aux populations pour la campagne sèche à venir semblent s'éteindre ...
Niou, localité située à une dizaine de kilomètres de Boussé, chef-lieu de la province du Kourweogo, dans la région du Plateau central, attend toujours son barrage. Et pour cause, les travaux sont à la traine. Dans la cuvette, ce jeudi 21 décembre 2023, le site est jonché de dépôts de terre, de troncs et de souches d'arbres. Un peu plus loin, des ouvriers sont en activité. Un camion toupie chargé de l'écoulement du béton du mur de parapet semble « couché » depuis des lustres ...
Des travaux de planage se passent sur la zone particulière du périmètre irrigué. Malgré ce spectacle peu rassurant, le responsable de l'Entreprise de l'Avenir/ CED, en charge des travaux, Wine Ouédraogo, estime pouvoir les livrer au plus tard, le 15 janvier 2024. Mais, avec le retard que connait le chantier, le désenchantement des populations est à la hauteur de l'euphorie suscitée lors du lancement des travaux, le 3 décembre 2018.
Fruit de la collaboration entre la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et le Burkina Faso, d'un coût global de 1 898 533 329 F CFA et d'une capacité de stockage d'eau estimée à 1 267 000 m3, le barrage de Niou était destiné à être un poumon économique, afin de « panser » les plaies des ressortissants des quartiers Taon, Roundé, Wara et Lounga, déguerpis et dédommagés pour la réalisation de l'infrastructure hydraulique. Lassées d'attendre, de nombreuses familles ont été contraintes de rejoindre les sites d'orpaillage, soutient le premier vice-président de la délégation spéciale de la commune de Niou, Seydou Ouédraogo.
Au niveau du Projet de mobilisation et de valorisation des eaux de surface dans le Plateau central (PMVEC), l'on précise que sur le périmètre de 42,3 hectares, le barrage devait permettre à environ 200 exploitants de produire 215 tonnes (t) de riz et 1000 t de produits maraichers. Depuis le lancement du projet, il y a six ans, la zone de Niou était déjà perçue comme un grenier de production pendant les campagnes sèche et humide, au regard de la quantité d'eau prévue. Hélas ! A la date du jeudi 21 décembre 2023, les travaux sur le site ne rassurent pas les bénéficiaires. Même si la mise en eau du barrage est faite depuis juillet 2023, il reste l'enrochement, le gravillon, la petite partie du chenal ouvert et les mûrs parapets.
Un refus de remboursement
Sur les bordures, le dépôt de terre n'a toujours pas été enlevé. Il s'agit, selon Aboubacar Tiendrebeogo, technicien de l'Entreprise de l'Avenir/CED, de tâches non achevées, d'une autre entreprise, à savoir, le groupement CTG-CI/CTG-BF. En réalité, cette entreprise, a
été la première, recrutée, le 30 mars 2018 sur la base d'un appel d'offres ouvert pour exécuter les travaux de construction du barrage et du périmètre pour un montant de 1 608 926 550 F CFA HT-HD, avec un délai d'exécution de 14 mois hors saison pluvieuse. Pour des travaux lancés, le 3 décembre 2018, l'entreprise devait livrer l'ouvrage courant l'année 2020.
Mais sur le site, explique, le coordonnateur du PMVEC, Boukari Compaoré, lorsque les travaux ont été lancés, le projet s'est rendu compte que les moyens techniques avancés par l'entreprise, selon les exigences de l'appel d'offres, n'étaient pas conformes aux réalités du terrain. « Le prestataire avait des difficultés pour mobiliser du personnel et du matériel conséquents pour l'exécution des travaux.
Le projet s'est vu obligé de le déclarer défaillant et procéder définitivement à la résiliation du contrat en avril 2021 », précise-t-il. Au moment de la résiliation, le taux global de réalisation, indique le coordonnateur, était de 22% (barrage : 35%, périmètre : 5%), après 104% de temps consommé, alors que le groupement CTG-CI/CTG-BF avait reçu les 30% de l'avance de démarrage des travaux. « A la résiliation, le prestataire a refusé de signer les états contradictoires.
Car, il pourrait y avoir des situations où, il est le créancier du projet. Mais dans ce cas, c'est lui qui nous devait. Il n'a pas pu rembourser un seul centime de l'avance de démarrage. Nous avons écrit à sa banque installée au Cameroun pour lui signifier la résiliation du contrat. Le dossier doit être renvoyé à un autre niveau, car, lui aussi, ne veut pas accepter que la banque libère la caution », affirme le coordonnateur du PMVEC.
Aussi, sur la base d'un premier décompte, le prestataire a été payé pour la suite des travaux. Seulement, précise M. Compaoré, une autre partie du chantier n'a pas été prise en compte. Sur cette base, Martin Sawadogo, Directeur général (DG) de CTG-BF, dans les colonnes du « Carrefour Africain », publié le 15 février 2023, accusait pour sa part, le PMVEC d'être à la base du ralentissement des travaux.
Il justifiait la situation par un retard dans l'obtention de l'avance de démarrage. Le DG a également pointé du doigt les responsables du projet qu'il accuse d'avoir violé les textes régissant le fonctionnement des marchés publics. Car, selon ses dires, le PMVEC a trainé pendant 12 mois avant de le payer.
Une autre défaillance
En dépit de la résiliation du contrat de la première entreprise, les populations de Niou avaient toujours de l'espoir quant à la poursuite des travaux. Malheureusement, le refus de signature des états contradictoires a joué sur le temps de recrutement d'un deuxième prestataire. Ce n'est qu'en mai 2022, soit près d'une année après, que l'Entreprise de l'Avenir/CED a été recrutée pour achever les travaux avec un délai d'exécution de sept mois, hors saison pluvieuse.
En principe, ce deuxième prestataire, explique le coordonnateur du PMVEC, devait livrer l'ouvrage hydraulique au plus tard fin mai 2023 afin de respecter la date de clôture du projet, le 31 décembre 2023. Mais à la grande surprise des bénéficiaires, les travaux se poursuivent toujours sur le terrain. Le PMVEC indexe, à nouveau, le manque de performance de ce second prestataire, dû à la faible mobilisation des ressources humaines. « L'entreprise avait pris des engagements pour mobiliser les équipes au regard de l'évolution des travaux afin de les achever d'ici le 31 décembre 2023.
C'est à cause de ce site que le projet n'est toujours pas clos », regrette son coordonnateur, Boukari Compaoré. Au regard des travaux restants, notamment le chenal d'évacuation, le mur parapet, les canaux secondaires, les canaux tertiaires pour faciliter l'irrigation des parcelles ..., « une autre résiliation n'arrangera personne », prévient-il.
Si le projet justifie le retard des travaux par de la non-performance du second prestataire, le responsable de l'Entreprise de l'Avenir/CED, Wine Ouédraogo, quant à lui, relativise les choses. Pour lui, les difficultés sont plutôt liées à l'approvisionnement des matériaux de cons-truction. « Dans la zone, il y a une rareté de sable de qualité. Nous étions donc obligés de nous rendre à Manga pour transporter les agrégats.
Aussi, par rapport à la collecte des moellons, il faut les recueillir sur les collines dont certaines sont interdites d'accès par les autochtones. Autre con-trainte, il s'agit du gravier. Nous étions obligés de faire le travail avec du concassé, vu la quantité de béton pour le déversoir », se défend-il. L'entrepreneur a également évoqué un problème de décompte d'un montant de 180 millions F CFA, dont les différentes démarches pour la signature n'ont pas porté fruits.
Comme les travaux sont suivis, soutient Wine Ouédraogo, l'entreprise est tenue de respecter le temps de validation de la mission de contrôle. Là aussi, faut-il le rappeler, avec le premier prestataire, le mardi 17 novembre 2020, une mission conjointe de supervision des travaux du barrage de Niou s'est rendue sur le site. Au cours de ladite sortie, cite le ministère en charge de l'eau, la mission de contrôle n'a pas échappé aux reproches en ce qui concerne le ralentissement des tra-vaux.
Elle a été tenue pour responsable de la situation. Le premier responsable du PMVEC aurait relevé, ce jour-là, le manque de pression de la mission de contrôle sur l'entreprise. Les tentatives de l'équipe de Sidwaya d'entrer en contact avec une source au Cabinet d'études techniques et recherches en ingénierie (CETRI), chargé du contrôle des travaux, sont restées vaines. Au téléphone, elle évoque, en guise de justification, la confidentialité des informations et le manque de temps.
Quid des promesses ?
Les populations s'inquiètent du suivi de la qualité des travaux restants compte tenu de la clôture du projet, même si le coordonnateur du PMVEC évoque l'accompagnement de l'Etat. Le premier vice-président de la délégation spéciale communale de Niou, Seydou Ouédraogo, souhaite qu'il y ait un contrôle régulier pour la poursuite des travaux. «Personnellement, j'ai connu des projets dont les promesses n'ont jamais été tenues après la clôture.
Qu'est-ce qui prouve que les travaux restants seront à la hauteur de nos attentes ? », s'interroge-t-il. En dehors du barrage, poursuit-il, des mesures d'accompagnement ont été prévues dans le cadre du projet. Si certaines sont mises en oeuvre comme l'empoissonnement du bas-sin piscicole, les couloirs d'accès des animaux et la dotation de matériels, rapporte Seydou Ouédraogo, les populations se sentent oubliées en termes de renforcement de capacités et d'organisation des producteurs.
Sur ce volet, le coordonnateur du PMVEC confirme. Toutes ces actions, déclare-t-il, doivent attendre l'achèvement des travaux. « Comme les parcelles n'ont pas encore été attribuées, il est difficile d'organiser les producteurs. Au niveau du périmètre, trois sociétés coopératives ont été prévues pour la production du riz, la culture maraichère et l'étuvage à l'endroit des femmes. Comme les travaux sont en cours, c'est pourquoi toutes ces activités n'ont pas encore été réalisées », soutient-il.
Face au déficit d'infrastructures hydrau-liques que connait la province de Kourweogo, le barrage de Niou, explique la directrice provinciale de l'Agriculture, des Ressources animales et halieutiques, Lucienne Kima, visait à résorber le goulot d'étranglement en matière de ressources en eau. Le retard dans l'exécution des travaux a donc impacté les productions. « Il y a un manque à gagner, surtout avec l'offensive agropastorale dont le rôle consiste à augmenter la production », dit-elle.
Elle renchérit que depuis la campagne humide, les bénéficiaires étaient très impatients d'exploiter le site avec du riz et des produits maraichers. « Nous étions convaincus que le site allait être remis aux producteurs pendant la campagne humide. Ils attendaient impatiemment pour démarrer la campagne sèche. Comme les travaux n'ont pas été achevés en 2023, les conséquences sont énormes du côté des bénéficiaires. Le barrage n'a pas assez d'eau pour répondre aux besoins des populations », regrette-t-elle. Sur le terrain, le mécontentement des popula-tions est palpable.
Une grogne à laquelle la direction provinciale en charge de l'agriculture peine à apporter des solutions. Pourtant, lors de la saison pluvieuse écoulée, des poches de sécheresse, à l'écouter, ont conduit à des baisses de rendement. « Cela a impacté la commune de Niou. Si le délai d'exécution avait été respecté, la production de la campagne sèche aurait comblé le manque à gagner », relève Mme Kima.
Revoir la passation des marchés Selon le directeur provincial de l'Eau et de l'Assainissement du Kourweogo, Dramane Sébastien Konkolé, des corrections et des travaux d'amélioration sont encore nécessaires au niveau du barrage de Niou. « En ce qui concerne la cuvette du barrage, l'entreprise a été également rappelée à plusieurs reprises pour y taluter les grands déblais. La majeure préoccupation des populations dans la province du Kourweogo reste le problème d'eau, que ce soit pour l'approvisionnement en eau potable ou pour les pratiques agricoles », fait-il savoir.
Du moment où le Burkina Faso n'a pas accès à la mer et ne dispose pas de fleuves pérennes, soutient M. Konkolé, le barrage est important pour la communauté, l'abreuvement des animaux et évite la ruée des jeunes vers les sites d'orpaillage. Il interpelle, à cet effet, l'entrepreneur à accélérer les travaux. « La réalisation des barrages n'est pas une mince affaire. Au Burkina Faso, certaines entreprises sont théoriquement bonnes sur le papier, mais rencontrent de sérieux problèmes sur le terrain », dénonce-t-il. A ce sujet, le coordonnateur du PMVEC plaide pour une révision de la réglementation.
Il est nécessaire, estime-t-il, de constituer une base de données d'entreprises performantes pour des projets d'investissements ou de développement durable. Dans le cas contraire, ajoute Boukari Compaoré, lorsqu'une première entreprise est déclarée défaillante, il faut permettre au projet de passer un marché de gré à gré avec une autre qualifiée pour la reprise des travaux.
« Pour le cas du barrage de Niou, les travaux n'ayant pas pu être achevés en cinq ans d'exécution, il y a obligation de différer le prêt. Or, en le différant, les intérêts augmentent. Et, c'est l'Etat qui récolte les pots cassés. Donc, il y a lieu pour l'Etat de revoir le fonctionnement de la passation des marchés tout en prenant des garde-fous pour recadrer le secteur », conclu le coordonnateur du projet.
Des ouvriers impayés
Sur le site de construction du barrage de Niou, nombreux sont les fils de la localité qui manifestent leur ras-le-bol face au ralentissement des travaux. Au démarrage, ils ont été engagés pour exécuter certaines tâches de l'ouvrage. Mais à leur grande surprise, ils ont été contraints de déserter les lieux, pour des raisons de cumul de reliquats dans le paiement de leurs dus. Même si le responsable de l'Entreprise de l'Avenir/CED nie les faits, il va falloir respecter les engagements dans le but de sonner la mobilisation pour achever les travaux.