Ile Maurice: Des coûts en cascade pour les entreprises

Le salaire minimum à Maurice est passé à Rs 15 000 depuis le 1er janvier 2024. Une hausse qui intervient pour pallier la chute continue du pouvoir d'achat des citoyens. D'ailleurs, les prix des commodités qui ont pris l'ascenseur en témoignent. Toutefois, une telle hausse de salaire n'est pas sans conséquence pour l'économie du pays, ni pour les entreprises. Des experts partagent cet avis. Cette annonce "purement politique" a été faite dans un contexte d'élections générales. Une telle décision, estiment-ils, affaiblira l'économie et deviendra insoutenable.

L'annonce d'une mesure sociale par un gouvernement à chaque fin de mandat est devenue une habitude. Cette observation est faite par l'économiste, Azad Jeetun. Et la hausse du salaire minimum, dit-il, entraîne une augmentation des coûts de production. «De ce fait, nous ne sommes pas très compétitifs. Lorsqu'on n'est pas compétitif, notre secteur d'exportation est directement affecté», soutient l'économiste. De l'autre côté, cette hausse affecte également les petites et moyennes entreprises (PME). Étant donné que les PME dépendent grandement de leurs travailleurs pour assurer leurs activités, Azad Jeetun estime qu'elles sont beaucoup plus affectées par rapport aux grandes entreprises et croit que plusieurs PME n'arriveront pas à absorber la hausse de différents coûts et n'auront pas le choix que de fermer boutique.

La fermeture des PME, ajoute-t-il, affectera l'emploi. «La demande pour la main-d'oeuvre baisse lorsqu'on augmente le salaire minimum. De ce fait, nous créerons plus de chômeurs», dit-il et ajoute que les entrepreneurs seront plus aptes à donner la chance à ceux qui sont les meilleurs, et non à une autre personne n'ayant pas encore atteint les compétences voulues. L'incidence de la hausse du salaire minimum sur l'inflation, poursuit l'économiste, est inévitable. Mais pour lui, alors que le salaire minimum veut protéger les citoyens, son augmentation est absorbée par l'inflation. «Les prix vont définitivement augmenter, et ainsi l'inflation», fait-il ressortir.

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«L'économie n'a pas été une priorité pendant des années»

Cette décision d'augmenter le salaire minimum, poursuit-il, est liée à la politique. «La politique salariale du gouvernement a toujours été une politique sociale que ce soient pour les élections générales ou non. La politique est d'augmenter le salaire ou la pension», dit-il, estimant qu'accorder des augmentations salariales pour gagner des votes est une «politique continue» en ajoutant que «c'est la politique du gouvernement de se concentrer sur le social aux dépens de l'économie». Mais ce faisant, l'économiste regrette que l'économie ne soit plus compétitive. D'ailleurs, ajoute-t-il, le secteur de l'exportation perd son éclat depuis plusieurs années. De plus, dit-il, le nombre d'emplois a enregistré une baisse et les exportations n'augmentent pas. Azad Jeetun souligne que le secteur de l'exportation est un baromètre pour le pays. Faisant une rétrospective des augmentations salariales dans les années 1980, il avance que la santé du secteur de l'exportation permettait de prendre la décision appropriée. «À cette époque on parlait du salaire minimum mais le gouvernement résistait. Or, aujourd'hui, nous avons eu un salaire minimum sans aucune étude», déplore-t-il.

À une question sur la soutenabilité de cette hausse du salaire minimum, Azad Jeetun avance que «tout est une question de priorité». Pour lui, si le gouvernement constate que la priorité prédomine, l'augmentation sera tout à fait «normale» aux dépens de l'économie. «L'économie n'a pas été une priorité pendant de nombreuses années.» Toutefois, dit-il, le seul secteur ayant attiré le regard du gouvernement est le tourisme. L'économiste constate que plusieurs mesures ont été annoncées pour ce secteur par rapport à d'autres. De ce fait, il déplore que de nombreux secteurs n'arrivent pas à développer leur potentiel.

Analysant les effets de cette hausse du salaire minimum, l'économiste Eric Ng estime que «dans les mois à venir, les gains salariaux seront érodés par une flambée des prix pendant que les entreprises allègeront leur effectif et adopteront une position d'attentisme avant d'investir». Il poursuit en affirmant qu'un «plancher salarial produit des effets qui s'étendent même en dehors des secteurs à bas salaires, favorisant une réaffectation des travailleurs de ceux-ci à des firmes qui versent des salaires supérieurs». Pire, pour l'économiste, «il n'y a aucune logique à ce que l'État impose une hausse salariale que les employeurs ne peuvent pas supporter pour ensuite les aider à la payer avec l'argent des contribuables».

Eric Ng souligne également que dans un contexte inflationniste, les consommateurs refusent de débourser plus. De ce fait, pour lui, «il est donc extrêmement difficile aux firmes de leur faire passer le surcoût salarial». Des licenciements, dit-il, interviennent, citant ainsi le secteur de la restauration où le nombre d'employés dans les grands établissements a chuté de 3 351 en mars 2018 à 2 932 en mars 2023. La plus importante baisse en 11 ans.

Gestion difficile des PME Certes, le secteur qui subit de plein fouet l'effet de cette hausse du salaire minimal est celui des PME déjà fragilisées par la crise du Covid-19. Pour Maya Sewnath, vice-présidente de la SME Chambers, la gestion d'une entreprise est devenue pénible. Depuis l'annonce de la hausse du salaire minimum, dit-elle, c'est le même refrain chez tous les entrepreneurs. Elle exprime la crainte que des PME ne soient contraintes à licencier si elles n'arrivent pas à absorber les différents coûts. «Les PME ont été prises au dépourvu et choquées après cette annonce. Nous ne sommes pas contre une hausse du salaire minimal car le coût de la vie a augmenté. Toutefois, faire une telle annonce du jour au lendemain, c'est un coup de massue très dur qui nous est infligé», déplore l'entrepreneure. Cette hausse, dit-elle, est financièrement insoutenable pour les PME déjà fortement endettées sans compter l'augmentation des prix des matériaux, du fret et la dépréciation de la roupie.

Face au soutien du gouvernement de venir en aide aux PME à payer la hausse du salaire minimal, Maya Sewnath avance cependant que ce soutien est «insuffisant». Pour elle, de nombreuses PME ont recours à la main-d'oeuvre étrangère. Le salaire minimal, dit-elle, concerne tous les employés. «Les travailleurs étrangers nous coûtent moins chers et le coût de production est raisonnable.» C'est l'une des raisons pour lesquelles les PME importent la main-d'oeuvre étrangère. Or, le salaire minimal est passé de Rs 11 800 à Rs 15 000 pour tous les employés augmentant ainsi les coûts pour faire venir et loger ces travailleurs étrangers. «Pour cette augmentation, nous ne recevons que Rs 1 000 du gouvernement. Comment payer la différence ?», Elle qualifie l'aide du gouvernement de «piecemeal» et estime que le gouvernement aurait dû payer le montant total menant aux Rs 15 000.

La situation est telle que pour Maya Sewnath, trouver des mots est devenu difficile. «Être entrepreneur à Maurice est devenue très pénible.» En parlant aux entrepreneurs de son association, elle soutient que ceux-ci arrivent difficilement à garder la tête hors de l'eau. Malgré la situation qui se détériore davantage pour eux, beaucoup utilisent tous les moyens pour ne pas jeter l'éponge.

Licencier pour améliorer la productivité

Malgré la situation difficile des entrepreneurs, une hausse du salaire minimal doit se traduire par une meilleure productivité. Acceptant ce fait, Maya Sewnath fait ressortir que les employés devront maintenant être plus productifs. «C'est impératif afin que nous puissions pallier l'augmentation du salaire minimum. Par contre, auparavant on donnait la chance aux apprentis et ceux qui étaient moins productifs.» Mais la donne a changé pour elle. Les gens qui seront recrutés devront être productifs et se donner à 100 % dans le travail. Elle prévoit qu'en l'absence de personnes productives dans les entreprises, plusieurs employeurs licencieront.Concédant que le dégraissage du personnel n'est pas chose facile, elle ajoute que les PME ont déjà été conseillées de faire appel à des consultants en ressources humaines pour licencier ou améliorer la productivité.

Absence de dialogue avec les PME

La présidente de SME Chambers déplore également que la hausse du salaire minimum, imposée sur les PME, a été faite sans dialogue. Malgré ses différents essais de prise de contact avec les autorités, aucune rencontre n'a été fixée à ce jour. «Nous voulions avoir un dialogue pour exprimer nos craintes. Mais nous savons que cette décision est purement politique à l'approche des élections générales.»

Le secteur de la construction, quoique d'une nature différente des autres secteurs est aussi affecté par la récente augmentation du salaire minimal. À Transinvest Construction, les Remuneration Regulations sont respectées. «Le salaire le plus bas est plus élevé que le salaire minimum. Certes, nous ne ressentons pas l'impact immédiatement car nous sommes déjà touchés par les Remuneration Regulations», soutient Julien Mootoo, directeur des ressources humaines (DRH) de l'entreprise. Toutefois, une hausse additionnelle du salaire minimal aura un effet. Mais d'autre part, la somme de Rs 2 000 à payer a un impact sur l'entreprise. «À l'heure où on se parle, cette hausse n'est qu'une annonce. Au 15 janvier 2024, l'annonce n'a pas encore été publiée officiellement. Cette hausse représente 6 % d'augmentation de notre masse salariale. C'est énorme dans la conjoncture actuelle.»Le DRH ajoute que l'entreprise pourra honorer cette augmentation mais se demande comment feront les PME qui auront plus de difficulté. Une hausse du salaire minimal, poursuit-il, aura des effets contraires notamment pour le secteur de la construction où l'accent est mis sur la sécurité des travailleurs. «Cela contraindra les entreprises à ralentir l'embauche. Les petites entreprises vont travailler avec peu de personnes avec tous les risques», déplore-t-il. Pour Gérard Uckoor, président des petits contracteurs, la hausse du salaire minimal n'entraîne aucun changement dans le secteur. Pour lui, les maçons et autres travailleurs manuels sont déjà rémunérés au-delà du salaire minimum. Il est d'avis que seul un salaire élevé et décent attirera les gens vers ce secteur.

Pour ce dossier, nous avions aussi sollicité d'autres associations concernées par la hausse du salaire minimal, telles la Building and Civil Engineering Contractors Association (BACECA), la Mauritius Exports Association (MEXA) pour avoir leur avis. Toutefois, elles sont restées injoignables.

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