Horloger installé précairement à l'angle de l'Avenue de Mahabibo, à Majunga, dans les débuts des années 70, il était là, en fait, en permanence du matin au soir. Les moins jeunes ricaneront peut-être, mais on peut dire, qu'en ce temps-là, c'était un savant qui détenait le savoir-faire de nouvelles technologies à l'équivalent des fervents informaticiens actuels. Il bichonnait et entretenait les montres de grandes marques de cette époque. Il connaissait les secrets des mécanismes des Lip, des Oméga, des Thalès et autres... Car il faut dire qu'en ces temps-là, les montres étaient des bijoux au même titre que les colliers ou les bracelets de valeur. Elles duraient toute une vie ou même plusieurs puisqu'on se les passait du grand-père au père et puis au petit-fils. Bref, elles traversaient les générations et on était fier de montrer « l'héritage ».
Puis sont venues ces bidules qu'on appelle montres à quartz ou montres électroniques qui ne coûtent que trois fois rien et qu'on porte le temps d'une tendance ou d'une mode. Pour vivre, il fallait bien qu'il les répare, réparation qui ne consistait en réalité qu'à changer les piles.
Mais il ronchonnait à longueur de journée « Qu'est-ce que c'est ces pacotilles éphémères, éphémères ?», disait-il tout le temps, mot barbare dont peu d'individus connaissaient le sens, tant et si bien que les gens de cette ville habitués aux « kalizy » (palabres) finirent par le surnommer Ephémère. Ces objets brillants sans valeur, il ne les aimait pas, ce n'était pas des bijoux, lui qui chérissait les beaux cadrans qu'on montrait fièrement et qu'on nettoyait (soufflage) régulièrement chez Monsieur l'horloger.
En réalité, il avait raison Éphémère, ces téléviseurs LED, ces téléphones portables et autres commodités d'aujourd'hui que nous colportons un temps seulement parce que fragiles et vite devenues obsolètes sont aussi éphémères. Quand elles sont hors d'usage, égarées ou démodées, nous n'en sommes pas affectés le moins du monde, parce qu'elles sont sans âme, parce qu'éphémères. Il est loin le temps où le poète clamait : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? »