Bellinzona, Suisse - Mr Modou Ngum, victime de torture, a témoigné devant un tribunal suisse dans le cadre du procès pour crimes contre l'humanité de l'ancien ministre de l'Intérieur, Ousman Sonko.
Mr Ngum s'est effondré en racontant à la Cour qu'il protestait contre les réformes électorales le 14 avril 2016, lorsqu'il a été arrêté par les agents de police et torturé par des agents de l'Agence Nationale de Renseignement (NIA).
En avril 2016, une rare manifestation a éclaté en Gambie alors que l'ancien président et dictateur du pays, Yahya Jammeh, en poste depuis 22 ans, était en voyage officiel. La manifestation était menée par Ebrima Solo Sandeng, un membre du Parti Démocratique Uni (UDP), parti d'opposition, qui a été battu à mort lors de sa détention par le gouvernement. Cet événement a déclenché une série de manifestations et l'arrestation de plus de 30 membres du parti, dont son chef, Ousainu Darboe.
Le premier jour des manifestations, Sandeng a été arrêté avec au moins 13 autres manifestants, dont Ngum, et emmené à l'Agence Nationale de Renseignement (NIA), où ils ont été brutalement torturés. Solo Sandeng est décédé à la suite des actes de torture qui lui ont été infligés. Au moins cinq autres personnes impliquées dans les manifestations sont décédées depuis 2017. Leurs proches ont attribué leur décès aux tortures subies à l'Agence Nationale de Renseignement (NIA).
Ngum a emmené les représentants de la Cour suisse dans le complexe de l'Agence Nationale de Renseignement (NIA). Il a décrit de manière très saisissante les conditions abominables ainsi que les tortures émotionnelles et physiques infligées à lui et aux autres.
« Ils m'ont déshabillé et m'ont emmené dans une pièce de la NIA, » a déclaré Ngum, âgé de 29 ans à l'époque. Ngum a déclaré à la Cour que Tamba Masireh, un agent de la NIA jugé coupable par la Haute Cour de Banjul de la torture de détenus, lui avait proféré des menaces de mort.
« Les Junglers sont arrivés. Ils m'ont battu jusqu'à ce que je ne puisse plus entendre mes propres sanglots. Ils m'ont ensuite jeté sur le pré dans une cour ouverte. C'est à cet endroit-là que j'ai repris conscience, » a déclaré Mr Ngum. Mr Ngum a déclaré avoir été électrocuté au niveau des parties génitales. Les manifestants ont été condamnés à une peine de trois ans de prison, mais Ngum et plusieurs autres n'ont pu se présenter au tribunal pendant deux semaines en raison des blessures causées par la torture.
« Ils ne voulaient pas que nous nous présentions dans cet état pitoyable devant le tribunal. Raison pour laquelle j'ai été autorisé à consulter un médecin, » a-t-il déclaré. « Ils nous ont dit de ne pas nous présenter devant le tribunal avec les mêmes vêtements que nous portions lorsque nous avons été torturés. Ils nous ont donc procurés de nouveaux vêtements, » a-t-il ajouté.
Madi Ceesay, un législateur dont le fils Ebrima Ceesay a été torturé et est décédé peu de temps après, et Fatoumata Sandeng, la fille de Solo Sandeng, mort en détention, étaient assis en larmes dans la salle d'audience. Fatoumatta Jawara et Fatoumatta Camara, deux victimes de torture qui devraient témoigner devant la Cour, ont enfoui leur tête dans leurs mains et essuyé leurs larmes.
La "responsabilité" de Sonko
Sonko a été chef de la police sous l'autorité de l'ex-président Jammeh de 2005 à 2006. À la fin de l'année 2006, il a été nommé ministre de l'intérieur, poste qu'il a occupé de novembre 2006 à février 2012 et de mai 2012 à septembre 2016.
Arrêté en janvier 2017, le Bureau du Procureur Général suisse, ainsi que 10 plaignants originaires de la Gambie, accusent Sonko de torture, de meurtres, de séquestration, de viol et de privation de liberté. Crimes qui auraient été perpétrés contre des Gambiens sous le régime de Jammeh.
Les procureurs suisses tentent de prouver la responsabilité de Sonko dans les actes de torture par sa participation à divers cellules d'enquête en tant qu'inspecteur général ou pour avoir ordonné ou encouragé des exactions en tant que ministre de l'intérieur.
Mr Ngum a révélé la présence de Mr Sonko dans le comité qui a supervisé les tortures qu'il a subies à la NIA et dans les casernes paramilitaires, où ils étaient enfermés avant d'être emmenés à la NIA.
« La police était sous le commandement d'Ousman Sonko, et il était membre du comité. Et Sonko était bel et bien présent lorsque j'ai demandé de l'eau afin de m'abreuver. Ma requête m'a été refusée, » a déclaré Mr Ngum. Il a également accusé Sonko et l'ancien chef de la NIA emprisonné, Yankuba Badgie, d'avoir ordonné son transfert de la garde à vue à la NIA, où lui et d'autres ont été torturés. Sonko rejette toutes les accusations portées contre lui.
(Badgie et quatre anciens membres de la NIA impliqués dans la torture des manifestants et le meurtre de Sandeng ont été condamnés à mort par une Haute Cour de Banjul en juillet 2022).
Ce reportage a été réalisé en collaboration avec New Narratives dans le cadre du Projet de Reportage sur la Justice en Afrique de l'Ouest.
La Cour suisse délibère sur les meurtres de Baba Jobe, Sandeng, Almamo Manneh ainsi que d'autres personnes torturées