Gambie: Procès Sonko - Qui est responsable du meurtre de Baba Jobe ?

Mariam Sankanu est une journaliste d'investigation gambienne qui travaille pour Malagen, la première plateforme médiatique de Gambie spécialisée dans le journalisme d'investigation et la vérification des faits. Elle a travaillé auparavant pour le Réseau africain contre les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées, une ONG. Mariam est diplômée de l'école de journalisme et des médias numériques de l'université de Gambie.

Le 15 janvier, pour la première fois publiquement, un ancien gardien de prison a témoigné devant la justice suisse sur le meurtre de l'homme d'affaires et homme politique gambien Baba Jobe alors qu'il était détenu en 2011. À l'époque, l'accusé Ousman Sonko était ministre de l'Intérieur. Mais il affirme que l'ordre n'est pas venu de lui et que l'armée contrôlait la prison, sous l'autorité directe de l'ancien président Yahya Jammeh.

Baba Jobe était un partenaire commercial et un proche allié de Yahya Jammeh, qui a dirigé la Gambie d'une main de fer de juillet 1994 à janvier 2017. Il jouissait d'un grand pouvoir et d'une forte popularité quand il travaillait au gouvernement. Il était le chef de la majorité au parlement pour l'Alliance pour la réorientation et la construction patriotique, le parti de Jammeh. Avant de se brouiller avec le dictateur.

En mars 2004, Baba Jobe est condamné pour crimes économiques. Il écope d'une peine de 9 ans et 8 mois à la prison Mile 2, en banlieue de Banjul, capitale de la Gambie. Mais après avoir purgé sa peine, il n'est pas libéré. Selon le témoignage de son épouse Tida Jaiteh devant la Commission gambienne pour la vérité, la réconciliation et les réparations (TRRC), lorsqu'elle demande au directeur général de la prison Mile 2, David Colley, si son mari a été libéré à l'issue de sa peine, Colley la renvoie au ministre de l'Intérieur, Ousman Sonko, qui, selon elle, n'a jamais accepté sa demande de le rencontrer, bien qu'elle se soit présentée à son bureau à trois reprises.

C'est à ce moment-là que plusieurs "Junglers", l'escadron de la mort de Jammeh - Omar "Oya" Jallow, Pa Sanneh, Michael Jatta, Malick Manga, Mustapha Sanneh, Nfansu Nyabally, Sulayman Sambou et Momodou Jarju alias Rambo - accèdent à la chambre de Baba Jobe, où il est étouffé avec sa couverture, selon le témoignage d'Omar Jallow devant la TRRC.

Le témoignage de Lamin Sanneh

Le jour où Baba Jobe a été tué, un gardien de prison a été déployé à l'hôpital universitaire Edward Francis Small pour veiller sur lui. Son nom est Lamin Sanneh. Le 15 janvier, le Tribunal fédéral suisse de Bellinzone, où Ousman Sonko est jugé pour crimes contre l'humanité, a entendu des agents des services pénitentiaires de Gambie. Et pour la première fois, Sanneh, ancienne ordonnance de Colley (aujourd'hui décédé), a témoigné publiquement du meurtre de Baba Jobe. Bien que la commission eut reçu sa déclaration écrite, Sanneh ne s'était pas présenté devant elle.

"C'est au cours d'un week-end que j'ai été appelé par le directeur général David Colley, qui m'a informé que j'étais affecté à l'hôpital Edward Francis Small. Le soir du 7 octobre 2011, David Colley m'a appelé et m'a dit d'aller garder Baba Jobe. Il m'a dit que des hommes étranges ou inconnus viendraient et que je ne devais pas m'opposer à eux, sinon je perdrais la vie", déclare Sanneh à la cour.

Selon Sanneh, il ne savait pas que les Junglers étaient venus pour tuer Baba Jobe. Le président de la Cour lui indique pourtant que, lorsque Omar "Oya" Jallow, l'un des Junglers ayant avoué à la TRRC avoir participé à cette opération, a été interrogé par le bureau du procureur général suisse, il a déclaré : "L'agent de sécurité que nous avons rencontré là-bas savait. Il nous a dit que le patient dormait et que le médecin venait de partir. Nous sommes entrés, nous l'avons étouffé et nous sommes partis." Mais Sanneh nie avoir eu connaissance du plan à l'avance. "Je me suis senti très mal parce que si je l'avais su avant d'aller là-bas, il aurait mieux valu que je démissionne", déclare-t-il.

Interrogé sur le fait que Colley a mentionné avoir reçu ses instructions d'Ousman Sonko, le témoin précise : "Il ne m'en a pas parlé, mais je savais que le ministre était au courant de tout ce que David faisait. David alimente le ministre [en informations]. Il l'informe quotidiennement de ce qui se passe dans les prisons."

Plusieurs personnes, ainsi que les médias, ont déclaré que Jammeh était responsable de l'assassinat. Mais le témoin est quelque peu réticent à s'exprimer sur ce point. "Je ne peux pas dire que c'est vrai. Peut-être que ce qu'ils ont dit est vrai, mais je ne peux pas dire que c'est Jammeh qui l'a fait." Et lorsqu'on lui demande pourquoi Colley l'a choisi lui pour cette opération, le témoin répond : "Ils m'ont simplement sacrifié. J'ai été sacrifié. C'est ainsi que je vois les choses. Parce que normalement, ce n'est pas censé se passer comme ça."

La défense de Sonko

La cour soumet à l'accusé que Colley a affirmé avoir informé Sonko que Baba Jobe était tombé au cours d'un exercice avec d'autres prisonniers et avait été transporté à l'hôpital universitaire Edward Francis Small, et que quelques jours plus tard, Sonko l'avait appelé pour l'informer d'une visite à Baba Jobe d'un membre de l'armée, Nuha Badjie. Selon Colley, lorsqu'il a informé Sonko que d'autres agents pénitentiaires étaient déjà sur place, Sonko lui a demandé de les renvoyer et de les remplacer par un officier supérieur.

L'accusé lit alors les déclarations de quatre agents pénitentiaires - Lamin Sowe, Bakary Kujabi, Yahya P. Jarju et Momodou Jarju - qui, selon Colley, faisaient partie d'un groupe chargé de choisir le gardien qui serait affecté à l'hôpital. Les quatre déclarations ont été faites auprès de la police gambienne, les 14 et 15 mars 2018. Les quatre officiers ont nié avoir participé à un tel panel.

Étant donné que, selon l'affirmation de Colley, il voulait qu'un officier supérieur soit déployé à la prison, l'avocat de Sonko demande à son client si Sanneh, qui était une simple ordonnance à l'époque, était qualifié pour cette tâche. "Le grade que Lamin Sanneh avait à l'époque ne lui permettait pas d'être un officier supérieur", répond Sonko.

"Baba Jobe était malade et a été transporté à l'hôpital Edward Francis Small. Il a été admis dans le service principal, c'est-à-dire le service 'Shell'. C'est sur ordre ou directive de la Présidence qu'il a été transféré dans le bloc privé et cette directive lui a été communiquée [à Baba Jobe] par deux cadres de l'hôpital", explique Sonko en réponse à une question de son avocat. "David Colley, en tant que directeur général des prisons, avait une relation spéciale avec le président. Il a pu faire certaines choses sans passer par le ministère. Ils venaient du même village et il y avait ce lien entre eux. Le président pouvait donc parler directement à David Colley sans même passer par le ministre", ajoute l'accusé.

Interrogé sur les témoignages et les articles de presse selon lesquels Yahya Jammeh était responsable de l'assassinat de Baba Jobe, Sonko répond : "Baba Jobe était le chef de la majorité au parlement et représentait l'APRC, le parti au pouvoir de Yahya Jammeh. Il n'était donc pas un opposant politique. Il a été accusé de crimes économiques, il a été jugé et condamné en conséquence. Je ne le considère donc pas comme un opposant politique."

Pas d'autopsie

Après l'assassinat de Baba Jobe, son corps a été remis à sa famille sans qu'aucune autopsie n'ait été pratiquée. Selon sa veuve, elle ne l'a pas permis. Devant la commission vérité, elle a déclaré avoir soupçonné que son mari avait été tué et que l'autopsie aurait été effectuée par ceux-là mêmes qui l'avaient tué. "Celui qui vous tue vous présente ses condoléances et annonce votre mort", a-t-elle témoigné à la TRRC.

- "C'est vous qui avez demandé que le corps soit remis à la famille ? interroge le président de la Cour.

- Oui, je l'ai fait et c'était basé sur une déclaration sous serment dans laquelle ils [la famille] jurent qu'ils ne veulent pas qu'une autopsie soit effectuée. Lorsque [l'agent pénitentiaire] Bakary Kujabi est allé avec eux à l'hôpital et qu'ils ont dit qu'ils n'avaient pas besoin d'une autopsie, ils sont venus au ministère et on leur a demandé de l'écrire formellement", répond Sonko.

"Vous n'y emmèneriez pas un être humain"

"D'après mon expérience, certains détenus sont torturés lorsqu'ils sont emmenés. Lorsque vous posez la question à ces détenus, ils répondent qu'ils ont été emmenés à la NIA [Agence nationale du renseignement]. La plupart du temps, les Junglers y vont. Ils emmènent les détenus à la NIA et lorsqu'ils les ramènent, vous savez que ce type a vécu quelque chose," témoigne Sanneh.

Il n'a pas été le seul à témoigner sur les conditions de détention. Abdou Jammeh est à la fois un ancien agent pénitentiaire et un ancien prisonnier de Mile 2, où il a passé neuf mois en détention en 2016. Il s'exprime d'abord en jola, un des dialectes en Gambie, avant de passer au mandingue. "Mile 2, j'y ai travaillé et je connais des gens là-bas", déclare-t-il à la cour. "Ce n'est pas un endroit propre. Ce n'est pas propre parce que quand on voit leurs toilettes, vous n'y emmèneriez pas un être humain. Certains endroits sont de grandes salles. Les cellules des prévenus sont étroites."

Selon les deux officiers, ils ne sont pas au courant de mesures prises par l'ancien ministre Sonko pour améliorer les conditions de détention. Lorsque l'avocat de la défense fait remarquer à Sanneh que Colley, dans son témoignage devant la TRRC, a déclaré que les établissements de haute sécurité étaient contrôlés par l'armée, Sanneh dit que Colley fuyait simplement ses responsabilités, "parce que, en tant que directeur général, personne ne peut venir chez vous et vous dire ce que vous devez faire".

Sonko conteste ces propos, affirmant que dans ces temps-là, l'armée était responsable de l'aile de sécurité maximale. "Et jusqu'à la date à laquelle j'ai été relevé de mes fonctions, les gardes de Présidence étaient responsables des prisons, à l'exception de l'entrée principale où il y avait des gardiens de prison."

- "Aviez-vous autorité sur les militaires ? demande l'avocat de Sonko.

- Non", répond l'accusé.

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