Tchad: Fipadoc - «Amchilini» au Tchad, Allamine Kader filme une fascinante tradition

interview

C'est une plongée très réussie dans le Tchad des campagnes avec Allamine Kader, présentée au Festival international du film documentaire à Biarritz, Fipadoc. « Amchilini » signifie « choisis-moi ». Le réalisateur tchadien nous emmène à Boutefil, un village situé au nord-ouest de la capitale Ndjamena, aux portes du désert. Grâce aux magnifiques images et aux paroles sans fard, nous découvrons cette tradition censée à éloigner le malheur du village. La cérémonie permet et oblige les femmes célibataires à choisir un mari. L'homme choisi ne peut pas refuser, sauf s'il paie une amende. Entretien.

Le village dans lequel se déroule votre film est comme un personnage. Comment avez-vous trouvé ce village dans le canton de Boutefil ?

Le chef de canton est un ami d'enfance. Je partais très souvent dans ce village pour certains week-ends. Je pars là-bas pour discuter, pour échanger avec les anciens. C'est à ce moment que j'ai appris l'histoire originale et très particulière de l'Amchilini qui m'a beaucoup intéressé. De fil en aiguille, j'ai discuté avec le chef de canton pour lui proposer de faire un film puisque cela fait partie de notre patrimoine culturel, qu'il faut valoriser, préserver et immortaliser pour que la génération future sache au moins que cela fait partie de nous, de notre histoire. Cela a pris pratiquement quatre ans de discussions, de recherches, d'écriture, de réécriture pour arriver jusqu'au tournage et au film.

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C'est impressionnant à quel point les femmes et les hommes des villages du canton parlent librement de l'Amchilini, comme si la caméra n'existait pas

C'est une histoire qui touche tout un chacun. C'est l'histoire des mariages traditionnels où l'on oblige la femme à choisir un mari. Quand le village se trouve dans une situation vraiment difficile, es sages, les marabouts, les notables du village (obligent) les femmes célibataires à choisir un mari. Nous avons donné la parole à chaque partie. Les femmes ont toujours défendu leurs positions. Avec les nouvelles technologies, la femme du village s'émancipe, prend sa place dans cette société patriarcale. Aujourd'hui, la liberté des femmes, la prise de parole des femmes atteint nos villages les plus reculés. Chacun et chacune a oublié la caméra et défendu sa position.

Certains considèrent l'Amchilini comme une bénédiction, une solution contre le malheur, quand il n'y a pas de pluie, quand les animaux meurent... Pour d'autres, c'est plutôt un mariage au rabais, bradé. Quel est pour vous le but ou la philosophie de l'Amchilini ?

Pour beaucoup d'hommes, c'est une manière de perpétuer la tradition, de conserver cette valeur culturelle. Pour les sages, les marabouts, c'est une manière de demander la bénédiction de Dieu, pour que le peuple puisse vivre en paix. Pour eux, Dieu a arrêté la pluie, fait mourir les animaux et ainsi de suite. L'Amchilini est une sorte de sacrifice pour implorer la bénédiction de Dieu. Mais les jeunes femmes et les filles y voient une manière de rabaisser la femme, puisque la dot est moins chère. Et aujourd'hui, avec la cherté de la vie, cette dot symbolique ne peut pas faire l'affaire d'une jeune mariée. Mais du côté des hommes, ils trouvent ça normal, puisque la dot est à la portée de tout le monde et on peut avoir facilement deux, trois ou quatre femmes.

Vous scrutez de très près le processus de l'Amchilini avec son comité d'organisation et des règles très précises à respecter : pas de femmes sous 18 ans ; la hiérarchie sociale détermine quelle femme peut choisir la première, la hauteur de l'amende à payer en cas de refus, le prix de la dot... Votre but est-ce de révéler le fonctionnement intime de cette société ?

Exactement. C'est une société qui m'appartient, qui me parle. Cette organisation respecte les règles établies dans une société pour trouver une bonne conduite pour le vivre ensemble. D'abord, il y a le respect. C'est une zone musulmane et les gens respectent les principes de l'islam. Deuxièmement, ils respectent également les règles établies par les lois de la République : par exemple, une fille qui a moins de 18 ans ne doit pas être donnée en mariage. Troisièmement, ils respectent aussi la tradition. Ces trois principes (se conjuguent) dans un monde où chacun se trouve sa place. Ce qui fait que les gens n'ont pas de conflits. C'est une manière de conserver cette histoire, car l'Amchilini est une tradition en voie de disparition. Avant cette cérémonie de 2023, la dernière a été organisée au village en 1992.

L'Amchilini prévoit que c'est la femme qui choisit son mari. Peut-on parler d'une tradition féministe pour femmes émancipées ?

Je peux dire que oui, puisque la balle est dans le camp des femmes. Ce sont les femmes qui doivent choisir. Mais c'est aussi une obligation pour toute femme qui n'a pas de mari et qui vit au sein du village. Si elle ne choisit pas, on l'amende jusqu'au point extrême où elle va être complètement rejetée par la société et le village. Donc elle est contrainte. Et que tu sois un homme ou une femme, tu es vraiment tenu de respecter cette règle établie par le village.

Cette tradition est confrontée à la réalité d'aujourd'hui, c'est-à-dire, il y avait seulement 15 femmes candidates en face de plus de 100 hommes qui voulaient se marier. De plus en plus de femmes refusent de se marier sous le régime de l'Amchilini. Il y a aussi de plus en plus de personnes divorcées.

Et dans les critères de choix, l'argent l'emporte sur l'ethnie. L'initiative de l'Amchilini en 2023 a-t-elle été un succès ?

Pour le film, nous avons suivi une réalité. Nous avons rencontré une dizaine de femmes qui ont choisi leur mari. Aujourd'hui, la femme commence à prendre sa place au sein de nos sociétés. Ce qui fait qu'elle n'est plus obligée de respecter certaines règles, même s'il faut payer une amende. La femme est en train de rejeter certaines de nos traditions.

Vous avez étudié le cinéma au Sénégal et au Niger, mais vous êtes né en 1978 à Ndjamena, au Tchad, où vous vivez et travaillez. Aujourd'hui, qu'est-ce que cela signifie pour vous d'être réalisateur ?

Être cinéaste est vraiment porter la voix, être témoin de notre histoire. Au Tchad, nous avons beaucoup d'histoires. Nous avons un territoire qui est très riche en décors naturels. Donc, il y a beaucoup d'histoires à raconter qui vont intéresser pas seulement les Tchadiens, mais le monde entier, comme c'est déjà le cas dans pas mal de festivals. Mon souhait est de valoriser ce regard sur notre société.

Vous êtes actuellement conseiller à la Haute Autorité des médias et de l'audiovisuel (HAMA) au Tchad, après avoir été sous-directeur des programmes à la télévision nationale. En plus, vous êtes cofondateur des associations des professionnels de cinéma et de l'audiovisuel du Tchad. Dans quelle situation se trouve aujourd'hui le cinéma au Tchad ?

Nous sommes confrontés à des difficultés. Au Tchad, il n'y a pas d'école de cinéma, pas d'école de beaux-arts. Il n'y a pas de fonds d'aide au cinéma comme au Sénégal ou en Côte d'Ivoire. Nous n'avons même pas de salles de cinéma. L'unique salle, Le Normandie, est fermée depuis quelques années. Donc, c'est difficile de faire des films. Sinon, il y a pas mal de jeunes avec des idées et des projets. Je demande à nos dirigeants de vraiment accorder une importance capitale à la culture qui peut unir le peuple et générer beaucoup d'activités et créer des emplois.

Votre film Amchilini, choisis-moi, a-t-il déjà été montré au village et aux villageois qui ont participé au film ?

Nous avons fait l'avant-première à l'Institut français du Tchad à Ndjamena et nous avons invité le chef de canton avec quelques notables qui ont beaucoup apprécié le film. Nous avons prévu d'aller au village et de faire une projection d'ici un ou deux mois.

FIPADOC, Festival international du film documentaire à Biarritz, du 19 au 27 janvier 2024

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