Ile Maurice: Comment protéger la région OI

Une concurrence féroce s'est développée dans la région de l'océan Indien depuis de nombreuses années entre les grandes puissances maritimes qui recherchent des points d'attache possibles pour assurer la libre circulation de leurs navires et obtenir des bases d'opération pour leurs activités, notamment de télécommunications, de transport aérien et de surveillance des autres puissances.

Cette nouvelle situation géopolitique dépasse le cadre régional des états insulaires du Sud-Ouest de l'océan Indien, et interpelle principalement les grandes puissances concernées, tant du côté européen (France, Grande Bretagne, États-Unis) que du côté asiatique (Chine, Inde, Japon). Individuellement, les pays membres de la Commission de l'océan Indien (COI) n'ont pas le poids nécessaire pour résister aux pressions des grandes puissances.

La diversité structurelle des différents membres de la COI, loin d'être un obstacle insurmontable pour s'attaquer au problème géopolitique du moment, peut au contraire faciliter la recherche de solutions difficiles, mais durables et acceptables.

Il faudrait pour arriver à cela faire appel aux dispositions de l'Accord de Victoria, révisé en 2020. Celui-ci confère au Sommet qui réunit les chefs d'État de la COI une place statutaire qu'il n'avait pas jusqu'alors. Ces dispositions permettent à la COI de «conduire une action collective en phase avec les enjeux actuels et avec les ambitions des États membres». Cette proposition peut paraître difficile à mettre en oeuvre puisque deux grandes puissances étrangères concernées, la Chine et l'Inde, sont membres observateurs de la COI et que la France, également grande puissance, est membre à part entière de la Commission. Pourtant, c'est dans un contexte élargi de ce type que la COI et ses membres doivent se projeter, avec l'objectif non négociable d'éviter de nouvelles situations comme celle de l'archipel des Chagos.

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Le second défi majeur et urgent confrontant la COI consiste à protéger efficacement la population et l'économie de la région contre l'impact dévastateur des catastrophes de toutes sortes qui pourraient bientôt frapper tout ou partie des 25 millions de personnes habitant la région. La population des îles augmente, le nombre de bâtiments d'habitation ou d'immeubles commerciaux augmente également, créant des espaces physiques de plus en plus vulnérables aux catastrophes du futur. Entre 1980 et 2013, la région a subi en moyenne des dégâts de 430 millions US$ par an en raison des catastrophes.

Dans le monde de demain, l'instantanéité et la puissance d'une catastrophe peuvent causer en un coup la mort de 50 000 personnes - c'est-à-dire plus que la population totale de l'île Rodrigues, appartenant à l'Île Maurice - ainsi que des dégâts matériels extrêmement élevés. Ce fut le cas récemment en Turquie et en Syrie, dans un environnement physique certes bien différent de celui de notre région. La «grosse catastrophe» ne se produit pas seulement dans le domaine de l'environnement ou du changement climatique. Cet exemple nous fait réaliser l'importance capitale pour nos populations d'anticiper et de prendre les mesures nécessaires pour réduire les risques qu'un aléa se matérialise en une catastrophe dévastatrice, par exemple un tsunami, une éruption volcanique, une submersion marine ou méga-cyclone. Il ne faut pas se voiler la face : aucun pays de la région ne dispose à lui seul des moyens nécessaires pour faire face à de telles situations.

L'étude exhaustive de l'International Journal of Disaster Risk Reduction, intitulée «Troubling partnerships:perspectives from the receiving end of capacity development» (2021), démontre clairement l'importance pour les pays en zones particulièrement vulnérables aux catastrophes de pouvoir s'appuyer sur leur propre capacité pour mieux connaître les dangers spécifiques qui les menacent et déterminer les actions nécessaires pour réduire ou faire disparaître ce danger. Les Seychelles ont participé à cette étude.

La COI possède déjà tous les éléments techniques, scientifiques et organisationnels pour mettre en place une capacité globale autonome pour protéger toute la région, terre et mer comprises. Le Bureau d'études canadien BAASTEL confirme dans son rapport «Building Capacities for Increased Public Investment in Integrated Climate Change Adaptation and Disaster Risk Reduction (2017)», que la COI, en association avec l'UNISDR et la Banque Mondiale dans le projet IFPP terminé en 2015 (ISLANDS Financial Protection Programme ) avaient réussi à créer un fondement solide et durable sur lequel construire un système de connaissance des risques futurs spécifiques à la région et de définition de politiques publiques appropriées.

Cette base était constituée par la mise en action de la méthode DESINVENTAR pour l'établissement d'une base de données sur les dommages causés par les catastrophes, de la méthode CAPRA pour le «probabilistic risk assessment» projetant les catastrophes naturelles possibles ainsi que l'intégration dans les investissements publics des besoins combinés de la lutte contre le changement climatique et la réduction des catastrophes. Le projet ISLANDS IFPP a produit un rapport exhaustif sur la région COI dans son ensemble ainsi que des rapports très détaillés sur Maurice, Les Comores et Madagascar.

Il faut donc utiliser les acquis de ce projet très novateur, qui n'a pas eu de suite, pour créer maintenant au sein de la COI cette capacité globale technique autonome pour les catastrophes. L'équipe aurait la tâche d'élaborer un plan directeur avec des objectifs précis à long terme pour la prévention et les secours en cas de catastrophes, incluant des étapes intermédiaires bien définies pour atteindre ces objectifs, et un budget détaillé pour les actions à mener. L'équipe serait pérenne pour que le progrès du programme soit constant et continu, et basé sur les acquis des phases précédentes. Elle devra s'appuyer sur une «technical back up support capacity» extérieure, car le domaine de la réduction des risques est très spécialisé, touchant à de nombreuses disciplines qui ne peuvent toutes être représentées.

Dans cette optique, cette équipe pourrait travailler en étroite association avec le projet IRiMa du Bureau des Études Géologiques et Minières (BRGM, français) qui vient d'être lancé et dont l'objectif est d' «élaborer une nouvelle stratégie de gestion des risques et des catastrophes et leurs impacts dans un contexte de changements globaux... et de pouvoir proposer des outils innovants pour détecter, comprendre, quantifier, anticiper et gérer les risques et les catastrophes». Ce nouveau projet couvre toute la France et englobera donc un membre de la Commission, La Réunion.

Conclusion

Les États insulaires du sud-est de l'océan Indien, réunis au sein de la COI, doivent se montrer extrêmement vigilants pour préserver leur identité et leur indépendance, face aux demandes d'implantation sur leurs territoires des grandes puissances pour des activités tant commerciales qu'hégémoniques au niveau international. Leurs eaux territoriales font partie des éléments à protéger. La Commission de l'océan Indien peut être un instrument important de support collectif pour suppléer ses États membres qui n'ont pas individuellement le poids nécessaire pour résister seuls aux demandes exigeantes des puissances étrangères.

Parallèlement, en ce qui concerne le second volet de ses activités, dont l'importance ne devrait pas échapper à la COI, la Commission renforcerait son importance ainsi que sa capacité fonctionnelle et de représentation régionale en utilisant les acquis du projet IFPP pour créer une capacité globale technique pérenne, dédiée à l'anticipation et l'action contre les catastrophes. Il faut acquérir directement et s'approprier le bénéfice des nouvelles opportunités et capacités d'actions maintenant disponibles offertes par la révolution numérique mondiale, le progrès technologique et, sous conditions, l'intelligence artificielle.

(Extrait d'un papier scientifique présenté à l'université Telfair, avril 2023)

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