Ile Maurice: Peur et traumatisme hantent toujours ceux piégés dans leur véhicule

Dans la fin de l'après-midi de mercredi, la normalité se rétablit lentement à la rue La Poudrière. La capitale a commencé à reprendre vie après les inondations du lundi 15 janvier, mais l'impact émotionnel de ceux pris de court dans leur voiture emportée par les torrents, reste vif.

Zayn (prénom fictif), fonctionnaire, travaille à Port-Louis depuis plus de 20 ans. Lundi, vers midi, «la pluie s'est fortement intensifiée et je n'ai pas pu attendre 12 h 30 pour sortir car j'avais garé ma voiture à la rue La Poudrière, où il y a un vaste drain, et nous avons entendu que l'eau débordait et refoulait. Je m'y suis immédiatement rendu pour m'assurer que ma voiture n'était pas endommagée et que je pourrais rentrer chez moi en toute sécurité.»

Le fonctionnaire nous confie d'une voix émue : «Mais quand je suis arrivé, à peine avais-je quitté le parking, en moins de deux minutes, l'eau est montée de manière significative, au-dessus du niveau des pneus. J'étais coincé; les autres voitures devant moi ne pouvaient pas circuler. J'ai immédiatement compris que je devais sortir pour rester en vie. Lorsque j'ai ouvert la portière, l'eau est arrivée avec une telle force qu'elle s'est refermée. J'ai alors exercé une force considérable et entre-temps, l'eau avait déjà pénétré la voiture. Mon téléphone et d'autres objets ont été endommagés. La seule solution pour moi était de pousser la portière le plus fort possible, de prendre mon téléphone endommagé pour pouvoir au moins garder ma carte SIM, de laisser tout le reste et de courir vers la Garden Tower pour me réfugier dans les escaliers. J'y suis resté environ une heure jusqu'à ce que le niveau de l'eau diminue.»

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Crainte, colère et traumatisme

Pendant ce temps, des vidéos sur la gravité des inondations à travers l'île se sont répandues sur les réseaux sociaux, les gens partageant en direct les moments terrifiants qu'ils ont vécus en étant pris au piège. Parmi ceux qui regardaient les vidéos, il y avait l'épouse, les enfants et les autres proches de Zayn. «Dans l'une des vidéos en direct sur Facebook sur la situation dans la capitale, nous avons aperçu sa voiture parmi beaucoup d'autres qui étaient endommagées. Nous étions paniqués car nous essayions de le contacter en vain», confie un proche.

Or, une fois que l'eau s'est dissipée, Zayn s'est dirigé vers sa voiture pour récupérer les clés de sa maison. Puis, il s'est rendu au poste de police et a déposé plainte, avant de retourner au bureau. «C'est alors que j'ai pris le téléphone de mon collègue, qui était resté au bureau, et que j'ai appelé mon épouse pour lui dire que je suis vivant et sain et sauf. À 15 h 30, mon ami, dont la voiture était garée ailleurs et en sécurité, m'a déposé à mi-chemin. Un proche est venu me chercher et je suis rentré chez moi à 17 heures.»

Depuis, la routine pour Zayn a consisté à se rendre aux Casernes centrales pour effectuer les démarches requises auprès de la police et pour l'assurance de sa voiture. Il utilise un téléphone emprunté pour maintenir la communication et se sert de la voiture d'un proche pour se rendre au travail jusqu'à ce qu'il puisse trouver une autre solution au cours de la semaine à venir.

«Au fil du temps, la situation dans la capitale s'est aggravée en raison des défaillances systémiques et de l'absence de canalisation adéquate. J'ai déjà été confronté à des inondations, qui sont devenues fréquentes à Port-Louis. Mais cette fois-ci, j'ai vécu le pire. Ma seule pensée était de rester calme et de penser à la façon de rester en vie pour ma famille. Au travail, la colère collective est toujours présente puisque nous parlons tous de ce que nous avons vécu. Lorsque je prie à la maison, j'ai des frissons en pensant à ce jour-là. Il y a ceux qui ne sont pas rentrés chez eux vivants lundi. Je vous le dis, d'autres moins forts physiquement, vu la pression de l'eau, ne seraient jamais sortis vivants de la voiture...», confie-t-il.

N.K, fonctionnaire également et habitante de l'Est, en témoigne. «Je me suis retrouvée coincée dans la circulation. En quelques minutes, l'eau a violemment jailli et j'ai dû essayer de sortir avant qu'elle ne pénètre ma voiture. Lorsque j'ai ouvert la portière, compte tenu de la force des eaux, je n'ai pas pu garder l'équilibre pour sortir et l'eau m'atteignait les genoux. Je n'arrivais pas à réfléchir et ce moment m'a semblé interminable.» Heureusement, un bon samaritain est venu l'aider, lui tenant la portière contre le courant, ayant le bon sens de lui dire : «Madame, prenez votre sac et les papiers de votre voiture, et sortez maintenant.» Elle l'a fait et elle est allée se réfugier dans un bâtiment.

Pour d'autres personnes travaillant un peu partout à travers le pays, les expériences vécues sont similaires, même si la situation a été moins périlleuse pour leur vie. Akash, 48 ans, père de deux enfants et habitant de La Laura, nous relate. «En quittant mon lieu de travail vers 13 heures et arrivant à Réduit, j'ai constaté que la pluie s'intensifiait. J'étais sceptique, mais j'ai néanmoins poursuivi mon chemin en gardant espoir. Lorsque j'ai suis arrivé à Moka, près du Mahatma Gandhi Institute, le niveau d'eau avait tellement augmenté qu'il était impossible de délimiter les voies ou les barrières. Tous les véhicules se sont immédiatement arrêtés et en quelques secondes, le niveau de l'eau avait dépassé les pneus. Je savais que j'allais devoir lutter pour ma vie.»

Ce professionnel, qui travaille dans le secteur privé, a ensuite utilisé ses connaissances en mécanique pour éviter que sa voiture ne soit endommagée. «Je pouvais entendre des bruits sous ma voiture car de grosses roches étaient violemment emportées par l'eau le long de la route. Ma seule préoccupation était de m'en sortir vivant pour retrouver mes enfants. J'ai fait une vidéo de la situation à laquelle je faisais face et je l'ai envoyée sur WhatsApp, tout en restant en contact avec eux pour qu'ils ne paniquent pas trop. Alors que la plupart des automobilistes ont éteint leur moteur, j'ai continué à accélérer malgré l'incapacité de mon véhicule à se déplacer contre la force des eaux, juste pour qu'il n'y ait pas de dommages. J'ai fermé les portières à clé et je suis resté à l'intérieur. Heureusement, le niveau de l'eau a baissé au bout d'une heure, et j'ai alors pris des raccourcis pour atteindre la route Terre Rouge-Verdun et rentrer chez moi.»

Pour S.R. et M.G., deux professionnelles dans leur trentaine, cela a été plus de peur que de mal. «Sur le chemin du retour, alors que nous étions près du village de Mont-Goût en direction de Bon-Accueil, l'eau avait atteint un niveau assez élevé et des roches étaient violemment emportées par les flots. Il était difficile de les distinguer en conduisant et nous les avons heurtées. Nous avons également échappé à une branche tombée sur la route et une feuille de tôle qui s'est envolée juste devant notre voiture. Néanmoins, nous sommes rentrées à la maison saines et sauves, au grand soulagement de nos parents, nos frères et soeurs. Nous essayons de faire nos prières et d'oublier ce moment difficile qui nous a appris l'importance de la famille. Nous avons une pensée spéciale pour ceux qui ont perdu la vie lors de cette catastrophe et les familles en détresse.»

Si le pays commence à reprendre le cours normal de ses activités après le chaos, pour beaucoup de personnes prises au piège lors des inondations de lundi, les souvenirs traumatisants semblent ne pas être en voie de s'effacer de sitôt.

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